Un nouveau président s’est installé à la tête de l’Association française des juristes d’entreprise. Jean-Philippe Gille a déjà un combat en tête : celui du legal privilege, que la France refuse toujours d’accorder aux juristes. À tort, selon lui. Il en va de la souveraineté et de la démocratie.

L’AFJE s’est renouvelée. Le 17 mai, Jean-Philippe Gille a pris la tête de la première association des juristes français. Il sera bien accompagné : Besma Boumaza, vice-présidente métier, Tristan Carayon, vice-président en charge des commissions experts, François Lhospitalier, vice-président communication et tous les membres du bureau travailleront à porter la fonction de juriste hors des murs de l’entreprise.

Courage politique et sous-développement

Parmi les priorités du nouveau président ? Un sujet bien connu des juristes, presque poussiéreux, toujours pas intégré par le législateur : la confidentialité des avis des juristes. L’outil serait essentiel "si l’on veut une filière juridique forte et des entreprises françaises capables de relever les défis", insiste Jean-Philippe Gille. Il attend de la nouvelle mandature présidentielle qu’elle ait le "courage politique" d’agir, car "il est incompréhensible d’être dans un état de sous-développement juridique par rapport aux pays concurrents". Les États-Unis, l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique, l’Angleterre l’ont fait, et la Cour de cassation a avancé sur ce point. Au législateur de faire sa part du travail, d’autant plus que la confidentialité serait, souligne Tristan Carayon, "très facile à mettre en place car elle ne vaudrait que pour les avis juridiques". Si le législateur ne bouge pas ? "Les entreprises iront chercher les outils qui leur permettront de se protéger, elles s’adapteront à leurs contraintes", expliquent-ils, car elles ne peuvent plus attendre. Le moment serait idéal, veut croire l’AFJE : la Chine s’est dotée de nouvelles dispositions à portée extraterritoriale, les avocats américains ont bien compris que le legal privilege n’existait pas en France et n’hésitent pas à demander de nombreux documents aux juristes. De plus, la guerre en Ukraine est venue porter au plus haut la question de la souveraineté. La première bouture ne sera peut-être pas parfaite, mais l’essentiel est ailleurs : il faut envoyer un signal aux entreprises.

La réactivation de la loi de blocage par Bercy ne suffira pas. "C’est une très bonne initiative, qui renvoie une image de contrainte supplémentaire face à une demande étrangère", de l’avis de Tristan Carayon. Mais elle ne fera pas filtre. Le délai d’un mois prévu par le décret est trop long, la grille du Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse) floue. "C’est un bouclier, mais lourd à soulever", pour Jean-Philippe Gille. Le Sisse ne sera pas forcément saisi, le juge français ne mettra pas nécessairement en œuvre les sanctions. Les entreprises ne s’y référeront pas. Il exige des entreprises qu’elles passent leurs activités à la loupe, qu’elles déterminent si elles sont stratégiques et quels documents sont sensibles. "Mais elles n’ont pas le temps de faire un tel travail lorsqu’elles sont sur le feu d’une procédure, et elles n’ont pas les moyens de le faire en amont", regrette Jean-Philippe Gille. L’AFJE appelle toutefois "à la plus grande coopération avec Bercy".

Entreprise actrice de la justice

D’autres sujets vont occuper le bureau. Il y a le portefeuille formation, avec le Campus de l’AFJE organisé chaque année. Celui de l’université et des écoles de commerce ou d’ingénieur, porté par Nathalie Dubois, car "le juriste est en train de quitter son bureau et ses dossiers pour aller vers la cité, et qu’il vaut mieux représenter le métier, aux futurs juristes mais aussi à leurs futurs employeurs", estime le président de l’association. Et celui de la déontologie. L’AFJE a d’ailleurs élaboré un code avec l’aide du Cercle Montesquieu. Ses statuts prévoient des sanctions – dont l’exclusion – en cas de non-respect.

Par ailleurs, l’AFJE devra travailler sur l’interprofessionnalité, avec les avocats autant qu’avec les magistrats. Les rassurer, aussi : "Les juristes ne comptent pas se servir du legal privilege comme un coffre-fort pour dissimuler des faits illicites", explique Besma Boumaza. L’association se dit prête à "apporter des garanties". Ceux qui frauderont s’exposeront à des risques, comme le prévoient les principes du droit. L’AFJE veut faire comprendre que les entreprises sont actrices, la société attend d’elles qu’elles s’engagent. Le législateur leur a donné de nombreuses obligations. Pour les entreprises, la mise en conformité est coûteuse, sans avoir, en contrepartie, l’outil dont elles ont besoin. "Si l’on souhaite parler de l’État de droit, il faudra amener tous les acteurs de la justice autour de la table", assure Besma Boumaza. Reste que le vrai sujet, pour eux, est celui du manque de moyens de la justice française. L’AFJE attend désormais, comme tout le monde, les conclusions du rapport des États généraux de la Justice et la feuille de route du Garde des Sceaux.

Olivia Fuentes

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