Par Camille Sparfel, avocat, Capstan Avocats

Nombreuses sont les critiques du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, dit projet de loi El Khomri du nom de la Ministre du Travail qui le défend, tant côté des organisations patronales que syndicales : les uns reprochant à ce projet de loi de ne pas réformer assez, les autres de bouleverser un cadre juridique déjà fragile.

 

 

Ce projet de loi nuirait notamment aux startups. Pourtant, son objectif affiché est de parachever les fondements d’un nouveau modèle social pour bâtir un monde du travail plus efficace. Force est de constater que le numérique bouleverse un à un tous les secteurs économiques, change l’organisation traditionnelle du travail et permet l’émergence de nouvelles formes d’emploi. Ces changements ont été appréhendés depuis longtemps par les startups et imposent désormais au gouvernement de définir une nouvelle architecture des dispositions du code du travail, notamment celles relatives au temps de travail.Le rapport Mettling sur les effets de la transformation numérique sur le monde du travail, remis à la Ministre du Travail en septembre 2015, soulignait déjà que cette révolution numérique, source de développement économique et de progrès social, nécessite des efforts d’adaptation, particulièrement dans le monde du travail.

 

 

Une des propositions du rapport Mettling est de sécuriser le forfait annuel en jours, partant du constat qu’il « constitue le cadre juridique le mieux adapté aux modalités d’organisation du temps de travail mises en place suite à la transformation numérique ». Il a alors exhorté le législateur à prendre en compte dans ses futurs travaux la réalité vécue par les salariés, en définissant un cadre équilibré, en sécurisant la situation juridique dans laquelle ils se trouvent tout en respectant les règles en matière de santé au travail.

 

 

Créé en janvier 2000, le forfait annuel en jour est plébiscité par près de la moitié des cadres et permet indéniablement une plus grande liberté dans l’organisation du temps de travail. Or, depuis 5 ans, plusieurs dispositifs conventionnels de forfait annuel en jours ont été censurés par les juges, car les accords collectifs les mettant en place ne comportaient pas notamment de garanties suffisantes pour protéger la santé des salariés concernés (absence de contrôle de la charge de travail et d’une durée raisonnable maximale de travail impliquant le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire). Son utilisation devient dès lors incertaine.

 

 

Faisant écho au rapport Mettling, la fédération Syntec (représentant 80.000 entreprises dans les secteurs du numérique, de l’ingénierie, des études et de conseil, dont 84% sont des PME et TPE dont des startups) déclarait, par un communiqué de presse du 2 mars dernier, alors que le débat s’ouvrait sur le projet de loi El Kohmri, tel un cri du cœur : « Ne les décourageons pas ! Nos entreprises ont besoin d’air ! Elles ont besoin de liberté. Laissez-leur un minimum de liberté dans l’organisation du travail. Laissez-leur le forfait jours ! ». Ces appels à plus de liberté dans l’organisation du travail et à sécuriser les dispositifs existants pour favoriser une telle liberté ont été entendus par le gouvernement qui en a tenu compte - en partie - dans le projet de loi El Kohmri, actuellement en discussion au Sénat.

 

 

La nouvelle version du forfait annuel en jours demeure réservée aux salariés disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps. Est également maintenue l’exigence d’un accord du salarié, d’une convention individuelle établie par écrit et d’une mise en place par accord collectif d’entreprise et, à défaut, par accord de branche. Le pré-projet de loi prévoyait la possibilité de mettre en place un forfait annuel en jours sans accord collectif dans les entreprises de moins de cinquante salariés : cette « nouvelle liberté » était semble-t-il trop radicale ; elle a été supprimée !

 

Le projet de loi réaffirme enfin l’inapplication aux forfaits en jours des durées quotidienne et hebdomadaire maximales de travail. La nouveauté réside principalement dans la définition précise du contenu de l’accord mettant en place le forfait en jours, lequel devra notamment déterminer les salariés concernés, la période de référence du forfait, les conditions de prise en compte des arrivées, départs et absences en cours de période, le nombre de jours, les modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail, ainsi que les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion des outils numériques de travail.

 

 

Toutefois, à défaut de stipulations conventionnelles, une certaine souplesse est laissée aux entreprises quant à la détermination par l’employeur des modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail et des modalités d’exercice par le salarié de son droit à déconnexion.

 

 

Ainsi, des dispositions supplétives seront prévues par le code du travail s’agissant des modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail qu’il reviendra à l’employeur de mettre en place (document de contrôle des jours travaillés, entretien annuel, etc.). En outre, contrairement au pré-projet de loi, l’absence de dispositions dans l’accord collectif sur les modalités du droit à la déconnexion ne fait pas obstacle à la mise en place du forfait en jours. Dans une telle hypothèse, il reviendra à l’employeur de définir ces modalités et de les communiquer par tout moyen aux salariés concernés.

 

 

Enfin, le projet de loi sécurise les forfaits en jours mis en place sur le fondement d’accords collectifs conclus antérieurement qui, à la date de publication de la loi, n’auraient pas prévu de modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail et de modalités d’exercice par le salarié de son droit à déconnexion. Ces forfaits en jours peuvent être poursuivis, sous réserve que l’employeur respecte les dispositions supplétives précitées. En outre, sous cette même réserve, ces accords collectifs non conformes peuvent « également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait », ce qui n’était pas prévu dans le pré-projet de loi !

 

 

Ces dispositions du projet de loi El Khomri sur les forfaits en jours relativisent clairement la jurisprudence de la Cour de cassation et entendent mettre un frein à sa censure des accords collectifs ne garantissant pas suffisamment selon elle la protection de la santé des salariés concernés, laquelle faisait obstacle en pratique à la mise en place des forfaits en jours ou à leur poursuite. Indéniablement, par ce projet de loi, les entreprises retrouvent une certaine sérénité quant au recours des forfaits en jours et liberté quant à l’organisation du temps de travail de leurs salariés.

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