Plaidoyer pour une France fédérale
Décideurs. Aucun élu, de gauche comme de droite, ne défend la création d’un régime fédéral. Comment l’expliquer ?
Grégory Berkovicz. Dans l’Hexagone, le mot de fédéralisme est tabou. Depuis la Révolution française, le terme a été totalement banni de l’univers républicain. De manière consciente ou non, la notion de fédéralisme est perçue comme une négation de l’État, du contrat social, de la nation, ce qui est bien évidemment faux. La plupart de nos voisins européens sont parfaitement unis et possèdent pourtant une forme fédérale. Dans l’Hexagone en revanche, le terme de décentralisation est présent dans le débat public et une décentralisation très poussée reviendrait à une forme de fédération…
Une des caractéristiques d’un État fédéral est l’importance accordée aux langues locales. En France, la tradition consiste globalement à les faire taire…
Là encore, il s’agit d’une tradition historique qui remonte à l’Abbé Grégoire mais aussi aux hussards noirs de la République qui ont voulu créer une nation linguistiquement homogène. Cela s’explique par une peur de la liberté et une idée saugrenue : si les langues régionales se développent, le français va disparaître. Cette crainte est infondée puisque, dans tous les pays qui favorisent l’usage des langues régionales, l’idiome national reste vivace. De manière sous-jacente, cela traduit parfaitement la peur que les dirigeants de l’État central ont des citoyens. Dans notre pays, le pouvoir ne cherche pas à déléguer mais à tout centraliser. Et les personnes formées à l’ENA ou à Polytechnique sont très attachées à cette vision des choses. S’il est impensable de supprimer les grands corps, il est vital de mieux encadrer la haute administration, de la limiter à quelques missions dans lesquelles elle excelle.
Quels sont les défauts d’un régime trop centralisé comme le nôtre ?
Une structure si lourde qui intervient dans tant de domaines ne peut être efficace, manque d’agilité, et de capacité à prendre les décisions au plus près du terrain. C’est factuel et observable : une organisation de grande taille qui intervient dans de multiples domaines ne peut pas être fonctionnelle. Nous nous retrouvons dans une situation où ceux qui se chargent de faire respecter les règles n’en comprennent parfois pas plus le sens que ceux qui y sont soumis.
Mais il existe un autre problème encore plus grave. Je suis persuadé que l’ultracentralisation est la raison principale qui explique la rupture si nette entre les citoyens et leurs gouvernants. Le rejet dont souffrent la haute administration et la technocratie ne peut se guérir qu’à une seule condition : rapprocher la décision politique du citoyen.
"L'ultracentralisation est la raison principale qui explique la rupture entre les citoyens et leurs gouvernants"
En quoi une France fédérale permettrait-elle de renforcer le lien entre citoyens et dirigeants ?
La proximité entre le citoyen et les dirigeants devrait permettre de restaurer la confiance. Les décisions seront comprises, les Français se sentiront davantage associés à leurs dirigeants, participeront davantage à la vie civile. Le projet que je défends instaure une grande liberté de décision au plus près des territoires, c’est fondamental.
Pourtant, les maires sont proches de leurs citoyens, les députés sont souvent ancrés sur le territoire. Qu’est-ce que le fédéralisme apporterait de plus ?
Les maires sont effectivement proches des citoyens. Du reste, ils sont les élus dans lesquels les Français ont le plus confiance. Demandez à nos concitoyens qui est l’élu de confiance, on vous répondra le maire. Seul hic, ils n’ont quasiment aucunes prérogatives. Certes, ils possèdent la clause de compétence générale et peuvent faire beaucoup sur le papier. Mais ils disposent de peu de budget et peu d’autonomie fiscale. Les communes, même les plus grandes, sont dans les faits totalement soumises à la volonté de l’État de financer ou non un projet.
S’agissant des députés, ils sont sur des périmètres illisibles. Je connais même des députés qui hésitent sur le découpage de leur circonscription tant il est aberrant. Un député est le représentant de la nation et pas d’un territoire. C’est la raison pour laquelle mon livre milite pour une représentation proportionnelle sur des listes nationales. Ainsi, les choses seront claires : les députés seront des représentants de la nation.
Votre ouvrage propose un projet de constitution. Quelles seraient les propositions les plus marquantes ?
Le Sénat ferait office de première Chambre et représenterait les territoires qui seraient des provinces. Ces dernières, qui correspondent à une réalité historique, disposeraient d’une véritable autonomie : microéconomie, social, culturel, mais aussi mobilité et énergie, des sujets vitaux qui compteront de plus en plus à l’avenir.
Trois principes sont importants : subsidiarité, commutativité et associativité. Ils permettront de diminuer la pression administrative puisque, si la ville ou la province est dotée d’une compétence, elle ne peut pas être exercée par un autre échelon. Ce serait une rupture par rapport à aujourd’hui où certaines compétences sont exercées par plusieurs échelons. Je songe notamment au sport.
Accorder plus de libertés aux territoires, c'est garantir le maintien de la République
Votre constitution retire la célèbre formule de nation libre et indivisible…
C’est logique, ce ne sera pas un État unitaire. Le principe fédéral fait primer la liberté, y compris celle d’imaginer qu’une province puisse sortir. Cela peut faire peur mais l’histoire nous montre que les mouvements sécessionnistes sont liés à un État trop fort qui étouffe les identités. Accorder plus de libertés aux territoires c'est garantir le maintien de la République.
Comment vos provinces se financeraient-elles ?
Avec une autonomie fiscale totale. L’État aurait sa propre fiscalité pour financer les fonctions régaliennes telles que la justice, l’armée, les affaires étrangères… Évidemment, le système fiscal provincial doit être respectueux des principes fédéraux, notamment en mettant en place des mesures pour éviter le dumping fiscal.
Regardons la carte de vos provinces : certaines comme l’Île-de-France ou la métropole lyonnaise sont potentiellement très riches. Ce n’est pas le cas du Nivernais ou du Perche-et-Beauce. Si chaque région est autonome et que les riches "gardent le grisbi", on risque une France inégalitaire…
La France est déjà à deux ou trois vitesses. Mon projet reprend l’idée de revenu universel proposé par Marc de Basquiat et Gaspard Koenig. Cela devrait assurer un filet de sécurité à tous. Pour autant, vous avez raison, il y aura des disparités territoriales. Mais elles peuvent être compensées. Les provinces peuvent s’unir sur certains points. Prenons un exemple. Bon nombre de métropoles sont consommatrices d’énergie. Le renouvelable, qui est l’avenir, demande de grands espaces ou un accès au littoral. Ces deux zones pourront coopérer.
Certes, mais concrètement comment le Nivernais pourrait financer d’aussi bonnes écoles que la Savoie si l’écart de PIB est de 1 à 3 ?
Il suffit de laisser faire les grandes évolutions sociologiques : le besoin d’espace, le télétravail, l’immobilier, la qualité de vie devrait faire venir dans certains territoires des populations riches, puis des services, puis des retombées fiscales. En bref un enchaînement d’effets positifs. Ce sont les citoyens plus que les autorités publiques qui sont à l’origine de ce cercle vertueux. Aux provinces de l’accélérer. Une région qui sait s’organiser, proposer de l’attractivité et générer ainsi de la valeur permettra de satisfaire les demandes de service public.
Lucas Jakubowicz
Pour une France fédérale, plaidoyer pour une VIème République des territoires, de Grégory Berkovicz, L'Archipel, 173 pages, 17 euros