Xavier Marchand (Carakters) : « Le métier qui nous fera vivre dans dix ans est celui qui se construit aujourd’hui »
Décideurs. Pourquoi les cabinets doivent-ils innover en management ?
Xavier Marchand. Comme toutes les entreprises, les cabinets sont confrontés à des mutations qui les obligent à repenser la gestion et l’organisation de leurs ressources humaines. Les jeunes avocats manifestent de nouvelles exigences tandis que nos clients poussent vers un partenariat intégré avec leurs directions juridiques. Le tout dans un climat très concurrentiel qui nous oblige à évoluer pour rester performants et rentables. Cela implique nécessairement des modes de management différents tournés vers le collaboratif et la redéfinition des contours de nos métiers pour fonctionner comme une entreprise de droit.
Décideurs. Concrètement, qu’est-ce qui différencie un collaborateur qui prête serment en 1998 comme vous de celui qui débute en 2015 ?
X. M. La manière d’exercer la profession d’avocat a évolué. Les jeunes avocats privilégient la sécurité et la visibilité. Ils sont moins enclins à s’installer que ne l’étaient leurs aînés. Aujourd'hui, on ne fait plus une carrière d’avocat mais une carrière en cabinet d’avocats. Et la concurrence est rude !
L’entrée dans la profession se fait par ailleurs de plus en plus tardivement. À 28 ou 30 ans, les jeunes avocats sont plus diplômés mais moins flexibles qu’à 23 ans. Soutien de famille, leurs exigences financières et d’équilibre sont plus grandes.
« À 28 ou 30 ans, les jeunes avocats sont plus diplômés mais moins flexibles qu’à 23 ans »
Décideurs. Les exigences des cabinets vis-à-vis des collaborateurs sont également croissantes…
X. M. Nos clients sont des entreprises internationales aux besoins perpétuels - le soleil ne se couche jamais sur l’empire de beaucoup d’entre elles. Nos dossiers doivent donc être traités par des équipes. Nos collaborateurs doivent aimer partager leur savoir et avoir une appétence managériale. La star n’est plus celle qui sait mais celle qui transmet, accompagne et continue à vouloir s’améliorer. La profession a encore de grands axes d’innovation dans les outils collaboratifs et le knowledge management.
Décideurs. Que faire des collaborateurs seniors qui n’ont pas vocation à devenir associé ?
X. M. Le statut d’of counsel est souvent employé pour y remédier mais il masque beaucoup de réalités (consultantes externes, palier vers l’association ou conduite souple vers la sortie). Il faut agir en amont. Chez Carakters deux idées fortes gouvernent notre politique : former et révéler. Nous formons nos seniors au management, au marketing et au développement : il faut cesser avec l’idée du génie universel. Nous cherchons par ailleurs à révéler leurs talents propres : marketing, communication, développement, finances, méthodes, etc., toutes ces fonctions, qui sommeillent en chacun des avocats, sont nécessaires à l’entreprise qu’est le cabinet. À nous de réveiller ces talents, en accompagnant mais également en fixant des règles claires pour que chacun puisse adhérer au projet ou, au contraire, décider de pas y adhérer. Parmi ces règles, figure naturellement la rémunération.
Décideurs. Comment concilier clientèle personnelle et investissement dans le cabinet ?
X. M. L’erreur à ne pas faire : faire du collaborateur un chasseur de primes. L’autre erreur : se désintéresser de la question. Il y a intérêt à ce que les collaborateurs développent une clientèle personnelle : il est pédagogique. Confronté aux réalités de la relation avec le client, le collaborateur apprend à trier les dossiers qu’il peut accepter, à valoriser ses prestations et surtout à communiquer clairement avec son client. Mais ceci doit être l’occasion d’un dialogue permanent et transparent avec l’associé qui reste en charge de former ses collaborateurs. C’est au travers de ce dialogue que le collaborateur comprendra l’intérêt de s’investir dans le cabinet et l’associé de ne surtout pas laisser partir par dépit le collaborateur prometteur mais frustré.
Décideurs. Quelle est l’innovation incontournable des années à venir ?
X. M. Le cabinet est une entreprise condamnée à l’innovation permanente puisqu'il répond aux besoins d’internationalisation, de célérité et de réactivité de ses clients. Pour cela, il doit investir fortement dans des outils informatiques performants et sécurisés et dans la formation, ceci pour faire jeu égal avec les cabinets d’audit ou de stratégie. Pour cela, il faut des financements qui imposent l’ouverture du capital aux non-avocats et certainement, un jour, une entrée en Bourse.
Il faut encore qu’il convainque ses clients que le droit est un atout commercial et non une contrainte. Pour ce faire, il lui faut « professionnaliser » son organisation pour se consacrer à son métier. Une répartition des fonctions au sein du cabinet est inévitable. Je fais à cet égard le pari que dans moins de dix ans, une cinquantaine de cabinets auront confié leur gestion et leur animation à des non-avocats. Notre déontologie l’interdit aujourd'hui mais elle évoluera certainement.
Enfin, il lui faut anticiper : le métier qui nous fera vivre dans dix ans c’est celui qui se construit dès aujourd'hui. Il lui faut donc être ouvert, à l’écoute, sans a priori ni principe intangible autre que le maintien de l’indépendance d’esprit et du secret professionnel qui en est le corollaire.
Propos recueillis par Pascale D’Amore