Entretien avec Michel Camdessus, directeur général du FMI de 1987 à 2000, dont l’influence ne se dément pas.
Ancien directeur du Trésor et gouverneur honoraire de la Banque de France, Michel Camdessus est un acteur incontournable de l’histoire de la fin du XXe siècle. De l’Argentine à la Corée en passant par le Zaïre, le nombre de pays assommés par la dette à être passés entre les mains de ce gardien libéral du système monétaire international ne se compte plus. Dans son ouvrage La Scène de ce drame est le monde (1), Michel Camdessus dévoile le fonctionnement des arcanes du Fonds monétaire international dont la légitimité est parfois mise à mal par les crises successives.

Décideurs. Pensez-vous que le FMI est aujourd’hui le pompier de l'économie mondiale ?
Michel Camdessus. Les équipes sont toujours dans les starting-blocks. Leur connaissance très détaillée de la situation économique de chacun des 188 membres du Fonds leur permet d’intervenir avec rapidité. Trois semaines après la chute du mur de Berlin, j’étais par exemple dans le bureau de Wojciech Jaruzelski, chef d’État de la Pologne, pour préparer la transition économique du système communiste vers une économie de marché. Trois semaines plus tard, les réformes nécessaires à la privatisation des entreprises publiques et à l’ouverture des frontières au commerce extérieur étaient déjà adoptées.

Décideurs. Comment l’institution a-t-elle évolué sous votre présidence ?
M. C. Pour répondre aux problématiques financières posées par l’émergence de nouvelles crises, le FMI a redoublé d’effort et de créativité. La dévaluation du franc CFA en Afrique francophone en janvier 1994 a remis treize pays sur le chemin de la croissance. Celle du baht thaïlandais en 1997 répondait à la nécessité de faire face à un nouveau type de crises, celles du XXIe siècle. Dès la fin des années 1990, le staff du FMI a intégré les objectifs du millénaire dans ses recommandations. Dix ans plus tard, l’institution poursuit son adaptation au nouveau contexte de l’après-crise.

Décideurs. Le FMI a été accusé de mener des réformes au détriment du bien-être des populations. Que répondez-vous ?
M. C.
Nous n’avons fait qu’appliquer les principes d’inspiration libérale soutenus par la communauté internationale. Malgré des critiques virulentes à l’égard de l’institution, c’est toujours elle que les pays en difficulté sollicitent en premier lieu. Lorsque les réformes préconisées sont fidèlement appliquées, elles se traduisent par une amélioration durable de la croissance.

Décideurs. Être dirigeant du FMI, est-ce faire de la psychologie ?
M. C. Non, c’est avant tout s’efforcer de créer un climat de confiance. Au moment où un pays est mis au ban des nations, il a besoin de retrouver confiance en ses ressources pour instaurer les réformes préconisées. Cela nécessite le soutien de la communauté internationale. Conformément à ses statuts, le FMI s’attache à créer une confiance mutuelle entre les membres touchés par ces crises et leurs autres partenaires.

Décideurs. Que pensez-vous de la création par les Brics de leur propre banque de développement ?
M. C. Je trouve remarquable que des pays émergents soient disposés à en aider d’autres ! Oublions les critiques, les soupçons de complot contre le FMI et la Banque mondiale. Cette nouvelle banque sera évidemment appelée à coopérer avec les institutions de Bretton Woods. Mais elle représente d’abord un guichet de plus pour l’aide au développement.

Décideurs. En 1990 l’Ukraine montrait-elle des prémices à la situation actuelle ?
M. C. En se gardant de tout anachronisme, des tensions économiques existaient déjà entre Kiev et la région du Donbass. Situé à l’est du pays, ce bassin houiller était alors économiquement plus riche que le reste de l’Ukraine. En revanche, à l’époque, rien ne laissait présumer le comportement impérialiste manifesté aujourd’hui par la Russie.

Décideurs. L’affaire DSK et les accusations portées contre Christine Lagarde ont-elles entaché l’image du FMI ?
M. C. Non. Les agissements de DSK, dirigeant du FMI de 2007 à 2011, relève de la sphère privée et ne saurait affecter l’institution. Sans même avoir à évoquer la présomption d’innocence, je rappelle que le conseil d’administration du FMI a réitéré son soutien à Christine Lagarde, actuelle dirigeante du Fonds. J’en suis très heureux.

Décideurs. Sept des vingt-cinq jeunes économistes les plus influents de demain sélectionnés par le FMI sont français. Quelles conclusions en tirez-vous ?
M. C.
C’est réconfortant ! Il y a quinze ans, un ou deux Français seulement auraient fait partie de cette liste. Les économistes américains reconnaissent aujourd’hui que les Français boxent dans la même catégorie. Ce que j’aimerais aujourd’hui, c’est que ces progrès de l’enseignement supérieur de l’économie s’étendent dans le secondaire et que celui-ci s’affranchisse d’une certaine vision idéologique qui perçoit par exemple encore l’entreprise comme un lieu d’exploitation.

(1) La scène de ce drame est le monde, treize ans à la tête du FMI, paru le 10 septembre dernier aux éditions Les Arènes, 440 pages, 22,80€

Propos recueillis par Firmin Sylla et Juliette Boulay

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