Renforcement du contrôle et des actions à l’encontre des centrales internationales
Depuis le début des années 1990, les distributeurs français ont constitué des centrales internationales, généralement implantées en Suisse ou en Belgique, pour répondre à l’exigence de prix bas et à l’offre relativement concentrée des produits de marque nationale. Du point de vue de la Commission européenne, de telles alliances ont des effets bénéfiques en termes de prix ou d’innovation. Cela étant, le développement des centrales internationales conduit à une certaine méfiance, justifiée ou non, quant aux raisons de ce déplacement de la négociation à l’étranger.
Les principales alliances européennes sont AMS, EMD (European Marketing Distribution), CWT (Carrefour World Trade), Coopernic (Coopérative européenne de Référence et de Négoce des Indépendants Commerçants), AgeCore (fusion entre Agenor et Core), Eurelec (Europe – Rewe- Leclerc), Horizon International…
Ces centrales internationales se voient confier des missions différentes par leurs membres : négociation et vente de services internationaux en parallèle des négociations commerciales, négociation des conditions commerciales et référencement de fournisseurs et négociation et achat des produits aux fournisseurs puis revente aux membres de la centrale. C’est en 2018 que le sujet des centrales internationales est devenu d’actualité dans le prolongement de l’adoption de la loi Egalim.
« Nombre de fournisseurs ont exprimés leurs inquiétudes face au développement de telles centrales »
En effet, dans son rapport du 25/09/2018, la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale a relayé les inquiétudes exprimées par nombre de fournisseurs face au développement de telles centrales, en faisant état de services négociés de manière critiquable et de la difficulté d’appréhender de telles centrales internationales en France.
Dans le prolongement de cette Commission d’enquête, la loi d’Accélération et Simplification de l’Action Publique du 7/12/2020 (dite loi "ASAP") a ajouté un quatrième volet à l’article L. 441-3 III du Code de commerce qui impose désormais de mentionner dans la convention unique : "L’objet, la date, les modalités d’exécution, la rémunération et les produits auxquels il se rapporte de tout service ou obligation relevant d’un accord conclu avec une entité juridique située en dehors du territoire français, avec laquelle le distributeur est directement ou indirectement lié".
La rédaction volontairement large et souple du nouveau texte vise à appréhender les centrales de services mais également tous types d’accords qui lient directement ou indirectement le distributeur à l’entité juridique située en dehors du territoire français. Cette rédaction relativement simple soulève, en pratique, une certaine complexité notamment pour déterminer la rémunération lorsque la négociation est effectuée globalement pour plusieurs pays. La mention des rémunérations de services internationaux dans les conventions annuelles révèle la récente volonté d’appréhension des centrales internationales par le droit français. Cette tendance est confirmée en pratique par les procédures engagées par le ministre de l’Économie à l’encontre des centrales internationales :
- assignation, le 19/07/2019, d’Eurelec devant le Tribunal de commerce de Paris au motif qu’Eurelec aurait contourné la loi française pour imposer des baisses de tarifs importantes sans contrepartie.
Le ministre demande au tribunal de prononcer une amende de 117 millions d’euros correspondant au montant des sommes indûment perçues :
- sanction administrative de 6,34 millions d’euros prononcée fin 2019 à l’encontre d’Eurelec pour ne pas avoir conclu une convention annuelle le 1er mars au plus tard.
- assignation, le 19/02/2021, d’Agecore et Intermarché Belgique au motif qu’elles auraient imposé aux fournisseurs la conclusion préalable d’un contrat international pour continuer à distribuer les produits en France. Le ministre demande au tribunal de prononcer une amende de 150,75 millions d’euros (1% du CA réalisé par Intermarché en France).
Ces actions posent de nombreuses questions et, en premier lieu, celle de l’applicabilité du droit français aux contrats conclus par des centrales Internationales, contrats que l’on suppose soumis à une loi étrangère et à une juridiction étrangère ou à l’arbitrage. Dans un avis n°19-7, la CEPC a précisé que l’article L. 441-7 du Code de commerce (L. 441-3 actuel) peut être qualifié de loi de police au sens de l’article 9§1 du règlement Rome 1 et s’imposer aux parties si la relation commerciale présente un lien de rattachement suffisant avec la France.
En pratique, toutes les décisions rendues en matière de pratiques restrictives de concurrence, dans le cadre d’une action engagée par le ministre de l’Économie ont donné lieu à l’application de la loi française par les juridictions françaises saisies (affaire Booking, TC Paris, 24/03/2015, CA Paris, 15/09/2015 ; affaire Expédia, TC Paris, 7/05/2015, CA Paris, 21/06/2017, Cass. Com., 8/07/2020 ; affaire Amazon, TC Paris 2/09/2019 ; affaire Subway, TC Paris, 13/10/2020).
S’agissant de la compétence des juridictions françaises, le Tribunal de commerce de Paris s’est récemment déclaré compétent pour connaître de l’affaire Eurelec (ci- dessus), rejetant les demandes de questions préjudicielles au motif notamment que les négociations avaient lieu en France et que le Galec ayant déréférencé des fournisseurs qu’il a transférés à Eurelec, il y a un lien et une connexité entre les défenderesses justifiant qu’elles soient attraites devant la même juridiction (TC Paris 15/04/2021).
L’affaire AgeCore (ci-dessus) apporte, quant à elle, des enseignements intéressants s’agissant de la question du secret des affaires (L.151-1 C.com). En l’espèce, ITM AI s’est aperçue que de nombreuses pièces communiquées par le ministre au soutien de son assignation contenaient en l’état des informations confidentielles vis-à-vis d’AgeCore, le risque étant que ces informations se retrouvent en possession de ses concurrents via cette centrale. Dans un arrêt du 8 avril 2021, la Cour d’appel de Paris relève que les pouvoirs d’enquête du ministre ne lui permettent pas de divulguer, sans aucune contrainte, des secrets. Le ministre de l’Économie doit s’assurer de délivrer une version expurgée de l’ensemble des données confidentielles tant en ce qui concerne l’assignation que les pièces produites à son appui.
Les autorités françaises ne sont pas les seules à s’intéresser aux centrales internationales. La Commission européenne enquête, de son côté, sur les pratiques de Casino et Intermarché au sein de la centrale Inca (qui avait été créée entre Intermarché et Casino en 2014).
SUR LES AUTEURS :
Violaine Ayrole et Richard Renaudier sont associés au sein du cabinet Renaudier, qui est dédié exclusivement au droit économique et qui est l’un des cabinets d’avocats français les plus actifs dans ses principaux domaines d’activité – distribution, concurrence, concentrations – tant en conseil qu’en contentieux.