Le 20 septembre 2023, François-Henri Briard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, a défendu François Fillon devant le Conseil constitutionnel. L’ex-Premier ministre remet en cause la conformité à la Constitution d’un texte qui l’a empêché de faire annuler la procédure qui a conduit à sa condamnation en raison de pressions subies par la procureure financière chargée de son dossier. Après l’audience de plaidoiries, à laquelle s’étaient invités les avocats de Nicolas Sarkozy et de Thierry Herzog, maître Briard revient sur les enjeux de la décision que rendront les Sages de la rue de Montpensier le 28 septembre.
Maître François-Henri Briard (avocat de François Fillon) : "Pour François Fillon. La porte s’est refermée."
Décideurs. Vous venez de plaider une question prioritaire de constitutionnalité dans l’affaire Fillon lancée en 2017. Sur quoi porte-t-elle ?
François-Henri Briard. François Fillon a été condamné en mai 2022 par la cour d’appel de Paris à des sanctions pénales et à des sanctions civiles. Cette affaire est aujourd'hui devant la Cour de cassation. Au mois d’avril 2023, j’ai eu l’idée de critiquer l’article 385 du Code de procédure pénale. Ce texte interdit au tribunal correctionnel de constater des nullités de procédure quand il est saisi par le renvoi du juge d’instruction ou de la chambre de l’instruction. La procédure est ainsi "purgée" et présumée régulière.
C’est ce qui s’est passé pour François Fillon. La porte s’est refermée. Il n’a pas pu soulever la nullité alors qu’il venait d’apprendre au cours de l’audition devant une commission parlementaire de madame Éliane Houlette, procureure financière chargée du dossier, qu’elle avait fait, selon elle, l’objet de pressions. Son dossier se terminait en correctionnelle. Alors qu’il venait de découvrir les faits, la Cour, se fondant sur l’article 385 du Code de procédure pénale, a opposé à François Fillon qu’il était trop tard pour se plaindre et soulever la nullité. C’est pour cette raison qu’il s’est dit qu’il n’avait pas bénéficié d’une procédure objectivement impartiale et indépendante (pressions sur le PNF, célérité extrême de l'enquête et de la mise en examen, désignation d'un juge d'instruction ad hoc, etc.).
"Des QPC médiatiques comme celle de François Fillon ne sont pas légion"
Selon moi, ce texte, l’art 385 du Code de procédure pénale, est contraire à la Constitution. Cette porte qui se referme trop tôt sur le prévenu constitue une atteinte disproportionnée au droit de la défense et au droit au recours juridictionnel effectif. Le Conseil constitutionnel l’a déjà jugé pour un autre article du Code de procédure pénale qui prévoyait à peu près le même système de purge des nullités, sans envisager d’exception liée à la tardiveté (décision 2021-900 QPC).
Condamnés dans des affaires différentes, Nicolas Sarkozy comme Thierry Herzog sont intervenus dans la procédure de François Fillon. Quels sont les critères de l’intervention volontaire ?
Nicolas Sarkozy et de Thierry Herzog justifient d’un intérêt pour agir. Si le Conseil constitutionnel déclare le texte non conforme, l’abrogation sera sans doute différée, mais il sera possible, dans les instances en cours, de se prévaloir de la décision du Conseil constitutionnel quand la purge des nullités a été opposée. Dans chacune de ces affaires, c’est ce qui est arrivé.
L’affaire Fillon est une affaire hors norme. Le recours à une QPC est-il courant ?
Les QPC médiatiques comme celle de François Fillon ne sont pas légion. Depuis 2010, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur un peu plus de mille QPC, dont 45 % traitent de procédures pénales et fiscales. Cette procédure est une machine à nettoyer les lois anciennes. En dix ans, les avocats ont pas mal testé les lois françaises. Aujourd’hui, la plupart des QPC portent sur des textes récents.
Que peut décider le Conseil constitutionnel ?
Son rôle c’est d’examiner la constitutionnalité de la loi, c’est-à-dire la conformité d’une loi aux droits et libertés garanties par la Constitution. Il peut rejeter la QPC, déclarer la loi non conforme et l’abroger avec ou sans un délai. Dernière option. Il peut formuler une réservation d’interprétation.
Vous avez insisté en audience sur le fait que la position de la Première ministre dans cette affaire était rare ?
Pour l'une des deux premières QPC, qui portait pourtant sur une loi pétainiste relative à la représentation des familles et que j'ai eu l'honneur de plaider en 2010 à la première audience du Conseil constitutionnel (en présence de Valéry Giscard d'Estaing et de Jacques Chirac), le gouvernement de l’époque a soutenu la conformité du texte à la Constitution. Preuve que, quelle que soit sa couleur politique, le secrétariat du gouvernement défend systématiquement les lois. Dans notre affaire, la Première ministre admet qu’il y a un problème, mais sans aller jusqu’à soutenir l’abrogation. Pour sauver le texte, elle propose une réservation d’interprétation. Ce n’est arrivé probablement qu’une dizaine de fois dans l’histoire des QPC. C’est une chose très rare, c'est dire que la QPC de François Fillon est sérieuse et fondée.
"C’est encore un long chemin que nous avons devant nous"
Maître Patrice Spinosi, avocat de l’ancien président de la République, et vous n’êtes pas d’accord sur la réserve d’interprétation. Pourquoi ne serait-elle pas une décision satisfaisante selon vous ?
La réserve d’interprétation proposée par le gouvernement ne tient pas une seconde. Elle est contra legem, c’est-à-dire qu’elle va dans le sens opposé du texte. Il faut au contraire une réforme globale de cet article 385 : si le Conseil constitutionnel décide d’une réserve d’interprétation, que la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel qui a confirmé la condamnation de François Fillon et que nous nous retrouvons une nouvelle fois en appel, le juge d’appel continuera de nous opposer l’alinéa 6 qui impose que la nullité soit invoquée in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond. Nous demandons l’abrogation totale du texte et la possibilité de soulever ce type de nullité à tout moment de la procédure (hors, bien sûr, une négligence ou une manœuvre du prévenu). Si nous l’obtenons, la cour d’appel devra alors se prononcer sur la nullité qui est selon moi absolument fondée sur le terrain de l'impartialité objective. C’est encore un long chemin que nous avons devant nous.
Le délibéré sera rendu le 28 septembre, neuf jours après l’audience de plaidoiries, ce délai semble court. Qu’en pensez-vous ?
C’est le délai de trois mois prévu par la loi dont dispose le Conseil constitutionnel pour rendre sa décision à compter du jour de sa saisine. La QPC de François Fillon a été transmise par la Cour de cassation le 28 juin. Le 28 septembre est donc le dernier jour. Résultat attendu ce jeudi.
Mathilde AYMAMI
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