Entretien avec Raffaele Poli, responsable de l'Observatoire du football de Neuchâtel
Décideurs. Cet été les transferts de joueurs de football impliquant des fonds d’investissement ont été nombreux. Pensez-vous que cette pratique va se généraliser ?
Raffaele Poli. Oui et cela est lié au manque de liquidités qui afflige de plus en plus de clubs dans un système inflationné par le haut du fait du pouvoir économique grandissant d’un nombre réduit d’équipes. Il faut aussi préciser que les fonds ou sociétés d’investissement impliquent très souvent aussi dirigeants de clubs et agents de joueurs. Sans leurs réseaux, un fonds d’investissement n’est rien.

Décideurs. Pourquoi un club a-t-il recours à des investisseurs privés ?
R. P. Avec la hausse des prix des transferts et la distribution très inégale des ressources, les clubs ont de plus en plus de mal à financer leurs achats de joueurs. Ils font donc appel à des investisseurs privés.

Décideurs. Depuis quand date ce phénomène ?
R. P.
Le phénomène existait déjà en Italie dans les années 1960. Il s’agissait alors surtout de présidents de clubs qui acquéraient les droits des joueurs à titre personnel. La tierce propriété s’est par la suite développée au Brésil dans les années 1980 et a rapidement touché tous les pays d’Amérique du Sud. Il a ensuite pris de l’ampleur au moment de l’internationalisation des transferts avec l’arrêt Bosman de 1995. Le premier pays européen où ce type de pratique s’est généralisé a été le Portugal car il est la porte d’entrée des joueurs brésiliens en Europe. Aujourd’hui, dans tous les pays, les commissions payées aux agents cachent souvent des accords de ce type. En Amérique latine et en Espagne, il existe même des lois étatiques et/ou règlements sportifs qui attribuent aux joueurs une part du montant que les clubs retirent de leur transfert. Au final, je suis persuadé que presque chaque transfert implique, d’une manière ou d’une autre, une propriété tierce.

« De nombreux clubs dépendent de ce système »

Décideurs. Quelles limites ont ce type de pratique ?
R. P.
Le conflit d’intérêts est la première préoccupation. Un joueur dont les droits sur des transferts futurs sont détenus par un investisseur privé peut prendre la place d'un joueur meilleur sportivement mais dont l'exposition rapportera moins à ses propriétaires. La tierce partie est aussi problématique du point de vue de la libre circulation des joueurs et de l’inflation des coûts de transfert. Pour les clubs, elle comporte également le risque d’enfermement dans une spirale de dépendance. Surtout lorsque les dirigeants sont aussi impliqués à titre personnel et ont intérêt à garder leur structure en otage.

Décideurs. Quelle est la position de l’UEFA à ce sujet ?
R. P.
L’organisation voit d’un mauvais œil ce type de pratique et souhaiterait y mettre un terme mais, qu’on le veuille ou non, c’est une pratique qui est déjà trop courante. De nombreux clubs dépendent de ce système et de nombreux dirigeants y participent. C’est pourquoi il n’est pas crédible de dire que l’on va éradiquer ce phénomène en interdisant purement et simplement les tierces parties. Il faut se poser la bonne question : à qui profite le crime ? Plutôt que d’interdire, il vaudrait mieux réguler le système en introduisant des règles plus strictes pour limiter l’influence des tierces parties en proposant par exemple des contrats types et des contrôles plus approfondis sur l’origine des fonds investis.

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