Directeurs juridiques, le sens de la tech
Insuffler un vent d’innovation juridique et convaincre sa direction puis ses collaborateurs, identifier, tester et utiliser les outils digitaux des legaltechs… : le directeur juridique doit aujourd’hui être un expert dans son domaine, doté d’une intelligence collective, de compétences techniques, humaines et digitales. Un juriste aux multiples savoir-faire : un juriste augmenté.
Un manager d’équipe innovant et convaincant
Sur la base d’un référentiel de compétences du juriste augmenté qu’il a développé, l’Edhec Augmented Law Institute, en partenariat avec l’AFJE, a réalisé une étude auprès de 100 leaders du droit en leur demandant quelles étaient les compétences clés du juriste augmenté ? Christophe Roquilly, professeur et directeur de l’Edhec Augmented Law Institute, nous dit ce que révèle cette grande enquête : "Nous sommes partis du constat suivant : le juriste formé à la matière juridique est doté d’une intelligence singulière, celle d’un expert du droit. Mais aujourd’hui, cette expertise juridique n’est plus suffisante. Pour performer, le directeur juridique et ses équipes doivent avoir également des compétences business, digitales et comportementales. Ces compétences vont en effet lui permettre de passer d’une intelligence singulière et individuelle, à une intelligence multiple et collective." Car pour le directeur de l’Edhec Augmented Law Institute, même si l’intégration des outils digitaux est indispensable, "le plus important est d’assurer une montée en compétences des équipes grâce à ces outils. Ce qui restera, finalement, ce seront les talents de l’équipe et comment elle crée de la valeur pour l’entreprise."
Construire et mettre en œuvre une transformation digitale
La digitalisation des directions juridiques s’accompagne ainsi d’une transformation humaine et organisationnelle des départements juridiques. Avant toute décision relative aux outils digitaux qui pourraient lui permettre d’améliorer sa performance, le directeur juridique doit donc prioritairement s’interroger sur ses missions et les définir, au regard du business de l’entreprise, de ses valeurs, de sa stratégie et des objectifs de performance. Il devra convaincre sa direction générale de l’utilité de consacrer une partie du budget à la digitalisation. Les directions juridiques ont un challenge passionnant devant elles : construire et mettre en œuvre une transformation digitale destinée à améliorer leur performance.
Directeurs juridiques et legaltechs : un duo gagnant
Être au cœur même de l’innovation pour les directeurs juridiques est donc un vrai défi et les legaltechs font désormais partie du quotidien de ces professionnels. Elles mettent au service des juristes des technologies performantes et nombre d’entre elles proposent d’ailleurs de tester leur offre. C’est le cas notamment de Gino LegalTech spécialisée dans la gestion et l'automatisation du cycle de vie contractuel : "Dès le lancement, nous avons imaginé une phase pilote afin d’accompagner nos clients dans leur mutation numérique en matière contractuelle. Les outils sont de plus de plus intuitifs, mais notre expérience et notre équipe de juristes sont des atouts précieux dans la réussite des projets que nous menons", explique Cyril de Villeneuve, dirigeant de la legaltech aux côtés d'Audrey Ellis et de Philippe Ginestié. "Pour cette phase pilote d’une durée de trois mois, nous recommandons au sponsor du projet d'identifier généralement deux à trois personnes volontaires, enthousiastes et disponibles. Dans le cadre d'une méthodologie éprouvée, des sessions régulières en présentiel ou à distance sont organisées. Cet accompagnement personnalisé, animé par nos juristes experts, permet de configurer très rapidement les différents modules de la plateforme (automatisation, production, workflow, négociation, e-signature, gestion, reporting...) et de constituer une première bibliothèque de contrats automatisés", ajoute Cyril de Villeneuve. Pour lui, "il est important d'inclure également très en amont les besoins des utilisateurs non juristes pour que la plateforme soit très vite accessible au plus grand nombre, seul moyen de changer les usages au sein de l'entreprise et d'obtenir l'adhésion." Cyril de Villeneuve conclut : "Pour choisir son outil, le directeur juridique doit prendre en compte plusieurs critères : la légitimité de la société et de ses fondateurs, la vision et l'agilité de la société, le périmètre fonctionnel de la solution et les références clients."
Nul ne peut ignorer le legal design
Dans le marché des legaltechs, une nouvelle solution a le vent en poupe : le legal design qui séduit les avocats et les directeurs juridiques qui veulent innover dans la représentation du droit et ainsi développer leur créativité. Sihem Ayadi Dubourg, fondatrice et présidente de Juridy Legal Design, et ancienne directrice juridique d’Auchan Retail, explique : "Je dis souvent qu’avec le legal design, nul n’est censé ne pas comprendre la loi. Car grâce à cette méthode qui simplifie la compréhension de l’information juridique, le droit va devenir accessible et engageant. C’est une véritable révolution pour les directions juridiques et les avocats. Il ne faut en effet pas réduire le legal design à un seul travail de restitution visuelle de documents juridiques simplifiés à l’aide de schémas, de graphismes, de tableaux, d’infographies… Cette méthode est une vraie ouverture à l’autre, à son équipe, à son client." Si le concept de legal design est bien implanté dans les pays anglo-saxons, Sihem Ayadi Dubourg estime qu’en France, "nous sommes encore en phase de pédagogie, d’appropriation de cette méthode. Mais je me réjouis de constater qu’il y a de plus en plus d’acteurs présents dans ce domaine. Tous ensemble, nous allons pouvoir expliquer au plus grand nombre ce qu’est le legal design afin de le rendre incontournable. Les professionnels du droit commencent à comprendre la valeur ajoutée du legal design. Cette année, nous passerons à la phase déploiement. J’en suis convaincue, les tribunaux et les administrations l’utiliseront pour faciliter l’accès et la compréhension du droit !"
La direction juridique au sein d’une legaltech
Grégoire Hanquier a rejoint en septembre 2020 la plateforme spécialiste de la compliance RGPD, Data Legal Drive au poste de directeur juridique, conformité et affaires publiques. Le professionnel qui a ainsi intégré le codir (comité de direction) de la legaltech devient partie prenante des décisions stratégiques de l’entreprise : "Si les grands groupes ont intégré depuis longtemps la dimension “business partner” du directeur juridique et de ses équipes, ce n’est pas encore le cas dans une grande majorité des PME et ETI. Cette création de poste témoigne qu’une évolution s’opère." Grégoire Hanquier a ainsi pour mission, au-delà de la gestion des problématiques contractuelles, corporate, de compliance interne, de conseils aux opérationnels, d’accompagner les équipes produits dans l’appréhension des conformités multiples qui sont le quotidien des clients. "Nous avons une demande très forte, nous sommes passés de 500 à 800 clients. Les sanctions prononcées par la Cnil ont démontré la nécessité pour les entreprises de se mettre en conformité et d’assurer le maintien de cette conformité dans le temps. Le RGPD devient un élément essentiel dans la gouvernance de l’entreprise. L’écoute des besoins de nos clients, de nos utilisateurs (DPO, compliance officers, juristes, avocats, etc.) est primordiale pour mieux les accompagner", assure le directeur juridique qui se réjouit notamment de compter parmi ses clients l’AFJE.
En ces temps de crise sanitaire qui a notamment accéléré la digitalisation des directions juridiques, le couple juristes d’entreprise et legaltech n’en est qu’au début de son histoire…
Séverine Tavennec