L’adaptation du lien de subordination juridique à l’ère numérique : une révolution qui devra encore attendre !
Alors que nous assistons à de nombreux débats animés qui entourent la prochaine Loi Travail, au motif que plusieurs de ses dispositions bousculent le modèle français des relations de travail, certaines dispositions, pourtant attendues, n’ont pas passé l’étape du pré-projet de loi, et ceci de façon quasiment inaperçue.
Or, si notre droit du travail doit s’adapter pour faire face aux nombreuses mutations du modèle économique et social sur lequel il avait été bâti, il doit aussi se réinventer pour prendre en compte les nouvelles formes de consommation et les nouveaux modèles économiques. Le pré-projet de Loi Travail comportait à ce titre un article 23 dénommé « plateforme collaborative », au sein duquel était notamment introduite une proposition de définition du travailleur-utilisateur. Ce texte envisageait, sous l’impulsion du rapport du député Pascal TERRASSE sur l’économie collaborative, de sécuriser les créateurs des plateformes de mise en relation.
Ainsi, la caractérisation du lien de subordination juridique devait être par principe rejetée si les trois conditions visées par le pré-projet de Loi Travail étaient cumulativement remplies (exercice d’une activité immatriculée au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou auprès d’une URSSAF ; définition libre des horaires de travail, de la durée du travail et de la charge de travail par le travailleur ; absence de lien d’exclusivité entre la plateforme et le travailleur).
Anticipant ainsi les éventuels contentieux qui pourraient naître de ce nouveau modèle économique (et qui sont en train de voir le jour), le pré-projet de Loi Travail avait le mérite de tenter de rassurer les acteurs de ces nouveaux marchés, victimes du vide juridique que connait l’économie collaborative en droit du travail. Ces dispositions ont pourtant disparu du projet de Loi Travail définitif et ont finalement été réintroduites mais sous une forme très édulcorée qui en revient à une acception classique du lien de subordination. Une ère d’innovation qui devra donc malheureusement attendre encore quelques mois, voire quelques années, pour être enfin débattue devant le Parlement. Car la crainte d’une telle nouveauté, dans laquelle le droit du travail reconnaitrait officiellement le statut sui generis des travailleurs de l’économie numérique collaborative, pourrait entraîner de nombreuses oppositions : voyons déjà l’encre que fait couler la future Loi Travail sur d’autres sujets dits d’adaptation au marché…
L’intérêt était pourtant réel et l’économie collaborative, qui ne cesse de se développer, parce qu’elle répond aux aspirations des consommateurs, aurait pu trouver un premier soutien juridique pour sécuriser les entrepreneurs. Elle crée de nouvelles formes de relations professionnelles, dans lesquelles au moins une nouvelle composante ne trouve pas encore de qualification idoine en droit positif, car même si le travail est commandité par la plateforme et la clientèle qui la compose, il demeure indépendant, l’utilisateur étant seulement soumis aux conditions d’utilisation du service.
Notre droit du travail n’est donc pas encore prêt à conceptualiser cette nouvelle forme de travail, lui préférant ses définitions classiques qui régissent soit le lien de subordination juridique caractéristique du salariat, soit une prestation de services totalement indépendante dans laquelle le fonctionnement se fait d’égal à égal. Ce sujet restera donc encore en réflexion, la crainte qu’il suscite étant certainement un frein à l’adoption d’une législation dédiée et sécuritaire. Malheureusement, l’atteinte à la liberté d’entreprendre est réelle et retardera certainement d’autant le développement de nouvelles Startups.