Trust : de l'ombre à la lumière
Les trusts ont longtemps été perçus en France comme une structure opaque, destinée principalement à l’évasion fiscale. Leur statut particulier est d’ailleurs parfaitement résumé par l’administration qui rappelle que « le trust est une institution répandue dans des systèmes juridiques étrangers, notamment anglo-saxons, mais inconnue en droit civil français » 1. Ce qui n’a pas empêché la jurisprudence de consacrer le fait que les trusts étrangers peuvent produire des effets en France2 dès lors qu’ils ne comportent pas de dispositions contraires à l’ordre public français.
C’est donc la jurisprudence qui, initialement s’est attachée à fixer le traitement fiscal applicable aux trusts, en laissant toutefois subsister de nombreuses interrogations.
Depuis une dizaine d’années, toutefois, les trusts sont sortis progressivement de l’ombre sous l’impulsion du législateur. Cette mise en lumière a débuté par l’introduction, en 2007, dans l’ordre juridique français, de la fiducie qui se voulait être un « trust à la française ».
Ce dispositif n’a pas eu le succès escompté, du fait probablement des restrictions posées à sa mise en place (notamment, une fiducie ne peut être un outil de transmission, à la différence des trusts classiques).
Les trusts ont ensuite refait parler d’eux avec la loi de 2011 qui a précisé le régime fiscal devant leur être appliqué et ainsi levé une partie de l’insécurité juridique qui entourait leur utilisation. Cette réforme avait été instituée après que la première cellule de régularisation « Woerth » (2009) eut conduit les autorités fiscales à prendre conscience de l’ampleur de l’utilisation de telles structures à l’étranger, ce qui n’a d’ailleurs pas été démenti par la phase de régularisation ouverte depuis 2013.
Tout cela a donc contribué à clarifier le régime fiscal des trusts en France, qui tend à se normaliser, ainsi qu’en atteste encore la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 1er mars dernier : les Sages ont en effet censuré certaines dispositions de l’article 123 bis du CGI3 qui ne permettaient pas au contribuable d’apporter la preuve que la structure étrangère (en ce compris les trusts) n’avait pas été mise en place uniquement pour des fins d’optimisation fiscale.
Alors que leur régime fiscal se précise désormais, est-il possible d’imaginer que les trusts deviennent un outil de gestion patrimoniale à part entière pour les contribuables résidents de France ?
UN RÉGIME FISCAL QUI SE PRÉCISE
La loi de finances rectificative du 29 juillet 2011 a défini le régime fiscal applicable aux trusts, tant en matière d’impôt sur le revenu que d’ISF et de droits de mutation.
Certaines questions demeurent toutefois non entièrement réglées.
• En matière d’impôt sur le revenu, les distributions en provenance d’un trust sont assujetties au barème progressif de l’impôt sur le revenu ainsi qu’aux prélèvements sociaux (15,50 %). Comme on l’a vu, le bénéficiaire d’un trust pourrait également être taxable sur les revenus perçus par le trust et qui n’auraient pas été distribués, en application de l’article 123 bis du CGI. La décision récente du Conseil constitutionnel5 aboutira toutefois, sans doute, à ce qu’il puisse être fait échec à ce dispositif pénalisant à condition de démontrer que le trust n’a pas été mis en place à des seules fins d’optimisation fiscale.
• En matière d’ISF, le législateur a prévu un rattachement des avoirs placés en trust au patrimoine du constituant. Il n’a pas retenu d’exception en fonction du caractère révocable ou non, et discrétionnaire ou non, du trust. La taxation à l’ISF des biens et droits placés en trust s’effectue suivant les règles de droit commun applicables à cet impôt. En particulier, les dispositifs d’exonération prévus par le CGI (oeuvres d’art, titres soumis à engagement de conservation) sont transposables aux biens et droits placés en trust.
En matière de droits de mutation à titre gratuit, sont assujetties à l’impôt toutes les transmissions réalisées par l’intermédiaire d’un trust, qu’elles puissent être ou non qualifiées de donation ou de succession au regard des règles de droit commun.
