Entre leur financement et le coût des grèves, les organisations syndicales pèsent un poids non négligeable sur l’économie française. Décideurs fait le point.
Mercredi 15 avril. Les syndicats de Radio France  décident de mettre fin à la plus longue grève qu’ait connue l’institution publique. Vingt-huit jours qui ont coûté quatre millions d’euros en recettes publicitaires et entraîné une baisse des audiences de 0,8 point. Heureusement, 90?% du budget de Radio France est financé par des fonds publics. Cela pèsera tout de même sur les résultats du groupe qui prévoyait avant même le mouvement social un déficit de 21,3?millions d’euros en 2015 dû à la baisse des dotations de l’État. Un chiffre d’autant plus inquiétant que l’impact financier devrait se prolonger dans les mois à venir, le prix des espaces publicitaires étant calculé sur la base des audiences et que la direction estime qu’il faudra six mois avant de retrouver les niveaux d’avant grève.

Des mouvements illégitimes ?


En interne ce mouvement n’a pas fait l’unanimité. Pour deux raisons principales : la première est son mode autoritaire. Les grévistes ne représentaient que 8?% des effectifs, soit peu ou prou le pourcentage de délégués syndicaux. La deuxième est que les grévistes continuent de se faire majoritairement payer. Selon le dernier rapport de la Cour des Comptes sur Radio France, les modes opératoires des syndicats permettent aux grévistes d’éviter un retrait de salaire. Comme un petit nombre de grévistes suffit à interrompre la diffusion d’un programme, les salariés se relaient. Ce principe de grève tournante permet d’éviter de poser trop de jours. Ainsi, durant le dernier conflit, les grévistes n’ont eu besoin de ne poser qu’une douzaine de jours en moyenne…
Sur ces jours posés, la direction a tendance à ne pas compter certains grévistes afin de minimiser le mouvement. Une pratique soutenue par l’intersyndicale qui commence déjà à négocier pour que Radio France ne prenne pas en compte les jours pris durant la médiation du 9?avril au 12?avril.

Pour les jours restants, les grévistes pourront compter sur la caisse mise en place par les syndicats. Si aucun chiffre précis n’a été communiqué, son montant pourrait s’élever à environ 150 000?euros. Malgré la fin du mouvement, le conflit est loin d’être fini puisqu’aucun accord final n’a encore été trouvé. Le plan de départs volontaires visant 380 salariés sur les 4 300 que compte le groupe est toujours d’actualité. Il faudra bien agir : selon la direction, si aucune mesure n’est prise, le déficit devrait atteindre les cinquante millions d’euros d’ici 2019.

Un impact difficile à mesurer

Cet exemple n’est malheureusement pas un cas isolé. La France reste le pays de la grève. En 2011, derniers chiffres disponibles, on a comptabilisé 77 jours de mouvements sociaux pour mille employés. Un chiffre en deçà de la moyenne puisque cette année-là n’avait pas été perturbée par des conflits généralisés. Sur les cinq dernières années, la France a connu, en moyenne, cent jours de grèves pour mille employés. Une mobilisation qui coûte chère à l’économie, surtout en période en crise. Chaque année, ces mouvements pèsent sur le produit intérieur brut (PIB) à hauteur de 0,5 point, soit environ dix milliards d’euros.

4,5 MD€ : le coût de financement annuel des syndicats dont 90 % à la charge des employeurs, 7,5 % de subventions publiques et 2,5 % issu du paritarisme.


Ces chiffres restent néanmoins discutables et chaque économiste semble avoir son propre mode de calcul. «?Auparavant, nos économies étaient dominées par le secteur industriel, on pouvait alors fonder nos estimations à partir de la baisse de consommation d’électricité. Aujourd’hui, cela est plus compliqué. On peut par exemple prendre la moyenne du PIB généré par un jour de travail et le multiplier par le nombre de salariés et la durée totale de la grève. Cependant, ce genre de raisonnement a ses limites puisque la production perdue durant un jour de grève peut facilement être compensée dans les jours ou semaines suivantes?», explique Kurt Vandaele, économiste à l’Institut syndical européen (ETUI).

