Expansion internationale?: les stratégies pour conquérir le marché américain
Partir à la conquête d’un nouveau marché est stratégique, à la veille de la reprise économique. Mais est-ce tout aussi stratégique d’orienter son expansion internationale vers un marché mature, comme le marché américain ? Au-delà de l’opportunité offerte par les secteurs en forte croissance, la réussite de l’implantation dépend du bon déroulement de la stratégie de conquête, qui va du moyen d’entrer sur le territoire, aux choix de développement local.
Si l’heure est aux réflexes protectionnistes, les entreprises devraient profiter de l’attentisme général pour se tourner vers de nouveaux marchés. Développer stratégiquement dès aujourd’hui son implantation est le meilleur moyen de créer de la valeur demain, de décupler sa croissance avec la reprise économique.
Les États-Unis sont quatrièmes dans le classement Doing Business 2010 sur les environnements les plus favorables pour faire des affaires (après Singapour, la Nouvelle-Zélande et Hong-Kong). Le rêve universel chanté par Sinatra fascine. « La conquête de l’Amérique », bravade aux accents de Western, trouve un écho en chaque entrepreneur. Les dirigeants français de sociétés implantées aux États-Unis parlent d’une seule voix à propos des indispensables atouts dont il faut faire preuve sur le sol américain : un business plan extrêmement cohérent, une faculté d’adaptation énorme, un réseau développé et de bons conseils juridiques et financiers.
Définir la bonne stratégie de conquête
Définir une stratégie d’entrée est absolument indispensable lors d’une expansion géographique. Marcus Alexander et Harry Korine, auteurs de l’essai When you shouldn’t go global paru dans la Harvard Business Review, démontrent que si les erreurs stratégiques de positionnement étaient fatales aux grandes entreprises il y a 20 ans, c’est aujourd’hui la bonne stratégie d’internationalisation qui est déterminante pour la santé de la firme.
La stratégie de conquête passe par l’étude de quatre facteurs de réussite : la capacité, le lieu, les moyens et le rythme d’implantation.
La capacité d’implantation
La capacité d’implantation à l’étranger est le premier facteur à étudier avant de lancer l’internationalisation. Elle renvoie à trois questions : le groupe est-il surperformant dans le marché d’origine ? Le cas échéant, la conquête de nouveaux marchés est envisageable. Le positionnement est-il suffisamment différencié ? L’offre est-elle adaptée au marché américain ?
Entré sur le marché en 2000, Ikéa compte aujourd’hui 60 enseignes aux États-Unis, avec une moyenne d’implantation annuelle de cinq magasins. L’étude d’Harvard sur le cas du géant suédois explique son succcès par le fait que le produit répondait à une attente culturelle non satisfaite aux États-Unis.
En plus d’un prix attractif, la durée de vie des produits Ikéa est très courte, pour du mobilier, ce qui correspond au mode de consommation américain, basé sur le renouvellement permanent.
LVMH a dû s’adapter à la courte durée de vie de ses produits sur le marché américain. L’offre « it bag » par exemple doit être renouvelée tous les semestres à New-York, alors que ces produits durent un an à Paris.
La culture américaine de « vie de parade » - comme la désigne Grégoire Baudry spécialiste de la performance dans la vente aux États-Unis chez Bain - booste les ventes, mais elle suppose aussi un coût lié au cycle court des collections.
Le lieu d’implantation
La question du lieu d’implantation est particulièrement capitale dans le cas d’une entrée aux États-Unis, marché vaste et protéiforme. Chaque région et État offre des facilités d’entrée par activité (comme à l'État de New York pour le luxe, ou la Caroline du Nord pour la biotech). Il existe des outils de ciblage géographique qui s’appliquent à tous les secteurs.
Chercher une fiscalité attractive en constitue un premier. Fortune a publié en 2008 le classement des havres de paix fiscaux pour les entreprises. Les cinq premiers sont le Wyoming, le Nevada, la Floride, le Texas et l’État de Washington.
