L’Autorité des marchés financiers marque de plus en plus de son empreinte la régulation des activités des marchés. Gérard Rameix donne les éléments d’évaluation du pouvoir de l’institution.

Décideurs. En tant qu’organe de régulation des marchés financiers, l’AMF se place-t-elle comme un partenaire des acteurs du marché, un médiateur ou une autorité de sanction crainte par les acteurs qu’elle régule??

 

Gérard Rameix. Les missions de l’AMF se concentrent sur la protection de l’épargne et le bon fonctionnement du marché. L’AMF protège celui qui investit son argent, particulier et professionnel, que ce soit en direct ou collectivement, en veillant à sa bonne information sur les risques encourus notamment. Plus généralement, l’AMF lutte contre les dysfonctionnements du marché en vérifiant que les services offerts le sont en toute transparence et avec les garanties de sécurité requises. Nous sommes un régulateur, c’est-à-dire un arbitre. Nous ne pouvons pas être perçus comme un partenaire puisque les acteurs des marchés financiers sont soumis à nos règles.

L’AMF participe activement à l’élaboration des règles, prend des décisions individuelles à l’égard des acteurs, s’assure de leur mise en œuvre effective, et prononce des sanctions en cas de non-respect de la réglementation. Nous sommes souvent qualifiés de «?gendarme de la Bourse?», une dénomination que nous acceptons même si elle est un peu réductrice. Il est primordial qu’en cas de dérapage nous puissions sanctionner. La sanction a un rôle pédagogique important et permet aussi de maintenir une saine concurrence entre les acteurs. Le respect des règles qui s’impose à tous a un coût?; si certains ne les appliquent pas, cela porte atteinte à la régulation dans son ensemble.

 

Décideurs. Dans le cadre de vos missions, accordez-vous une place à la négociation avec les acteurs de la «?place?»??

 

G.?R. Nous régulons un domaine très technique et sensible compte tenu des montants en jeu. Il est essentiel que les règles soient bien connues des acteurs. Le dialogue est donc essentiel entre l’AMF, les professionnels du secteur et les représentants d’actionnaires à l’échelle nationale et européenne. Il existe d’ailleurs un large consensus sur ce que doit être un marché financier et la nécessité d’une régulation claire et forte.

 

Décideurs. La question prioritaire de constitutionnalité du 18?mars dernier interdit le cumul de poursuites des infractions boursières par le parquet et par l’AMF. Plaidez-vous auprès du législateur pour conserver le maximum de pouvoir pour sanctionner les abus de marché face au juge pénal??

 

G.?R. Nous travaillons sur cette question depuis l’automne. Nous souhaitons préserver l’efficacité du système actuel de répression des abus de marché. En effet, la commission des sanctions de l’AMF a, depuis sa création, pris un grand nombre de décisions de sanction, prononcé des amendes pécuniaires élevées, le tout en moins de trois ans en moyenne. En cas de comportement contraire au droit boursier, une sanction doit pouvoir intervenir dans un délai raisonnable, tout en respectant les règles du procès équitable. J’estime que la sanction administrative est la plus efficace dans ce domaine et que l’AMF offre cette réponse adaptée.

Nous pensons bien entendu qu’il est nécessaire de conserver la voie pénale mais qu’il faut la réserver aux cas les plus graves,
dans lesquels une peine de prison peut être envisagée compte tenu de l’atteinte à l’ordre social.

 

Décideurs. La directive «?Abus de marché?» impose justement qu’une incrimination pénale soit prévue pour les cas les plus graves. Comment déterminer ces critères de gravité??

 

G.?R. Avant la décision du Conseil constitutionnel, deux voies de répression étaient prévues pour lutter contre les délits boursiers, le juge pénal et l’AMF. Désormais, ces deux voies ne pourront plus être engagées concomitamment. Le critère de distinction fondé sur la gravité de l’infraction en cause doit donc être clairement défini. Le plus judicieux serait d’élaborer des critères objectifs comme le montant des gains réalisés, l’ampleur de l’impact sur les cours, le caractère intentionnel de l’acte réprimé, le fait qu’il soit réalisé en bande organisée ou constitue une récidive. Si ces critères ne sont pas remplis, c’est-à-dire dans un grand nombre de cas, la sanction administrative est la plus adaptée.

En attendant que le législateur se prononce sur le nouveau système de répression des abus de marché à mettre en place, nous
collaborons avec le parquet national financier pour les dossiers en cours et décidons ensemble de leur répartition entre les voies administratives et pénales.

 

 

Il existe un large consensus 

pour une régulation

des marchés claire et forte

 

 

Décideurs. Est-il envisageable qu’un organe d’enquête soit commun à l’AMF et à l’autorité judiciaire??