La grève en perte de vitesse

Les grèves ont perdu les faveurs des salariés. Selon la Dares, le département statistique du ministère du Travail, la proportion d’entreprises de dix salariés et plus ayant dû faire face à un arrêt collectif de travail est tombé à 1,8?% en 2011, contre 3,3?% en 2010. Même au sein des syndicats, la grève ne fait plus l’unanimité. «?La grève est un moyen de recours pas une finalité. Pour nous, c’est un échec du dialogue social?», estime Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT.

À la CFE-CGC, on profite même de cette tendance pour séduire des salariés : «?Notre syndicat a condamné la grève des pilotes d’Air France, estimant que toutes les professions du groupe devaient faire des efforts. Cela nous a permis d’améliorer considérablement nos scores aux dernières élections?», indique Carole Couvert, la présidente. Pour Jean-Claude Mailly, président de Force ouvrière (FO), cet essoufflement relève plus de la conjoncture que d’un changement de mentalité : «?Une part importante de notre travail est la résistance afin de ne pas perdre les avantages sociaux que nous avons acquis.?»

Un financement opaque

Moins médiatisé, le financement des syndicats coûte également très cher à l’économie française. Grâce à l’État et aux entreprises, les syndicats disposent de ressources considérables. La commission d’enquête parlementaire sur le financement des syndicats dirigée par le député Nicolas Perruchot estimait, en 2011, à près de quatre milliards d’euros leur coût de financement. Quatre ans plus tard, les récentes réformes n’ont rien changé, au contraire. Selon Nicolas Perruchot, le financement des syndicats devrait coûter cinq milliards d’euros en 2015.

Au vu des montants en jeu, le plus inquiétant est l’extrême complexité dans les circuits de financements en vigueur. Le rapport indiquait de possibles dérives. Une dénonciation qui lui aura valu d’être enterré. Pourtant, le diagnostic n’était pas à charge : «?Les organisations syndicales sont structurellement opaques, non par souci délibéré de cacher quoi que ce soit, mais en raison de modalités d’organisation qui leur sont propres?», pouvait-on y lire. Et de fait, les confédérations CGT, CFDT, FO, CFTC ou CGC sont des organisations complexes : chacune abrite une multitude de fédérations, de syndicats et d’unions départementales ou régionales. La CGT regroupe par exemple trente fédérations professionnelles, 95 unités départementales, vingt comités régionaux et quelque 16 000 syndicats.

Du côté des organisations syndicales, on estime que la réforme sur la transparence des financements est suffisante : «?Nous faisons valider nos comptes par deux commissaires et nos structures font appel à des experts-comptables. Cette transparence a un prix. Pourtant, si nous faisons face à de nouvelles dépenses nous n’avons pas constaté de nouvelles entrées d’argent?», soutient Carole Couvert. Pour Nicolas Perruchot, c’est pourtant encore loin d’être suffisant : «?La difficulté c’est que nous ne connaissons pas le détail des dépenses effectuées.
Le système auquel on se heurte a été conçu pour éviter que l’on s’intéresse de trop près à ces “détails”. Ce qui est certain c’est que l’opacité règne toujours sur l’emploi des fonds. La récente affaire des travaux dans le bureau et l’appartement de l’ancien patron de la CGT démontre la manière dont le système fonctionne.?»
Des réformes insuffisantes

À partir du 1er?janvier 2015, une cotisation de 0,014?% du salaire brut est prélevée sur la fiche de paie et reversée aux cinq syndicats de salariés et trois syndicats d’employeurs, soit pas moins de cent millions d’euros chaque année. Votée le 5?mars 2014, cette nouvelle contribution vise à remplacer le financement des syndicats par la formation professionnelle. Objectif affiché : la transparence. Nicolas Perruchot avait en effet montré dans son rapport que ce dispositif permettait aux partenaires sociaux de détourner à leur profit une partie de l’argent dédiée à la formation professionnelle. Une réforme qui passe d’autant plus mal auprès des entreprises puisque la part de la masse salariale affectée à la formation professionnelle (0,9?%) n’a en revanche pas été réduite. Il s’agit donc plutôt d’un alourdissement de la fiscalité.

