Un an après le début du conflit russo-ukrainien, les tensions politiques ont entraîné de nouvelles tensions économiques. Renégociation des contrats, gestion des employés présents sur le territoire Russe, hausse des prix… En entreprise, les équipes juridiques ont dû s’adapter.   

Le 24 février 2022, la Russie envahissait son voisin ukrainien. Depuis, c’est toute la scène internationale qui a changé. Y compris en matière de contentieux des affaires. "On a vu survenir l’arrêt des services fournis à des parties russes et l’accélération des procédures fondées sur la règle de l’évidence pour le juge. Nos clients ayant des activités en Russie avaient également beaucoup de questions quant à leur participation à l’effort de guerre russe", raconte Christelle Coslin, associée au sein du département contentieux de Hogan Lovells.

"Nous avons dû faire face à des problématiques qui n’étaient pas prévues dans les contrats"

Les avocats ne sont pas les seuls à évoquer l’impact de ces tensions internationales sur le contentieux des affaires : les entreprises, et notamment celles disposant de bureaux sur place, ont dû réagir. Carine Maillard, responsable juridique du pôle contrats et contentieux de la direction juridique du groupe Mersen, se souvient qu’il a fallu "faire face à des problématiques qui n’étaient pas prévues dans les contrats, par exemple comment payer nos employés ou comment obtenir des matériaux spécifiques d’origine russe. Ces situations étaient d’autant plus difficiles à gérer qu’il nous était impossible de nous déplacer en Russie ou encore de faire des virements internationaux."

Prévenir les conséquences des conflits

"C’était inédit. La Russie était un acteur majeur pour nous. Nous avons toujours eu la possibilité de négocier avec eux, même pendant la guerre froide", commente Karl Hennessee, senior vice president et head of litigation, investigations and regulatory affairs chez Airbus. De poursuivre : "Le conflit nous concerne, non pas de manière directe, mais indirectement c’est très clair."

"Le juge ne pourra pas être un palliatif. Il faut entrer dans une situation de renégociation perpétuelle et réadapter beaucoup de contrats"

 

Cet impact indirect, le groupe Bolloré Transports and Logistics y a également été confronté et, réactif, il se prépare déjà à la suite : "Nous pensons à l’après-guerre et aux développements possibles des entreprises européennes en Ukraine. Par le biais de l’économique, on fait beaucoup de géopolitique, les entreprises sont tributaires des soubresauts politiques mais elles ont aussi toujours les moyens de s’adapter et de se relocaliser", explique le directeur juridique du groupe Éric Amar. L’adaptation est un sujet central pour le juriste : le groupe a aussi dû trouver des solutions pour pérenniser son activité de transport en Afrique centrale et notamment au Niger.

De ces tensions politiques découlent des tensions économiques, des situations imprévisibles que les contrats classiques, figés et sécurisants, n’ont pas été en mesure d’éviter. Une réaction s’impose car à ces contrats "le juge ne pourra pas être un palliatif. Il faut entrer dans une situation de renégociation perpétuelle et réadapter beaucoup de contrats", estime Denis Musson, secrétaire du conseil d’administration d’Imerys et senior advisor et médiateur d’Equanim International. Les clauses de hardship deviennent alors des éléments clés pour tenter de maîtriser cette situation fluctuante qui interrompt les négociations avec la Russie, s’accordent à dire les intervenants.

"Il faut trouver une nouvelle manière de gérer les contrats, avec des renégociations ou des accords à l’amiable"

 

Évolution des contentieux

Favoriser les modes amiables, mise en avant des référés… L’objectif est d’éviter au maximum le contentieux afin de ne pas paralyser le business : la priorité est d’assurer les livraisons de matières premières, d’avoir accès aux matériaux nécessaires et de continuer à faire tourner les usines. "Le juge ne peut pas, actuellement, être un recours adapté" et "il faut trouver une nouvelle manière de gérer les contrats, avec des renégociations ou des accords à l’amiable", disent Christelle Coslin et Carine Maillard. Le droit européen, "plus protecteur que le droit américain sur les enjeux de hausse des prix", vient alors rassurer certaines entreprises, fait remarquer Karl Hennessee.

Le droit européen s’affirme aussi sur le plan stratégique. "Je pense que les Américains étaient connus pour exporter leur droit par le passé mais, maintenant, c’est plutôt l’inverse qui s’observe. L’Union européenne est devenue une référence sur les questions d’export control", poursuit le juriste chez Airbus. Le Vieux Continent semble se réveiller face à l’extraterritorialité des sanctions américaines, lesquelles constituent une autre source de tensions. Ces dernières s’accumulent : il faut aussi penser aux sujets RSE et à l’évolution des relations géopolitiques mondiales. Aux entreprises de prévoir des contrats souples et de privilégier la négociation pour s’adapter.

Estève Duault

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