Directeur fiscal du groupe JCDecaux, qui réalise un chiffre d’affaires de 3,2 milliards d’euros dans 77 pays, Gauthier Halba revient sur les problématiques réglementaires ainsi que sur les enjeux de sa profession.

Décideurs. Quels sont les défis actuels d’un directeur fiscal ?

Gauthier Halba. Le directeur fiscal doit aujourd’hui jongler entre différentes missions dans un cadre international mouvant. Récemment, les prix de transfert, mais aussi le CBCR – Country by Country Reporting –, et les projets de directives européennes nous ont beaucoup occupés car ils nous ont contraints à analyser les différents impacts pour le groupe. Par ailleurs, le directeur fiscal doit rester proche de l’activité opérationnelle. Ainsi, il joue le rôle d’accompagnant des différentes fonctions de l’entreprise, aussi bien dans leur activité quotidienne que dans les activités exceptionnelles de développement qui nécessitent des analyses fiscales spécifiques et pluridisciplinaires. Il est aux côtés de la direction lors de ses projets d’acquisition, de cession, de restructuration ou de développement de nouvelles activités.

Lors d’une acquisition par exemple, à quel niveau le directeur fiscal intervient-il ?

En premier lieu, mon rôle est d’identifier les risques fiscaux de la cible d’acquisition pour m’assurer qu’ils soient bien pris en compte dans les garanties de passif. Une fois cette analyse de risques effectuée, nous préparons l’intégration de cette future filiale à notre schéma fiscal. La dernière étape consiste à structurer l’acquisition par rapport à nos impératifs opérationnels mais aussi financiers. Chez JCDecaux par exemple, nous étudions des cibles qui opèrent sur plusieurs pays. Mon rôle est alors de réfléchir à la meilleure façon de rapprocher les actifs acquis de nos structures déjà existantes.

Les entreprises ont intégré l’importance des questions fiscales 

Les prix de transfert ou le CBCR sont de nouvelles contraintes pour les entreprises. Comment appréhendez-vous leur mise en place ?

En effet, les contraintes réglementaires concernant les prix de transfert sont de plus en plus présentes au niveau international. Si une entreprise est redressée, l’impact opérationnel peut être fort. Pour éviter un tel scénario, nous sensibilisons beaucoup les équipes, en tentant de présenter la fiscalité comme la composante d’un tout mais jamais comme un problème. Pour sécuriser une politique de prix de transfert, il faut avant tout bien connaître son groupe, afin d’être en mesure de justifier et d’expliquer ses choix. Chez JCDecaux, la politique de prix de transfert reflète les impératifs opérationnels et les justifications économiques peuvent être fournies sans grandes difficultés. En ce qui concerne le CBCR, il ne sera mis en place que l’an prochain mais beaucoup de pays l’ont déjà transposé dans leur droit national. La problématique est différente de celle des prix de transfert : ici, c’est le caractère public des déclarations qui pose question. Nous ne voyons aucun problème à fournir des informations précises à l’administration fiscale, ce que nous faisons déjà, mais la publicité de certaines informations pourrait avoir des effets négatifs, en matière de concurrence notamment, si certains de nos concurrents n’ont pas cette contrainte. La publicité de ces informations ne nous semble pas du tout pertinente.

Quels sont les enjeux fiscaux spécifiques à JCDecaux ?

Nos principaux enjeux au niveau fiscal concernent actuellement le CBCR, le financement de notre développement à l’international et la fiscalité liée à l’innovation et à la transformation digitale dont l’évolution et la maturité par pays nécessitent un suivi tout particulier. Comme pour toutes les entreprises, la fiscalité du financement soulève nombre de questions fiscales (action 4 Beps, directive européenne, dispositifs nationaux spécifiques…). En effet, les contrats nécessitent des investissements importants et donc des capacités financières significatives dans un cadre fiscal international complexe et changeant qui rend la déduction des intérêts incertaine. La direction fiscale travaille en lien étroit avec la direction de la trésorerie sur ces sujets. La digitalisation de l’activité est également un bon exemple puisqu’elle peut être soumise à des méthodes d’amortissements dérogatoires et parfois une fiscalité spécifique.

Comment pensez-vous que votre rôle va évoluer au cours des prochaines années ?

Aujourd’hui, les entreprises ont intégré l’importance des questions fiscales. À l’image des directions juridiques, les différents services sollicitent de plus en plus les fiscalistes pour les conseiller et les accompagner. Les administrations fiscales sont plus professionnelles et plus exigeantes avec les entreprises. Dans ce contexte, le fiscaliste est un polyglotte : il doit adapter son langage en fonction de ses interlocuteurs, que ceux-ci soient des juristes, des opérationnels, des financiers ou des contrôleurs fiscaux. 

Propos recueillis par Camille Prigent

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