Bruno Knadjian, avocat associé, nous présente l’activité dédiée à la fiscalité patrimoniale du cabinet Hogan Lovells, les enjeux atour de la holding animatrice et de ceux liés aux deux questions prioritaires de constitutionnalité soulevées lors de l’affaire « Cahuzac ».

Décideurs. Comment se structure l’activité fiscalité patrimoniale chez Hogan Lovells ?

Bruno Knadjian. Au sein de notre cabinet, le département dédié à la fiscalité est composée de six professionnels dont deux associés, Xenia Legendre et moi-même. Notre équipe polyvalente a développé une pratique très pointue en matière de « fiscalité patrimoniale » qui représente environ 25 % de notre activité. Nous couvrons un champ d’intervention diversifié. Nous traitons entre autres des problématiques de fiscalité propres aux actionnaires familiaux, entrepreneurs et managers dans le cadre d’opérations de LBO réalisées avec des fonds de private equity. Nous intervenons également dans le domaine de la fiscalité des non-résidents investissant en France, particulièrement dans le secteur de l’immobilier. Nos équipes conseillent par ailleurs nos clients sur des questions de fiscalité salariale au sens large, comme la mise en place des management packages (actions de préférence, plans de BSPCE, actions gratuites, stock-options…) ou la mobilité professionnelle. Enfin, nous assistons les grandes fortunes dans le cadre de l'organisation de leur patrimoine professionnel et personnel, notamment en matière d'ISF, de transmission ou encore d’expatriation. Sur ces quatre thèmes, nous sommes également en mesure d’accompagner notre clientèle sur des contrôles et contentieux fiscaux.

 

Décideurs. Les enjeux, notamment fiscaux, sont importants autour du caractère animateur de la holding. Or, l’administration fiscale a largement durci sa position sur le sujet. Quels sont vos conseils pour sécuriser les groupes organisés avec une holding animatrice ?

B. K. Il est essentiel de sensibiliser les investisseurs à cette problématique qui est soit méconnue, soit sous-estimée mais dont les répercussions fiscales sont importantes en matière d'ISF, de droits sur les transmissions ou de plus-values. Le sujet se pose notamment pour les actionnaires familiaux et entrepreneurs au moment de l’interposition d'une holding d'acquisition dans le cadre d’un LBO ou d’un OBO alors que les associés disposent déjà d'une holding personnelle par ailleurs. Les incertitudes auxquelles nous devons faire face trouvent leur source dans l’absence de définition légale précise de la holding animatrice. Sa définition repose, en pratique, sur une jurisprudence parcellaire.

Pour apporter la preuve que la holding est bien animatrice, il faut tout d’abord s’assurer qu’elle dispose d'un contrôle sur son groupe. Contrôle capitalistique ou contrôle contractuel au regard du pacte d'associés conclu avec les co-associés qui conférerait à la holding un contrôle conjoint sur ses filiales opérationnelles.

Il est par ailleurs nécessaire de se constituer des moyens de preuve pour démontrer l'animation effective du groupe par la holding et l'influence exercée par celle-ci sur la politique et le fonctionnement des filiales. Pour cela, je conseille de disposer :

  • de statuts de la holding parfaitement rédigés qui font référence au rôle d'animateur de groupe ;
  • de procès-verbaux des assemblées générales qui le confirment ;
  • des rapports de gestion qui prouvent le caractère animateur de la holding (arbitrages, décisions stratégiques) et des rapports des commissaires aux comptes qui viendraient l'attester ;
  • des échanges par e-mail ou des correspondances entre la société mère et ses filiales ;
  • une convention d’animation conclue par « la mère et la fille ». En pratique, il faudra toutefois veiller à ce la société mère ne soit pas dirigeant de fait. Je conseille donc de nommer la holding animatrice comme « mandataire personne morale » de la société opérationnelle pour éviter tout débat même si la jurisprudence a récemment évolué favorablement sur ce sujet.

 

 

Décideurs. Lors du procès de Jérôme Cahuzac, le tribunal correctionnel de Paris a décidé du renvoi devant le conseil Constitutionnel de l’une des deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur l’autorisation « à l'encontre de la même personne et en raison des mêmes faits, du cumul de procédures ou de sanctions pénales et fiscales ». Quelle position tenez-vous sur la question ?

B. K. Il me paraît assez délicat d’établir un pronostic à ce stade. Juridiquement, la QPC me semble cependant bien argumentée. La question qu’elle soulève trouve son origine dans « l’affaire EADS » du 18 mars 2015 où les juges avaient rappelé le principe de non-cumul des poursuites pénales et administratives en matière boursière. Le droit fiscal s’est engouffré dans la brèche en appliquant le même principe aux affaires Cahuzac et Wildenstein. Pour établir le caractère sérieux, il faut que les quatre critères imposés par le Conseil constitutionnel dans le dossier EADS soient remplis : que les mêmes faits soient concernés,  que les mêmes intérêts sociaux soient protégés, que les sanctions encourues  soient équivalentes et que les ordres de juridictions soient identiques. Dans l’affaire Cahuzac, la principale interrogation repose sur l’équivalence des sanctions encourues. Les sanctions fiscales et pénales sont-elles de même nature ? Les premières permettent en pratique au fisc de recouvrer son dû (impôt et sanctions) tandis que l’aspect pénal donne un caractère punitif à la décision. Dans un cas l'Etat veut être remboursé, dans l'autre, on vise l'exemplarité, la dissuasion via la publicité des débats. La question de l’équivalence des sanctions encourues reste à mon avis en suspens.

Une question prioritaire de constitutionnalité a également été déposée dans l'affaire du marchand d’art Guy Wildenstein en matière de droits de succession. Tout comme celle initiée dans le cadre du procès de Jérôme Cahuzac, celle-ci conteste le cumul de sanctions pénales avec des sanctions infligées par l’administration fiscale et non plus par l'AMF comme ce fut le cas pour l’affaire EADS. Il convient à ce titre de préciser que les contestations en matière de droits de succession, d’impôt de solidarité sur la fortune et d’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) sont adressées à différents ordres de juridiction. Pour les deux premières citées, les contribuables exercent leurs recours devant le tribunal de grande instance tandis que pour l’IRPP, ils doivent contester leur redressement devant le juge administratif. Le critère de juridiction posé par l'arrêt EADS n'est donc rempli dans l'affaire Cahuzac que pour l'ISF mais pas pour l'IRPP. Dans tous les cas, le procès aura donc lieu et reprendra le 5 septembre prochain.

 

Propos recueillis par Aurélien Florin

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