G.?R. Je ne comprends pas cette idée, l’AMF est une autorité administrative indépendante. Nos équipes d’enquêteurs sont sous l’autorité du secrétaire général qui ouvre les enquêtes. Ce dernier rapporte au collège de l’AMF qui décide des poursuites, en toute indépendance. Il y aurait beaucoup d’inconvénients à brouiller les cartes. Le parquet peut bien évidemment demander la coopération de l’AMF mais nos enquêteurs doivent rester dans un modèle de gouvernance qui respecte notre indépendance et notre mode de fonctionnement.

 

Décideurs. L’Esma est l’autorité européenne des marchés financiers. Quelle est la nature de votre collaboration??

 

G.?R. L’Esma et les autorités nationales agissent sur les marchés financiers mais notre champ de compétence est distinct. L’Esma a une compétence directe dans deux domaines?: la régulation des agences de notation et celle des référentiels centraux de données sur les transactions. Pour tous les autres domaines relevant des marchés financiers, les autorités nationales sont compétentes.

Aujourd’hui, le rôle principal de l’Esma est d’élaborer les standards d’application des textes européens. Cette mission implique un important travail de collaboration avec les régulateurs nationaux et les acteurs du marché. Cette mission de préparation des textes devrait perdre sa prépondérance et nous militons pour que l’Esma évolue vers une plus grande vérification de l’application harmonisée de ces textes. Nous voulons qu’émerge une véritable culture de la régulation partagée entre les différentes autorités européennes lorsqu’elles prennent des décisions individuelles. Pour cela, l’Esma dispose de plusieurs outils coercitifs. Si aucune sanction contre un régulateur national contrevenant à la réglementation européenne n’a encore été prononcée à ce jour, la simple évocation de cette menace participe à l’harmonisation des pratiques au sein de l’Europe.

Les autorités nationales sont impliquées dans le fonctionnement de l’Esma. Son conseil de surveillance est composé des présidents des vingt-huit autorités nationales. L’AMF y prend part activement et y consacre beaucoup de temps. Je suis moi-même membre du management board et préside le groupe corporate finance (finance de marché).

 

Décideurs. Si l’harmonisation de la régulation des marchés financiers est en cours en Europe, comment réaliser celle entre le Vieux Continent et les États-Unis??

 

G.?R. Nous n'attendons pas une uniformisation de la réglementation mais une reconnaissance mutuelle des régimes mis en place de part et d'autre de l'Atlantique, notamment pour la compensation des produits dérivés (loi Dodd-Frank et règlement européen Emir). Des discussions sont actuellement menées entre l'Europe et les autorités américaines. Elles ne sont pas faciles car, précisément, les dispositions des deux régimes ne sont pas identiques et qu'il convient donc d'examiner si les effets des régimes sont équivalents dans un contexte de forte concurrence qui peut avantager certains acteurs plutôt que d'autres. Les sujets en discussion sont en lien avec la compensation obligatoire, le niveau d’harmonisation exigé, et l'organisation de la supervision transfrontalière. Nous espérons que les discussions pourront aboutir rapidement.

 

Décideurs. Depuis que vous êtes à la tête de l’AMF (2012), quelle est votre plus grande réussite??

 

G.?R. Un régulateur doit toujours être modeste et un peu anxieux car la lutte contre les risques est perpétuelle. Je suis toutefois heureux de mettre en œuvre le troisième plan stratégique de l’AMF. Celui-ci, qui vise à redonner confiance dans les marchés financiers, a recueilli un large consensus auprès des acteurs de la place. Il s’inscrit dans la continuité de l’action de mon prédécesseur, Jean-Pierre Jouyet.

En outre, il est très satisfaisant de constater qu’au sein des grandes instances européennes et internationales, la voix de la France est réellement entendue. Nos équipes ont une forte capacité de travail et leurs compétences sont reconnues?: c’est une fierté collective?!

 

Décideurs. Sur quels critères souhaiteriez-vous être «?jugé?»??

 

G.?R. J’estime qu’une de mes principales responsabilités est de faire vivre la collégialité de l’AMF, garante de son indépendance. C’est la priorité de mon mandat. Bien sûr, nous coopérons avec Bercy, notamment pour la préparation des négociations européennes et internationales ou l’évaluation des risques systémiques, mais nous sommes parfaitement indépendants pour la prise de décisions individuelles (agrément d’établissements financiers, autorisation d’opérations financières, d’offres publiques, etc.) et pour la poursuite des comportements contraires au droit financier. C’est sur ces deux principes, la collégialité et l’indépendance, que mon action pourra être évaluée.

 

Propos recueillis par Pascale D'Amore

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