Les entreprises industrielles cherchent aujourd’hui à se développer hors de la zone euro
Décideurs. Par quelles priorités sont aujourd’hui guidées les stratégies de fusions-acquisitions des grandes entreprises françaises ?

Olivier Diaz. En règle générale, les grandes entreprises industrielles cherchent aujourd’hui à se développer en dehors de la zone euro. Ce mouvement fait suite à une période de plusieurs années durant laquelle la plupart d’entre elles ont tenté de se recentrer sur leur cœur de métier, notamment en vendant certains de leurs actifs les moins stratégiques à des fonds d’investissement, afin de faire face aux dégradations du contexte économique. Désendettées, elles ont aujourd’hui un bilan sain et sont en train d’achever le processus de mutation qui leur a permis de résister à la crise. Leur priorité est donc à présent de se développer dans de nouvelles zones de croissance, souvent grâce à des acquisitions stratégiques dans les pays émergents.

Décideurs. Cette tendance observée chez les industriels s’applique-t-elle également au secteur bancaire ?

O. D. Non, la situation des banques est particulière. Elles subissent l’impact des nouvelles normes bancaires internationales définies dans l’accord de Bâle III, auxquelles elles vont devoir se conformer dès 2013. Le renforcement des exigences de fonds propres les contraint notamment à revoir leur stratégie de développement en fonction du coût en capital ou de l’apport en liquidité de chacune de leurs activités. Ce qui se traduit bien souvent par la volonté de resserrer leur portefeuille, en revendant certaines branches opérationnelles.

Décideurs. Quels types d’acquéreurs ces actifs bancaires intéressent-ils ?

O. D. Ce type d’actifs semble intéresser les acteurs du private equity. Les branches consacrées à la gestion d’actifs ou au crédit à la consommation sont en effet propices au rachat par des fonds d’investissement. En revanche, ces derniers peuvent difficilement se porter acquéreurs de sociétés ayant une activité de dépôt. Il est donc probable que, pour que les actifs bancaires mis en vente trouvent preneur, les autorités de régulation doivent faire preuve d’une certaine souplesse autorisant de nouveaux acteurs à se positionner sur ce marché.

Décideurs. Les entreprises réalisant des acquisitions sont-elles aujourd’hui plus enclines à se tourner vers un financement obligataire que vers un financement bancaire ?


O. D. Les montages reposant sur un financement bancaire à fort effet de levier, de type leveraged buy-out (LBO), ont longtemps eu un succès considérable dû au fait qu’ils rapportent beaucoup aux établissements prêteurs tout en présentant des taux de défaut très faibles. Or, la crise économique devrait inciter de nombreux acteurs à privilégier la dette obligataire sur la dette bancaire, dans le but d’aller vers une plus grande désintermédiation du crédit.
Mais à cette évolution théorique s’oppose un obstacle pratique : il est concrètement difficile sur le marché français de réaliser une acquisition en s’appuyant sur un financement obligataire. En effet, lorsqu’un actif est mis en vente, le cédant souhaite en général que le financement de l’opération soit déjà assuré de façon certaine (« certain funds ») au moment où intervient l’offre définitive, dite offre binding, qui prend souvent la forme d’un contrat. Or, il est difficile en termes de calendrier de boucler un plan de financement obligataire en amont d’une offre d’achat : le fait que la dette à utiliser soit émise par la holding de reprise implique que le management contacte des prêteurs obligataires avant l’offre alors que la consultation du comité d’entreprise n’est pas encore engagée. Le vendeur devrait alors accepter le risque du financement, comme aux États-Unis.
Pour cette raison, les émissions d’obligations interviennent plus dans le cadre de refinancements de dette que pour des acquisitions à proprement parler. Elles sont néanmoins devenues de plus en plus fréquentes, au point que certaines sociétés de gestion ont créé des fonds d’investissement spécialisés dans l’achat de dette obligataire. Mais à l’heure actuelle, aucun fonds n’est encore en mesure d’assurer un niveau de financement obligataire équivalent à un financement bancaire.

Décideurs. L’exercice du métier d’avocat spécialisé en fusions-acquisitions a-t-il évolué sous l’effet du redéploiement stratégique opéré par la majorité des entreprises ?

O. D. Dans les grands groupes, on constate de plus en plus souvent la constitution d’équipes spécialisées en fusions-acquisitions au sein des directions juridiques, qui gagnent en poids et en importance. Dans la mesure où elles disposent désormais d’effectifs et de compétences techniques considérables, elles attendent des avocats qu’ils se positionnent plus comme des conseils stratégiques que comme de simples producteurs d’actes juridiques qu’elles peuvent réaliser en interne. Cela n’a pas d’impact direct sur notre cabinet car Darrois Villey Maillot Brochier s’est toujours positionné sur ce créneau spécifique du conseil stratégique à haute valeur ajoutée.

Décideurs. Ce nouveau schéma met-il en concurrence avocats et conseils en stratégie ?

O. D. Non, il n’y a pas de concurrence entre conseils en stratégie et avocats d’affaires, qui interviennent chacun sur des aspects bien distincts. Les deux professions entretiennent plus une relation de partenaires, tout comme le font avocats et conseils financiers. En définitive, l’objectif de tous les intervenants est de bien comprendre les enjeux respectifs de chacun, et surtout d’aider le client à bien comprendre l’opération, et à la réaliser conformément à ses objectifs stratégiques.

Décideurs. Comment le cabinet Darrois adapte-t-il son organisation à la multiplication des opérations cross-border, en particulier vers les pays émergents ?

O. D. Dans la mesure où nous ne possédons pas d’implantation directe à l’étranger, l’accompagnement de nos clients dans les régions émergentes se justifie particulièrement dans le cadre d’affaires complexes. Il se fait dans ce cas en collaboration avec des cabinets locaux. Cela implique d’identifier – ce que nous faisons souvent en nous appuyant aussi sur l’expérience de nos correspondants européens et américains – dans chacun de ces pays des confrères en mesure de délivrer un conseil de qualité irréprochable aux entreprises qui nous font confiance. Dans cette démarche, nous nous attachons à tisser des liens forts avec les individus eux-mêmes.

Décideurs. À l’échelle mondiale, pensez-vous que le marché soit actuellement propice à une reprise pérenne des opérations de fusions-acquisitions ?

O. D. Le M&A est un domaine qui aime la stabilité. De belles opérations peuvent avoir lieu dans un contexte de croissance faible, pour autant que l’équilibre de l’environnement économique et la confiance des investisseurs soient au rendez-vous. En l’absence de ces deux facteurs réunis, il est souvent impossible pour les vendeurs et les acheteurs d’aboutir à des accords, tant le souci de préserver leurs intérêts dans un environnement incertain prime sur le souci de développement stratégique.
Or à l’heure actuelle, le marché ne semble pas assez stable pour favoriser une nouvelle période d’opérations. La situation économique a beau ne pas être catastrophique, la plupart des acteurs du marché craignent que le tableau ne se noircisse dans les mois à venir. Ils sont plutôt dans une situation d’attente… et le marché M&A l’est tout autant.

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