Après avoir brillé chez Vediorbis, Geoservices et Altran, Philippe Salle va, avec le numéro trois européen, à contre-courant de la concurrence qui investit dans les services. Le dirigeant souhaite se concentrer sur son cœur de métier. Retour sur ses cent premiers jours.

Robert Zolade, le fondateur du groupe de restauration collective, l’a contacté en personne. Une première fois en 2013 mais Philippe Salle refuse. Il n’aime pas quitter une entreprise sans avoir terminé sa mission. Pourtant, Charterhouse, actionnaire d’environ 20?% du capital d’Elior à cette époque, est également présent pour séduire le dirigeant. Car, depuis qu’Astorg a multiplié sa mise par quatre en cinq ans en sortant de Geoservices, Philippe Salle a la cote auprès des fonds d’investissement. Robert Zolade et Charterhouse ne se découragent pas et retentent début 2015. Estimant en avoir fini avec Altran, Philippe Salle finit par accepter. Il faut dire que le P-DG d’Elior fait des envieux : en huit ans, il multiplie par cinq le chiffre d’affaires de Vediorbis. Au sein de Geoservices, il double la rentabilité en quatre ans. Il sauve Altran du naufrage et fait passer son CA de 1,4 à deux milliards d’euros en quatre ans. Retour sur les cent premiers jours de ce patron hors norme.

 

29 avril 2015

 

Philippe Salle devient P-DG. En réalité, il dirige la société de services depuis le 10 mars en tant que président du conseil d’administration?: officiellement, il est aux commandes d’Altran jusqu’au 30 avril. Cela ne l’empêche pas néanmoins d’avancer. Depuis mars, il applique sa méthode de travail. D’abord, s’imprégner du marché. Son passage chez McKinsey lui a permis de comprendre rapidement tous les enjeux d’un secteur. Pour cela, il aime aussi rencontrer les équipes afin de cerner les forces et les faiblesses de son entreprise. « Il n’a pas de problème d’ego. Si vous déroulez un bon argumentaire, il peut faire évoluer sa position », estime Alexandre de Palmas, directeur général d’Areas France et Europe du Nord.

 

Il définit ensuite une vision pour l’entreprise puis un plan stratégique. La troisième étape, la plus essentielle selon lui, est la constitution d’une équipe, jamais la même. En fonction de la stratégie et de l’organigramme,  les profils dont il a besoin peuvent varier. « Je me considère comme un entraîneur. J’essaie de constituer la meilleure équipe le plus rapidement possible?», confie-t-il. « Chez Elior, j’ai changé environ 40?% du top 20. Mais j’ai déjà été obligé d’opérer beaucoup plus de changements. Pour Vediorbis, j’avais renouvelé 80?% de l’équipe de management ». Cela ne l’empêche pas de rester fidèle. Son assistante et son directeur de communication le suivent depuis près de dix ans. « Pour m’annoncer qu’il allait prendre la direction d’Elior, il m’a dit "On quitte Altran". Bien sûr, je n’ai pas hésité une seconde. Au fil des ans, nous avons construit une relation de confiance et de loyauté réciproque », se rappelle Frédéric Fougerat, le nouveau directeur de la communication du groupe, nommé avant même Philippe Salle.

 

Son management est très apprécié de ses collaborateurs. « Il responsabilise vraiment. S’il vous donne un dossier c’est qu’il pense que vous avez les capacités pour le gérer », précise Xavier Dhomé, directeur de la transformation du groupe. En bon entraîneur, cela ne l’empêche pas de vérifier les résultats. « Même s’il délègue énormément, il s’informe, garde un œil et fixe les objectifs, insiste Frédéric Fougerat. Son tempérament pousse les autres à agir ». Autre point marquant, sa rapidité. « Philippe est quelqu’un qui va droit au but. Mon entretien de recrutement avec lui n’a duré que dix minutes », se rappelle Alexandre de Palmas. « Aucune des réunions que nous faisons ne dure plus de trente minutes », ajoute Xavier Dhomé. « Parfois, je suis même obligé de le freiner un peu. Je lui dis alors?: je veux te parler d’un point mais je ne souhaite pas de décision aujourd’hui. » « Quand quelqu’un rentre dans mon bureau, il sort avec une réponse. Ce n’est pas forcément la bonne mais en tout cas, on ne reste pas statique?», reconnaît Philippe Salle. Bien sûr, son style direct ne plaît pas à tout le monde et de nombreux collaborateurs ont quitté l’aventure d’eux-mêmes. Des choix que Philippe Salle comprend : « Je suis exigeant mais je ne manage pas par la terreur. Mon intérêt est que mes collaborateurs progressent. »

