Toutes les inventions, y compris celles à base d’Intelligence Artificielle (IA), sont soumises aux mêmes conditions de brevetabilité. Mais un critère particulièrement difficile à remplir pour l’IA est celui de la suffisance de description. Catherine Caspar, Ingénieur Centrale-Supelec et CPI chez Novagraaf Technologies nous livre ses réflexions à ce sujet.

La suffisance de description : un critère de validité d’un brevet

Le critère de suffisance de description est un des critères importants de validité d’un brevet. Un brevet peut être annulé par décision de justice pour insuffisance de description. Il a pu être observé que le non-respect de ce critère est très fréquemment invoqué devant les tribunaux français.

Comment est défini le critère de suffisance de description ?

Les inventions mises en œuvre par ordinateur et, en particulier, celles dans le domaine de l’Intelligence Artificielle (IA) n’échappent pas à cette exigence. Selon ce critère, une invention doit être exposée dans la demande de brevet de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter.

La condition de suffisance de l’exposé se rapporte à l’invention revendiquée, celle qui est définie par une combinaison de caractéristiques structurelles et fonctionnelles dans les revendications. L’homme du métier doit, en s’aidant de ses connaissances générales et sur la base du contenu de la demande de brevet être en mesure de réaliser l’invention sur toute la portée de chaque revendication. L’invention doit pouvoir être reproduite sans effort excessif.

Un ou plusieurs modes de réalisation doivent être divulgués de sorte à permettre de définir comment réaliser l’invention dans toute sa portée, telle que revendiquée.

Comment ce critère s’applique-t-il aux inventions à base d’IA ?

En pratique, l’originalité d’une solution à base d’IA peut résider dans différents aspects susceptibles d’être revendiqués : l’utilisation d’un algorithme spécifique, une méthode d’entraînement spécifique reposant sur une fonction de coût et/ou une méthode d’ajustement des paramètres de l’algorithme pendant l’entraînement, le choix des hyperparamètres de l’algorithme, la nature et la typologie des données d’entraînement, le prétraitement des données d’entraînement. C’est très souvent une combinaison de ces différents aspects qui permet à la solution à base d’IA d’être efficace pour une application donnée. Ce sont ces aspects qui devront être suffisamment décrits.

Description de l’algorithme au cœur du moteur d’IA

Lorsque l’algorithme d’IA est un algorithme connu utilisé comme une " boîte noire " réalisant une fonction donnée, sans que son paramétrage n’ait d’incidence sur l’objectif technique défini par l’invention revendiquée, citer des exemples d’algorithmes utilisables pourra être suffisant si l’on précise bien quelles seront les données d’entrées et de sorties de cette " boîte noire " et la fonction qu’elle réalise.

Dans le cas d’utilisation d’un algorithme connu ou dont le code informatique est à la disposition du public avec une configuration spécifique à une application, il ne sera a priori pas nécessaire de décrire en détail l’algorithme. Mais il faudra décrire comment ce code informatique est adapté à l’application visée.

Dans le cas d’un algorithme qui n’est pas standard ou dont le code n’est pas à la disposition du public, cet algorithme devra être décrit précisément, sous forme mathématique et logique avec un ou plusieurs organigrammes présentant un déroulement temporel. Il en va de même pour les variantes des algorithmes standards avec une optimisation des traitements ou l’utilisation de boucle de rétroaction non standard ou encore de fonctions de coût non standard.

Les autres aspects à décrire

Une fois que l’algorithme est décrit de manière adéquate, l’homme du métier ne dispose pas nécessairement d’informations suffisantes pour mettre en œuvre l’invention revendiquée. En d’autres termes, l’invention n’est pas suffisamment divulguée. Il peut être nécessaire de décrire au moins l’un des éléments suivants :

- quelles sont les données d’entraînement qui sont fournies à l’algorithme, en quelle quantité et sous quel format ;

- la manière dont l’algorithme est entraîné ;

- le critère utilisé pour mettre fin à l’entraînement ;

- les coefficients ou poids de l’algorithme entraîné.

Pour tous ces aspects, on doit être en mesure de comprendre la relation entre ce qui est décrit et les caractéristiques revendiquées.

La question délicate des données d’entraînement

Les données d’entraînement peuvent comprendre des données accessibles au public et/ou non accessibles au public, par exemple des données spécifiques à l’application visée.

Pour des données d’entraînement non accessible au public, la question se pose de savoir si une description générale et statistique de ces données sera suffisante.

Prenons l’exemple d’un algorithme de classification automatique entraîné par apprentissage supervisé auquel on fournit en entrée des images de chien ou chat et qui fournit en sortie une classe indiquant si cette image représente un chien ou un chat. Indiquer que 100 photos de chats et 100 photos de chiens sont utilisées ne suffira généralement pas. Il faudra indiquer comment on garantit une variabilité, au sein de l’ensemble des images d’entraînement, de paramètres d’image clefs permettant la distinction entre chiens et chats.

Quelle stratégie de protection faut-il adopter ?

Le déposant d’une demande de brevet pourrait en outre avoir des réticences à divulguer comment il a constitué le jeu de données d’entraînement, au motif qu’un concurrent pourrait en tirer profit en l’utilisant pour entraîner, rapidement et à moindre coût, un algorithme différent.

C’est l’une des raisons pour lesquelles il peut être préférable de protéger uniquement l’algorithme obtenu après entraînement. Cette option est avantageuse également en ce qu’elle protège directement le produit commercial constitué par l’algorithme entraîné plutôt que sa méthode d’obtention.

Il est ainsi vivement recommandé de réfléchir au cas par cas sur les différentes solutions de protection et l’identification des aspects pouvant être protégés par brevet.

SUR LES EXPERTS. Catherine Caspar, Sylvain Chaffraix et Martin Kohrs sont ingénieurs brevets et Conseils en Propriété Industrielle spécialisés dans les technologies de l’information et de la communication chez Novagraaf en France. Ils accompagnent leurs clients pour la protection, la défense, la surveillance et la valorisation de leurs inventions technologiques.

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