L’entreprise doit s’implanter à proximité d’une main d’œuvre qualifiée, et d’éventuels partenaires, clients et investisseurs : ILOG, fournisseur français de composants logiciels, s’est établi dans la Mountainiew, près de Silicon Graphics, de Sun Micro Systems et d’HP. Minimiser le décalage horaire entre les filières et le siège peut paraître une préoccupation dérisoire. Il s’agit en fait d’un critère essentiel à l’établissement d’une bonne relation avec la clientèle locale – moins pour les branches autonomes que pour les filiales dépendantes des sources d’information de la maison mère. Les banquiers en « front » aux États-Unis, ainsi que tous les professionnels en contact direct avec la clientèle, se plaignent du délai d’obtention d’information pour leur client auprès de la maison mère. À cet égard, s’établir sur la côte Est, permet plus de réactivité.
Enfin, maintenir certaines activités en Europe pour les isoler des concurrents est stratégique.
Parmi les méthodes observées, se rapprocher progressivement du marché convoité, est une solution pour les entreprises qui cherchent à jauger prudemment leur compatibilité avec le marché américain. Michelin a d’abord ouvert une usine à Granton au Canada, là où les processus et la culture d’entreprise ne divergeaient pas trop de ceux de la maison mère.
Dick Wilkerson, le président de Michelin Nord Amérique admet que « commencer l’implantation en Amérique du Nord depuis le Canada a facilité le déroulement de la conquête de la région ».
Le virtual business permet de s’affranchir de la contrainte géographique. L’État du Vermont offre depuis 2009 la possibilité légale de créer une compagnie virtuelle, une Vermont Virtual Company (VVC). Ce statut juridique permet une exemption de taxe. Une VVC suppose l’économie des frais immobiliers, d’équipement de bureau, d’archivage et de déplacement (grâce aux vidéoconférences).
Le moyen d’implantation
Le choix du moyen d’implantation déterminera la longévité sur le nouveau marché. L’entrée sur un marché étranger peut se faire par le biais d’une franchise, d’une joint-venture, d’une acquisition ou d’une ouverture de bureaux. Chaque stratégie comprend ses risques et ses avantages.
L’enveloppe à prévoir pour l’ouverture du bureau dépend de son utilisation : bureau de représentation ou point stratégique de vente ? Le coût lié à l’immobilier ne sera pas le même dans les deux cas. Construire une filiale de plein exercice permet d'attirer un vivier de talents bien meilleur
Cela suppose de rechercher un haut niveau de confiance en l’équipe dirigeante. Créer un conseil d’administration fidèle est important pour garder des liens étroits entre le bureau et la société mère. Inclure des investisseurs actifs et des industriels avec un bon réseau au conseil d’administration permet d’accroître la crédibilité du groupe. Les Américains sont particulièrement sensibles à la qualité du networking. Il faut aussi garder à l'esprit que fidéliser ses employés avec des stock-options est pratique courante.
Le deuxième avantage est d’assurer une visibilité absolue de la marque. Cette stratégie est donc la plus adaptée au secteur du luxe. Précurseur, Louis Vuitton (LVMH) a ouvert son premier bureau à New-York en 1898.
L’étape suivante, pour les métiers qui le nécessitent, est d’ouvrir des usines et de fabriquer localement pour les entreprises technologiques. La stratégie de flipper (échanger les fonctions entre la maison mère et la filiale), bien que dangereuse, est envisageable en cas de redéfinition de la stratégie globale du groupe. Vista Print, l’imprimeur néerlandais, a décidé de faire de son bureau américain son siège social, pour marquer son enracinement dans le vaste marché US, et accéder au Nasdaq par la suite
Acquisition
Acquérir un groupe est la stratégie la plus efficace en termes d’opérationnalité de l’implantation. La vente est immédiate, le retour sur investissement rapide. Le réseau de fournisseurs et de clients préexiste à l’installation.
Le risque lié à cette opération est moyen. Il est diminué si la due diligence est parfaitement réalisée. Mais le taux de défaillances est dramatiquement élevé aux États-Unis en 2008.
La conjoncture reste malgré tout nettement favorable aux Européens désireux de s’installer sur le marché américain par le biais d’une acquisition. Le prix de rachat des entreprises américaines est totalement sous-évalué.
À cette tendance vient s’ajouter la baisse du prix du dollar et de l’immobilier.
Reste à dénicher les bons deals. Le rachat de la branche Homeland Security de General Electric (à 81 %) ce mois-ci est une superbe opération pour le Français Safran. La sécurisation des réseaux fait flores aux États-Unis depuis les attentats de 2001 et le début de la crise économique.