 

30 avril 2015

 

Seulement un jour après son arrivée, Elior annonce qu’il va porter sa participation à 100?% dans sa filiale Areas. Avec cette intégration, Philippe Salle souhaite consolider ses positions de leader en Europe continentale et accélérer fortement son développement organique aux États-Unis. Une rapidité qui confirme la stratégie du dirigeant : six mois pour mettre en place les éléments fondateurs et les quatre années suivantes pour qu’ils portent leurs fruits. « La vitesse d’exécution est très importante. Mais la taille est l’ennemi de la vitesse. Il faut avoir conscience que diriger une entreprise qui compte 110 000 salariés, c’est comme barrer un porte-avions?», analyse le P-DG.

 

Pour gagner en flexibilité, il compte redonner du pouvoir au terrain en raccourcissant la chaîne de commandement et donnant plus d’importance aux maillons intermédiaires, les responsables de sites. Philippe Salle peut aussi compter sur ses qualités de leader. « Il a la capacité de définir des objectifs de manière simple et méthodique. Cela permet de mobiliser rapidement les équipes », juge Alexandre de Palmas. Le nouveau P-DG souhaite s’adresser à ses employés au moins une fois par trimestre afin que son message soit bien transmis. Autre axe stratégique : la digitalisation pour laquelle il compte investir cinquante millions d’euros. En interne, le dirigeant améliore la collecte des données afin de disposer d’un véritable outil de gestion. Pour les clients, l’expérience doit être simplifiée et améliorée pour en faire des prescripteurs.

 

9 juillet 2015

 

Elior s’engage aux côtés de SNCF Gares & Connexions et investit pour la modernisation et le développement de la restauration dans quatorze gares françaises. Dans la foulée, Philippe Salle présente son plan au conseil. Malgré les vacances, il maintient un rythme soutenu.  « C’est quelqu’un qui reste connecté non-stop. Il attend de ses N-1 et N-2 le même engagement », témoigne Xavier Dhomé. Et délègue. « Il ne veut pas tout contrôler, indique Frédéric Fougerat. La seule chose qu’il aime choisir personnellement, ce sont les vins proposés pour un gros événement. » Un peu plus de trois mois après son arrivée, Philippe Salle renforce les positions de son groupe aux États-Unis avec l’acquisition de Starr Restaurant Catering Group.

 

24 septembre 2015

 

Dernière facette de sa méthode de travail, la communication. Lors de l’Investor Day, Philippe Salle présente son plan d’action baptisé Tsubaki, « camélia en fleur » en japonais. L’objectif est ambitieux?: atteindre un chiffre d’affaires compris entre sept et huit milliards d’euros. Il n’était « que » de 5,7?milliards d’euros en 2015. Étonnamment, les marchés accueillent mal cette présentation. Le jour de l’annonce, l’action d’Elior perd 5?%. Mais Philippe Salle, pour qui les Bourses sont devenues des casinos, préfère se concentrer sur ses objectifs. « Je réfléchis déjà au plan que je mettrai en place en 2020 pour 2025 », prévient-il tout sourire.

 

11 mars 2016

 

Près d’un an après son arrivée, Philippe Salle marque un peu plus l’histoire de la société en procédant à un changement de nom. L’entité s’appellera désormais Elior Group. Son slogan ? « Time savored ». Une évidence pour celui qui passe ses journées à courir après le temps. Quand on lui demande s’il ambitionne de diriger un groupe du CAC 40, il ne dit pas non. Affaire à suivre en 2025. Car « après plus de deux mandats dans une société, ce n’est pas bon. Après, on a du mal à se renouveler ».

 

Vincent Paes

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