Responsabilité pénale : la protection du dirigeant devrait passer par une incitation financière
"La loi Sapin 2 tend vers l’uniformisation des systèmes juridiques français et internationaux et responsabilise les entreprises en les soumettant à un volet d’obligations inédites en matière de lutte contre la corruption." La directrice juridique de MicroPort, Alice Flacco, replace ainsi le sujet dans son contexte. Mais en créant une procédure permettant au procureur de la République de conclure une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) avec une personne morale mise en cause pour des faits de corruption, de trafic d’influence, de fraude fiscale, de blanchiment de fraude fiscale ou de toute infraction connexe, le texte exclut les chefs d’entreprise de ce nouveau dispositif de justice négociée. Ils peuvent être poursuivis même après la signature d’une CJIP par leur entreprise et leur responsabilité pénale peut être directement engagée.
La conformité dans les KPI des dirigeants
Soulignant le déséquilibre dans le rapport de forces entre le Parquet national financier et les dirigeants qu’il défend, le pénaliste Benjamin Grundler, associé chez Visconti & Grundler, constate "une volonté des autorités de poursuite de faire remonter la responsabilité dans la hiérarchie". À ce sujet, Philippe Coen, le directeur juridique France de la Walt Disney Company, constate, lui, "une certaine violence étatique envers les dirigeants" qui pourrait selon lui, compromettre l’attractivité du pays pour les investisseurs et les entrepreneurs étrangers.
Une fois mis en cause, le chef d’entreprise peut encourir des peines d’amende, voire d’emprisonnement, ainsi que certaines autres sanctions dites privatives ou restrictives de droits (comme l’impossibilité d’occuper des fonctions de direction). S’interrogeant sur l’efficacité de ces peines historiques, Philippe Coen affirme qu’il faut moderniser la réflexion sur la répression et la prévention des infractions applicables aux dirigeants. Il relève que "ce qui effraye les entreprises aujourd’hui ce n’est pas que leur dirigeant se retrouve en prison mais plutôt les répercussions de cette potentielle condamnation sur l’image de la marque". Les scandales frappant le monde des affaires étant fréquemment révélés par la presse, leurs conséquences peuvent être lourdes pour les entreprises dont les dirigeants sont poursuivis par la justice pour fraude fiscale, corruption ou trafic d’influence. Il en est de même pour les dirigeants, habituellement écartés de manière rapide et discrète par la société mise en cause.
Or, "le dirigeant d’entreprise va bientôt devenir une espèce en voie de disparition à la vitesse où va la pénalisation du monde des affaires, réagit Philippe Coen, de la même manière qu’il n’y aura plus d’élus à force d’acharnement judiciaire sur nos décideurs politiques". Un des moyens pour y remédier, poursuit le directeur juridique et fondateur de l’association Respect Zone, "est d’introduire des mécanismes incitant à la diffusion du droit dans tous les arcanes des entreprises. Et, pour y parvenir, inclure dans la gestion des carrières la notion de conformité aux lois. " Autrement dit, adopter un texte imposant l’obligation pour les entreprises d’inscrire dans les KPI des cadres des critères d’évaluation des mesures adoptées en faveur du respect de la loi. De l’implication des dirigeants dans la compliance dépendra une partie de leur rémunération. Cette logique, faisant prévaloir la prévention des infractions pénales sur leur répression, placerait la France à l’avant-garde de n’importe quel autre pays du monde dans la lutte contre les comportements répréhensibles.