La puissance : quelle puissance ?
À la question : « Qu’est-ce qui fait, aujourd’hui, la puissance d’un pays ? », les intervenants des Rencontres économiques d’Aix ont cité tour à tour l’unité, la vision, la coopération et l’innovation. Ces vecteurs de croissance qui, au fil des décennies passées, se sont chargés d’une telle dimension stratégique qu’ils ont fini par supplanter l’atout de la force armée. « Ce n’est plus la force militaire qui fait la puissance d’un pays, confirme Philippe Aghion, professeur au Collège de France et membre du Cercle des économistes. C’est la coopération, c’est l’innovation… ce qui explique que, désormais, il n’y ait plus de limite au développement. »
L’innovation, surtout, apparaît comme « le nerf de la guerre » à condition, toutefois, qu’elle n’aboutisse pas à une aggravation des inégalités déjà existantes… Pour certains, tout l’enjeu est là : comment l’État peut-il catalyser le secteur de l’innovation ? Comment peut-il doper la créativité sans sanctionner l’échec ? Et surtout, comment faire en sorte que les bénéfices de cette innovation soient partagés ?
Innovation et vision
Autant de questions auxquelles dirigeants nationaux et acteurs de l’économie devront répondre dans un monde où l’innovation, rappelle Bernard Gainnier, président de PWC, ne se limite plus au domaine technologique mais irrigue l’ensemble de la société. « Nous vivons non pas le changement mais la transformation de la société, explique-t-il. Tout est remis en cause. L’innovation est non seulement technologique mais également managériale, ce qui requiert un nouveau style de leadership impliquant de donner du sens, de porter une vision. Si on ne sait pas donner du sens à demain, on n’emmène personne et on fait peur. »
« Ce n’est plus la force militaire qui fait la puissance d’un pays. C’est la coopération, c’est l’innovation… ce qui explique que, désormais, il n’y ait plus de limite au développement »
D’où la nécessité, pour valoriser cette innovation, de diffuser une envie, de partager une ambition - François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France rappelle que « pour transformer ses atouts en puissance, il faut une ambition »… -, de communiquer une vision en développant un leadership au sein des États, comme il en existe déjà un au sein des entreprises.
Sur ce plan, Patrick Pouyanné, CEO de Total, est formel : « On ne peut être toujours dans la rigueur et la discipline. » Pour gagner en puissance « il faut savoir donner de l’espoir et de la vision à long terme aux gens. C’est le cas pour les entreprises et ça doit l’être également pour les États. »
Unité et coopération
À cela s’ajoute la carte, essentielle, de l’unité et de la coopération entre secteurs, entre populations, mais aussi entre États. Un impératif que Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, s’est chargé de rappeler en une phrase au Royaume-Uni : « Ce n'est pas en quittant l'Union européenne que l’on est plus fort et que l’on renforce sa souveraineté?. »
Raison pour laquelle l’intégration à l’Union européenne doit être perçue comme un facteur de puissance pour chacun de ses membres. Reste à susciter l’adhésion de chacun au projet et au « récit » européen. Pour Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE – pour qui « les premiers risques qui nous guettent, en cette période de sidération post-Brexit, sont ceux de la division et de la sinistrose »… – l’enjeu est désormais essentiel. « L’Europe s’est d’abord construite sur un narratif clair – mettre fin aux guerres – qui a parfaitement fonctionné et, plus tard, sur un second narratif basé sur l’Europe, ?meilleure réponse à la mondialisation? qui n’a pas convaincu. Reste à inventer un troisième récit fondé sur ?l’Europe source de croissance? », explique-t-il. Pour cela, il faut réinjecter de la démocratie dans la prise de décision européenne, créer des mécanismes qui fonctionnent. C’est cela qui nous permettra de recréer de la croissance. »
Par Caroline Castets