Si les marchés financiers ont conclu l’année 2015 sur une bonne note globale, Gérard Rameix, le président de l’Autorité des marchés financiers, reste prudent. Selon lui, les régulateurs ont encore beaucoup à faire pour accroître la transparence et renforcer la confiance. La directive EMIR sera à ce titre cruciale.

Décideurs. Quel bilan tirez-vous de 2015 ?

Gérard Rameix. Si les marchés ont connu une année 2015 mouvementée, le bilan est assez positif : le CAC 40 a progressé de 9 %, 38 introductions en Bourse ont été réalisées et le marché obligataire s’est bien porté avec 158 opérations représentant un montant total de 178 milliards d’euros. Du côté de l’industrie financière, nous pouvons aussi nous réjouir de la réussite de notre entreprise de marché Euronext qui a effectué un très beau parcours depuis son introduction en Bourse.

 

Décideurs. Quels sont les grands enjeux pour 2016 ?

G. R. Les risques qui pèsent sur les marchés financiers sont nombreux. Tout d’abord, la situation géopolitique est très inquiétante. En tant que régulateur, je me demande si les marchés ont complétement intégré ce danger. Ensuite, il faut tirer toutes les conséquences d’un basculement, certes progressif et partiel, d’un système de financement principalement bancaire à un modèle faisant davantage appel au marché et à tout ce que l’on appelle le shadow banking. Enfin, la liquidité, qui reste aujourd’hui satisfaisante, doit également être pris en compte comme un facteur de risque. Résisterait-elle à un choix financier, notamment sur les marchés de taux ?

 

Décideurs. En 2015, les marchés actions ont été très volatils, cela vous inquiète-t-il ?

G. R. C’est un autre sujet de préoccupation pour l’AMF car cela a un effet négatif sur l’exposition des particuliers aux actions. En la matière, la situation de la France est assez inquiétante : alors que notre pays possède de grands groupes cotés – en nombre, supérieur à notre part dans le PIB mondial -, plus de 50 % du capital des entreprises du CAC 40 est détenu par des investisseurs étrangers. Cette situation est dangereuse à terme pour notre économie. Ce constat appelle une réorientation, déjà partiellement engagée, de notre politique de l’épargne et de certains paramètres de régulation.

 

Décideurs. Face à ce contexte compliqué, quelle seront vos priorités pour 2016 ?

G. R. Nous devons concilier et assumer deux impératifs. Le premier est de réduire les risques, particulièrement ceux de nature systémique, afin d’accroître la transparence et de renforcer la confiance dans le marché. Pour cela, nous devons poursuivre plusieurs réformes qui figuraient dans l’agenda Barnier et ne sont pas encore entrées complétement en vigueur. Je pense tout particulièrement à la directive EMIR et à la compensation obligatoire d’une partie importante des transactions sur les instruments dérivés.

 

« Aider la finance à se recentrer sur son vrai métier »

 

Le deuxième impératif est d’aider la finance à se recentrer sur son vrai métier qui est d’allouer de façon rationnelle et optimale les financements nécessaires aux entreprises et à l’économie. Le premier impératif conduit à durcir les règles et punit s’il le faut les indisciplinés ou les imprudents. J’ai toujours assumé le rôle de gendarme et notre commission des sanctions a, cette année encore, été très active. En 2015, elle a pris vingt et une décisions pour un montant total de vingt et un millions d’euros.

 

Décideurs. La réforme de la répression des abus de marché rendue nécessaire par la récente décision du Conseil constitutionnel aura-t-elle un impact pour l’AMF ?

G. R. En tirant du principe de nécessité des peines la conséquence qu’il n’y aurait désormais qu’une voie de poursuite, la voie pénale ou la voie administrative, le Conseil nous rend la tâche plus compliquée : il vaut mieux avoir un fusil chargé avec deux munitions qu’une. Mais nous respectons cette décision émanant de la plus haute juridiction française. Quel que soit le détail du cadre juridique en cours de définition, nous devons travailler dans le dialogue avec nos partenaires du Parquet national financier pour trouver quel recours est le plus pertinent.

 

Décideurs. Quelle est la position de l’AMF en matière du recueillement des données des acteurs financiers ?

G. R. L’écart entre le potentiel du big data et la réalité des données que les régulateurs sont capables de traiter et d’utiliser de façon opérationnelle est considérable. Nous devons à la fois traiter plus de données et impérativement jouer collectif au niveau européen pour ne pas imposer aux acteurs une diversité de standards et de procédures de recueil, et être nous-mêmes victimes de la Tour de Babel informatique que nous aurions créée. L’AMF a été en 2015 à la pointe de l’effort d’harmonisation européenne dans ce domaine et elle entend le rester

 

Décideurs. En publiant un rapport très critique sur Casino, la société d'analyse financière Muddy Waters a réussi à faire chuter le cours de Bourse du groupe français de 17 % en une journée. Allez-vous ouvrir une enquête ?

G. R. Je ne peux pas me prononcer à l’heure actuelle. Tout ce que je peux vous dire, c’est que l’AMF a demandé des informations à Casino et à Muddy Waters pour juger des critiques formulées sur les comptes du groupe français de grande distribution. Dévoiler de l’information, si elle est bel et bien avérée, n’est pas en soi répréhensible. Ce qui laisse planer le doute dans ce cas est que Muddy Waters ait parié sur la baisse de l’action Casino. Nous comptons bien regarder de près les arguments des uns et des autres et analyser le caractère trompeur ou non des arguments de cet intervenant, mais cela prendra du temps.

 

Propos recueillis par V. P. lors de la présentation des vœux de l’AMF à la presse le 13 janvier 2016.

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