Dans un monde partagé entre deux aspirations contraires – celle du retour aux frontières nationales et celle de la relance du projet européen –, la crise du Brexit pourrait-elle déboucher sur une opportunité de renouveau ?

Dans un monde de turbulence, qu’attend-on d’un pays ?  C’est sur cette question – particulièrement d’actualité quelques jours seulement après le coup de théâtre du Brexit – que le Cercle des économistes avait choisi d’ouvrir, le week-end dernier, la 16e édition des Rencontres économiques d’Aix. Pour tenter d’y répondre, plus de 220 intervenants issus de tous univers - politiques et économistes, dirigeants d’institutions et de grandes entreprises, créateurs de start-up et experts de la finance mondiale… – se sont succédé trois jours durant, contribuant tous, par leur expertise et leur vision, à établir un état des lieux. Celui d’un monde entré en turbulences, certes, mais aussi porteur de nouvelles opportunités. Un monde parvenu à la croisée des chemins ; partagé entre deux aspirations contraires : celle du retour en arrière, du repli sur soi et de la tentation protectionniste, et celle de la poursuite d’une aventure collective : l’Europe et, à travers elle, l’ouverture au monde.

 

Faire du Brexit une chance…

Un contexte dans lequel le Brexit – à la fois invité surprise et sujet star de ces Rencontres… –  sera tour à tour présenté comme un avertissement, une menace et une opportunité, tous s’accordant toutefois sur un point : la dimension de symptôme de ce vote révélateur du ras-le-bol d’une partie des citoyens européens. Ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’Europe telle qu’elle est pensée et conduite aujourd’hui et pour qui la globalisation est devenue source de précarisation et de déclassement social. Pour Suzanne Berger, politologue et professeure au MIT, le message du Brexit est clair et ne plus peut être ignoré. « La mondialisation crée de la colère parce qu’elle est perçue comme favorisant uniquement les riches, explique-t-elle. Cela débouche sur une période nouvelle et dangereuse qui requiert une vigilance accrue. » Deux possibilités désormais : passer outre l’avertissement contenu dans ce vote et persister dans l’attentisme politique avec le risque – élevé – de voir la tentation séparatiste gagner d’autres pays de l’Union et celle-ci se disloquer progressivement ou, comme le préconise Suzanne Berger, faire du référendum britannique un « wake up call ». Profiter de la crise actuelle pour rompre avec l’état d’engourdissement dans lequel le poids de la bureaucratie nous a progressivement plongés, estompant les contours du projet européen, émoussant l’ambition collective comme le sentiment d’appartenance. Pour Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des Affaires économiques à Bruxelles, le verdict est sans appel : « Si l’on se contente de subir le Brexit, si le statu quo reste notre seule réponse, alors le Royaume-Uni ne sera pas le seul à sortir de l’Union. » D’où l’urgence de faire du Brexit non seulement une chance, mais aussi, comme le recommande Yann Algan, co-auteur de La Société de défiance et membre du Cercle des économistes, « une leçon d’humilité ».

 

… et une leçon d’humilité

Car nombre d’intervenants l’ont souligné : relancer le projet européen supposera non seulement de renouer avec son ambition de départ mais aussi de corriger ses erreurs récentes. À commencer par celles ayant abouti à laisser une partie des citoyens « sur le bord de la route », créant non seulement des déçus mais aussi « des perdants de l’Europe ».

 

Deux possibilités désormais : passer outre l’avertissement contenu dans le Brexit et persister dans l’attentisme politique avec le risque – élevé – de voir la tentation séparatiste gagner d’autres pays ou faire du référendum britannique un « wake up call » 

 

Une erreur coûteuse à tous points de vue dont, selon Philippe Aghion, membre du Cercle des économistes et professeur au Collège de France, il est impératif de tirer les leçons. « Il faut bâtir un modèle social commun permettant de faire en sorte que personne ne soit exclu du progrès, assène-t-il. Voilà le grand défi que l’Europe et chacun de ses pays membres doit relever ! » Faute de quoi, on verra le rejet de l’Europe alimenter la nostalgie des frontières et de l’entre soi et, à travers elle, le vote populiste qui, déjà, fragilise nos équilibres démocratiques. À nos dirigeants nationaux d’en prendre conscience pour, comme le recommande Laurence Boone, chef économiste du groupe Axa et membre du Cercle des économistes, « sortir du Brexit par le haut », en mobilisant les énergies, en redéfinissant un projet collectif, en réinventant cette Europe qui a cessé de faire rêver. Ambitieux mais pas impossible si, comme le préconise Guillaume Faury, CEO d’Airbus Helicopters, ceux-ci s’emploient à « ne pas gâcher une bonne crise » en faisant du Brexit le point de départ du renouveau européen.

 

Par Caroline Castets

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