Si le législateur a manifestement souhaité couvrir l’ensemble des domaines de la fiscalité, il a mis de côté certaines questions. En particulier, rien n’est prévu concernant le transfert d’actifs dans le trust et qui seraient porteurs de plusvalues latentes (valeurs mobilières notamment). Un tel transfert, qui ne correspond juridiquement ni à une cession, ni à un apport, ni à une libéralité, peut-il être réalisé en toute neutralité fiscale ? Sur ce point, la position de l’administration semble être assez restrictive puisqu’elle a tendance à y voir une « cession » rendant donc taxable les plus-values latentes. Mais cette position, non véritablement officielle, n’a jamais pu être confirmée, et elle pourrait d’ailleurs être contredite par la comparaison qui peut être faite avec le régime de la fiducie qui, lui (et sous certaines conditions), prévoit bien un régime de neutralité au placement de biens en fiducie.
En résumé, la législation fiscale française a donc fortement évolué ces dernières années et, bien qu’encore imparfaite, un grand nombre d’incertitudes ont pu être levées, ce qui permet d’inscrire ce dispositif dans un cadre légal globalement sécurisé. Si le régime mis en place ne comporte pas de réels attraits fiscaux, ces inconvénients sont à relativiser face à la souplesse offerte par certains trusts, laquelle pourrait permettre d’aborder sous un angle nouveau certaines opérations patrimoniales.
UN OUTIL DE GESTION DE PATRIMOINE ENCORE SOUS-ESTIMÉ
Sans qu’il soit possible d’en dresser une liste exhaustive, les trusts sont utilisés dans une large gamme de situations :
- pour constituer des sûretés ou des garanties en matière bancaire ou financière ;
- pour protéger les biens personnels d’un dirigeant d’entreprise ;
- pour mettre en place un système privé de pensions de retraite ;
- à des fins de gestion et de structuration patrimoniale.
Les trusts offrent ainsi une véritable alternative dans la mise en place d’une stratégie patrimoniale. Deux exemples pourront être donnés aux fins d’illustration.
Le trust peut tout d’abord être utilisé pour constituer un patrimoine dont les revenus serviront à financer le train de vie d’un conjoint survivant ou d’une personne incapable durant sa vie, avant que le patrimoine ne soit lui-même transmis à une autre classe de bénéficiaire. Il peut également désigner des « bénéficiaires conditionnels » (réservant par exemple l’attribution de certains actifs à l’obtention d’un diplôme, ou à l’atteinte d’un certain âge). Le trust offre ainsi une alternative intéressante au mécanisme de démembrement de propriété mieux connu en France. Il permet notamment de dissocier la propriété économique des biens mis en trust de leur gestion.
Dans le même esprit, le trust peut servir d’outil dans le cadre d’une transmission d’entreprise. Prenons l’exemple d’un chef d’entreprise qui souhaite transmettre sa société à ses héritiers alors même qu’aucun d’entre eux ne se prédestine à en reprendre les commandes. Les parts de la société pourraient ainsi être placées dans un trust dont les héritiers, voire également le constituant, seraient les bénéficiaires. Le trust deed serait alors rédigé pour définir précisément les modalités selon lesquelles la société devra être gérée.
Les trusts peuvent donc permettre, en définitive, de placer certains actifs à l’abri et sous la responsabilité d’une personne de confiance, choisie par le constituant, et de déterminer librement les bénéficiaires ainsi que les conditions dans lesquelles ces derniers pourraient se voir attribuer les revenus ou les actifs ainsi placés. Peut-être le moment est-il venu de faire confiance aux trusts ?
Éric Chartier et Julien Bellet, avocats associés, Altitude Avocats
Éric Chartier est avocat depuis 12 ans et a développé une expertise en fiscalité patrimoniale et contentieux, avec une forte dimension internationale.
Julien Bellet, avocat aux barreaux de Paris et de New York, est spécialisé dans les questions fiscales relatives aux dirigeants (management packages notamment) et personnes fortunées. Ils ont fondé fin 2016 le cabinet Altitude Avocats.
1. BOI-DJC-Trust-20150304 n° 1
2. CA Paris, 10 janvier 1970, Courtois c/ consorts de Ganay
3. Rappelons que cet article prévoit qu’un contribuable résident de France et qui détient au moins 10 % de droits dans une entité située dans un pays à fiscalité privilégiée est taxable personnellement sur les revenus perçus par cette entité
4. Conseil constitutionnel, décision n° 2016-614 QPC du 1er mars 2017
5. Décision 2016-614 précitée