Professions du droit : quand la santé mentale n'est plus taboue
55%. C'est la part des professionnels du droit interrogés dans le cadre de l’enquête Décideurs Juridiques sur le bonheur au travail qui estime que leur environnement professionnel préserve leur vie personnelle. Un bilan globalement positif, et ce, alors même que les avocats, les notaires, les huissiers de justice et les juristes de tout bord occupent des fonctions susceptibles de leur causer du stress.
Impact partagé
Les risques psychosociaux (ou RPS), tels que définis par le ministère du Travail, recouvrent "des risques professionnels d’origine et de nature variées, qui mettent en jeu l’intégrité physique et la santé mentale des salariés et ont, par conséquent, un impact sur le bon fonctionnement des organisations". Le terme, qui a fait son apparition en France dans les années 2000, était au départ assimilé à la notion de stress, devenue par la suite l’une des manifestations des RPS. L’Institut national de recherche et de sécurité au travail (INRS) recense en effet les trois situations qui favorisent l’apparition de ces risques : le stress, soit le déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes de son environnement de travail et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ; les violences internes commises au sein de l’entreprise par des salariés (harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes) ; les violences externes commises sur des salariés par des personnes externes à l’entreprise (insultes, menaces, agressions…). Il faut donc comprendre que de nombreux facteurs comme une très grande charge de travail ou des rapports professionnels conflictuels favorisent l’apparition de ces RPS, lesquels se traduisent ensuite par des atteintes à la santé du salarié plus ou moins graves, d’ordre physique ou mental (fatigue, nervosité, troubles de la concentration, du sommeil, irritabilité…)
En droit du travail, seule l’obligation générale de sécurité, prévue par l’article L. 4121-1 du Code du travail, pèse sur l’employeur. Il lui appartient donc d’évaluer tous les risques susceptibles de peser sur ses salariés, et de prendre les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité, leur santé physique et mentale. La définition proposée en 2011 dans le rapport Gollac par le collège d’expertise sur le suivi des RPS mis en place par le ministre du Travail fait aujourd’hui consensus : les RPS sont "les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental". Deux accords nationaux interprofessionnels, portant sur le stress au travail (signé en 2008), le harcèlement moral et la violence au travail (signé en 2010), ont par ailleurs été négociés par les partenaires sociaux afin d’aiguiller les employeurs. Ces derniers détiennent désormais les clefs pour mieux identifier les facteurs susceptibles de favoriser l’apparition des RPS. En pratique, la tâche reste encore complexe.
Avec une moyenne de 2,8/5 attribuée par les professionnels du droit à la prévention des risques psychosociaux, il semble clair qu'il reste encore du chemin à faire en la matière. Pourtant, détecter les RPS et les prévenir aura un impact positif sur les deux parties : les professionnels d’une part, qui travailleront plus sereinement et efficacement, et les cabinets d’avocats ou directions juridiques qui, en assurant un cadre de travail équilibré à leurs collaborateurs, préserveront durablement leurs équipes. L’absentéisme, le turnover ou les burn-outs pourront ainsi être évités.
Un taux élevé de stress
Depuis le début de la crise sanitaire, beaucoup d’entreprises ont saisi l'enjeu lié à la prévention des RPS. D’autres l'avaient déjà intégré dans leur culture, notamment depuis 2017, quand la prévention des RPS s'est vue associée à la promotion de la qualité de vie au travail et à la notion de bien-être au travail. Avant même le début de la crise, plusieurs études indiquaient une augmentation du taux d’absentéisme salarial et des niveaux de stress de plus en plus élevés, relevant que les risques psychosociaux étaient devenus le deuxième motif d'arrêt de travail en 2020. Un constat inquiétant exacerbé par la pandémie. En cause notamment : le stress causé par la situation anxiogène du télétravail et les nouvelles méthodes de collaboration imposée dans l’urgence. Dans le monde du droit, le stress reste très présent : les personnes interrogées l’évaluent en moyenne à 3,6/5.
Les juristes sensibles à la prévention des RPS
Pour 53 % des professionnels interrogés, le niveau de stress se situe entre 4 et 5 (5 étant le niveau le plus élevé). De quoi laisser penser que les managers ne saisissent pas encore suffisamment l’enjeu que représente la prévention des RPS. Leur apparition peut être liée à des causes différentes entraînant des effets très variés selon les personnes, ce qui explique que leur détection reste complexe. Cependant, au vu des résultats récoltés dans le cadre de notre sondage, les professionnels du droit paraissent dans l’ensemble plutôt sensibles à ces problématiques. Les juristes, toutes professions confondues, attribuent ainsi la note moyenne à 4,01/5 à l’importance qu’ils accordent à la prévention des risques psychosociaux.
Trente-cinq pour cent des répondants à notre sondage ont évalué entre 4 et 5 l’importance qu’ils accordent à la prévention des risques psychosociaux. Parmi eux, les professionnels occupant des fonctions stratégiques au sein de cabinets d’avocats ou de directions juridiques ont alloué des notes plutôt élevées : 4/5 pour les associés de cabinets d’affaires, 4,4/5 pour les directeurs juridiques et 5/5 pour les secrétaires généraux d’entreprise. Les notaires ont quant à eux attribué la note de 4/5 et les élèves avocats celle de 5/5. La note la plus basse, mais qui reste plutôt bonne, de 3,7/5, est attribuée par les avocats collaborateurs ayant répondu au sondage. Les managers se sentiraient-ils davantage concernés ?
Apprivoiser les RPS
La prévention des RPS préoccupe tous les professionnels du droit, quelle que soit leur fonction. Au sein même de la profession d’avocat, le sujet fait l’objet de plus en plus d’études : la commission droit social du barreau de Paris présentait au mois de janvier 2020 son rapport sur les risques psychosociaux et le harcèlement moral. La preuve que les instances représentatives perçoivent les nombreux risques d’atteinte à la santé physique et mentale des avocats. Par ailleurs, des cabinets de conseil, entièrement consacrés aux problématiques de QVT, RPS ou encore RSE commencent à voir le jour. Le cabinet Hominum Juris, créé par Maïder Lecomte Dufresne, à la fois avocate et sophrologue, s’occupe exclusivement aux risques psychosociaux de l’avocat et des professions juridiques.
Ces initiatives visent à prévenir les effets parfois dévastateurs des RPS sur la santé des professionnels du droit : des burn-outs ou des dépressions nerveuses et des pathologies graves comme des ulcères, des troubles cardiovasculaires, psychosomatiques voire dans les cas extrêmes des suicides pour les conséquences physiques. À mesure que la notion des RPS se précise dans le paysage des entreprises françaises, les structures juridiques doivent elles aussi rester vigilantes pour favoriser autant que possible le bien-être de leurs collaborateurs. L’enjeu de la prévention des RPS n’est pas à prendre à la légère.