Les exemples d’acquisitions d’entreprises américaines par des groupes français ne manquent pas. Le tableau du CAC 40 aux États-Unis en mentionne un certain nombre. Parmi les deals dont l’enjeu stratégique et financier était de taille : le rachat de Bird Corp par Saint Gobain (40 milliards de dollars), ou celui d’Activision par Vivendi (19 milliards de dollars) en 2008.
Joint venture : mode d'emploi
La joint venture peut s'avérer une bonne solution d’entrée, si les coûts d’acquisition sont trop élevés. Le niveau d’engagement sur le marché est évidemment moins élevé, ainsi que les profits mais aussi les risques. Se posent bien sûr d'innombrables questions : qui a le contrôle financier de la joint venture ? Le contrôle opérationnel ?
La joint venture permet souvent un gain de temps : le groupe est plus vite opérationnel qu’une filiale start-up. Elle présente l’avantage de l’accès au savoir-faire de l’entreprise américaine déjà en place. Le plus stratégique, évidemment, est de choisir des leaders américains sur leur marché. Ce fut le choix d’Infovista qui s’est rapproché de 3com. Toutefois, le partenaire doit être bien choisi, et les conditions d'un débouclage de la joint venture sont toujours sensibles. Que prévoir si le partenaire américain veut interrompre la collaboration ou s'implanter Europe ? Quid si le groupe français veut s'implanter directement et seul aux États-Unis après quelques années ?
Le rythme d’implantation
La question du rythme d’internationalisation vient en dernier. Elle est relative aux performances des filiales les plus récemment installées et à la capacité de la maison mère à supporter le coût d’une nouvelle implantation. Le lancement simultané d’une entreprise sur plusieurs zones géographiques peut s’avérer fatal. Plan View a vu trop grand en implantant simultanément ses logiciels en Europe et aux États-Unis.
Sans grande surprise, les leaders en conseil en stratégie d’implantation aux États-Unis les plus cités sont Boston Consulting Group, Mc Kinsey et Bain & Company.
Choisir le bon accompagnement juridique et financier
Le risque juridique le plus marqué sur le territoire américain est celui lié au contentieux. « Tout contentieux peut prendre des proportions incroyables » explique Eric Larsy, de Baker & Mc Kenzie. « Les États-Unis sont le pays du droit, aucun manquement ne sera pardonné ».
Antoine Treuille, président de la French-American Foundation de New-York, recommande vivement de choisir son avocat avec attention : « c’est le meilleur investissement que l’on puisse faire ».
Les juristes qui encadrent une ouverture de bureau aux États-Unis ont trois points de mire : la corporate gouvernance, les problèmes de taxes et la responsabilité des actionnaires. Les leaders juridiques du rapprochement franco-américain sont Clearly Gottlieb, Davis Polk & Wardwell, Sullivan & Cromwell, Debevoise & Plimpton, Baker & Mc Kenzie, Leboeuf (Pierre de Ravel d'Esclapon),... Des firmes plus locales à New York, inclues Hodgson Russ (Pierre Cournot en particulier), Sanders, Ortoli, Vaughn-Flam, Rosenstadt (Richard Ortoli) Dewey, …
Les banques d'investissement leaders dans l’accompagnement de sociétés françaises dans leur implantation américaine sont Morgan Stanley, JP Morgan, Goldman Sachs, Merill Lynch et Lazard. Le conseil fiscal est souvent assuré par les Big 4, ainsi que par Grant Thornton.
L’aide locale ne doit pas être sous-estimée aux États-Unis. Pour Antoine Treuille, elle est même le premier levier de croissance : « la première chose à faire quand on arrive dans un État est de contacter le congressman ou le sénateur du coin. Il se fera un plaisir de recevoir le directeur d’un nouveau groupe, s’il est de taille suffisante ». Cette démarche a de fortes chances de déboucher sur toutes sortes d’avantages : mise en contact avec les bonnes agences d’emploi, financement de formations, exonérations fiscales, équipement des routes si l’usine est isolée...
Les grandes villes comme New York ou Chicago disposent d’un bureau chargé de l’accompagnement initial des plus petites entreprises. Les conseillers commerciaux de l’ambassade française aux États-Unis accompagnent également les entreprises dans leur implantation.