Un problème de représentativité

Cette réforme confirme surtout la dépendance des syndicats aux financements publics. Une étude réalisée par l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Paris et le cabinet d’audit Audisol indiquait que les syndicats sont financés à 81?% par des subventions publiques. Des chiffres d’autant plus impressionnants que les syndicats ne représentent qu’environ 7?% des salariés (6?% dans le privé et 15?% dans le public). «?Raisonner de cette façon n’a pas de sens, nuance Marylise Léon. Le fruit de notre travail ne bénéficie pas qu’aux adhérents : 90?% des salariés sont couverts par une convention collective !

La question de la représentativité demeure un enjeu majeur pour l’avenir des syndicats. Avec la dernière réforme, un syndicat n’est désormais représentatif que si sa liste a recueilli 10?% des suffrages exprimés. «?Cette mesure a renforcé la légitimité des syndicats?», juge Marylise Léon. Néanmoins, Carole Couvert met en garde contre des dérives possibles : «?Les syndicats ont la même position que les partis politiques : ils sont centrés sur la course aux élections. Dans certains cas, cela peut rendre difficile la négociation de réforme en entreprise.?»

Les réformes à faire

Pour améliorer la légitimité des syndicats, de profondes réformes sont nécessaires. «?La mesure la plus urgente serait de permettre un contrôle du Parlement sur le financement des partenaires sociaux. Cela devrait permettre la publication chaque année des moyens humains mis à disposition des organisations syndicales par l’État, que ce soit dans les ministères ou dans les entreprises publiques?», estime Nicolas Perruchot. Dans un second temps, il faut réduire la dépendance des syndicats par rapport aux financements publics et celui des entreprises. Sachant que la plupart des grandes organisations sont financièrement autonomes et ont des réserves de trésorerie importantes, une telle réforme est tout à fait envisageable.

Une réforme d’autant plus réaliste que les syndicats français peuvent générer beaucoup plus d’argent grâce aux cotisations. En 2011, ces dernières ne représentaient qu’environ 4?% du financement annuel de l’activité syndicale. Pour comparaison, en Allemagne, le taux de syndicalisation est de 29?% et les cotisations rapportent chaque année environ 1,3?milliard d’euros. Pourtant tous les syndicats estiment que le modèle actuel est efficace (cf. entretien de Jean-Claude Mailly). Seul la CFE-CGC propose une réforme… mais dans le sens opposé : «?Nous plaidons pour un financement public de la même façon que pour les partis politiques?», indique Carole Couvert. À savoir un budget fixé chaque année puis reparti entre les syndicats en fonction des résultats aux élections.

Un dialogue social au point mort

Pour autant, la présidente de la CFE-CGC a conscience qu’il y a des changements à effectuer : «?Il doit y avoir une rationalisation de notre profession. Cela passe par une reconnaissance individuelle du parcours syndical. Les acteurs de qualité doivent être rémunérés à leur juste valeur. Mettre les meilleurs autour de la table est la solution pour faire avancer le dialogue social.?» Pas sûr que cela soit suffisant. Après quatre mois de négociation, syndicats et patronat ont échoué à trouver un accord pour organiser le dialogue social en entreprise autour d’une instance unique.
« Lors des sept plénières que nous avons eues avec le Medef, nous n’avons jamais pu négocier en face en face?», regrette un représentant syndical. Pour améliorer le dialogue social, ce dernier propose quelques pistes de changement : négocier en terrain neutre et non plus au Medef, faire des propositions avant de démarrer les négociations afin que chacun puisse préparer en amont leurs revendications, employer un rédacteur neutre qui prendrait bien en compte les compromis pour éviter tout malentendu.

En janvier dernier, le gouvernement indiquait reprendre la main. Depuis, le projet semble être au point mort. Un comble pour le dialogue social… Du côté des syndicats, on renvoie la balle du côté du gouvernement. «?Le gouvernement intervient trop dans le dialogue social?», résume Jean-Claude Mailly. Voilà qui devrait finir d’apaiser les tensions.

V.P.

Le point de vue de Nicolas Perruchot, député et président de la commission d’enquête parlementaire sur le financement des syndicats.
Le point de vue de Jean-Claude Mailly, président de Force ouvrière.

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