Après une vingtaine d'années passées chez Intermediate Capital Group (ICG), colosse britannique de l'investissement coté sur le Footsie à Londres, l'actuel CEO Christophe Evain est sur le point de passer le flambeau à Benoît Durteste. C'est une société en grande forme qu'il conduira : les actifs sous gestion sont en hausse de 10 % à 23,8 milliards d'euros lorsque les profits du groupe culminent à 252 millions de livres (159 millions en 2016)! Souhaitons au nouveau commandant de bord qu'il puisse asseoir ICG en tant qu'acteur de référence des marchés de capitaux et du non coté à l'international, tout en continuant à affirmer ses racines européennes.

Dealmakers. Vous remplacez un autre Français, Christophe Evain, à la tête d'une société cotée anglaise. C'est assez rare pour être mentionné, non ?

Benoît Durteste. Hormis Xavier Rolet (London Stock Exchange), je dois avouer que cette situation est peu commune. Mais historiquement, le marché français est très important pour ICG et l'un des cofondateurs, Jean-Loup Brousse de Gersigny, est francophone car originaire de l'île Maurice.

 

Cela dit, le passage de témoin entre Christophe et moi-même se fait naturellement et dans un cadre bien préparé. Christophe est l'un des piliers d'ICG depuis vingt-trois ans, ce qui correspond presque à la date de création de la société (1989). Il a contribué à toutes les étapes de son développement. Pour ma part, avec plus de quinze ans passés au sein du groupe, je fais partie des collaborateurs les plus expérimentés. Je suis aussi au comité exécutif depuis plusieurs années et l'acquisition progressive de responsabilités me conduit aujourd'hui à prendre la tête de cette société en pleine forme.

Sur le plan de la gouvernance, l'avantage de la cotation réside dans l'obligation d'organiser en amont les successions, et d'éviter les problèmes de partnerships que les sociétés de gestion non cotées rencontrent lorsqu'un dirigeant actionnaire s'en va. 

 

Quinze ans dans la même entreprise, c'est une longévité de moins en moins courante. Vous aviez sûrement d'autres opportunités de carrière. Pourquoi continuer chez ICG en tant que CEO ?

Je me plais chez ICG et je n'ai jamais ressenti l'envie de partir, d'autant plus que le groupe a connu une croissance assez forte ces dix dernières années. C'est stimulant d'évoluer dans un environnement dynamique. Il y a chez ICG un mélange assez étonnant entre la structure – ICG est coté sur le Footsie – et la flexibilité – la prise d'initiative personnelle est encouragée. Dit autrement, si la cotation assoit un certain nombre de règles de bonne gestion, elle ne pèse pas sur l'agilité de l'entreprise. Bien sûr, comme capitaine à la barre du navire, je serai moins impliqué dans les opérations d'investissement, mais quelque part je bénéficierai d'une vision encore plus globale de nos activités et des problématiques qu'elles impliquent. Intellectuellement, c'est tout aussi intéressant. 

 

Un comité exécutif restreint pour une agilité préservée donc ?

C'est vrai qu'avec trois personnes seulement, il demeure restreint. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est une nécessité immuable mais cela nous permet de garder une vision claire de nos objectifs.

 

Est-ce que ces objectifs ont été quelque peu chamboulés par le Brexit ?

Cela n'a rien entraîné chez nous en tant qu'institution. La donne reste la même avec nos partenaires institutionnels, fonds de pensions et fonds souverains essentiellement, et les véhicules d'investissement qui bénéficient de licences un peu partout dans le monde. Après, le Brexit nous fait réfléchir sur les impacts potentiels que peuvent subir nos sociétés en portefeuille ou celles que nous convoitons, tant sur le plan réglementaire que sur le plan économico-commercial (taux de change, frais de douanes...). Typiquement, en Grande-Bretagne, nous avons récemment mis la main sur un réseau de résidences/lodges qui pourrait bénéficier d'un recentrage domestique des vacances des ménages si la livre perdait trop de terrain vis-à-vis des autres monnaies...

À titre personnel, je pense que c'est toujours regrettable de quitter un groupe, une famille. Même si j'essaye d'entendre les arguments pro-Brexit, j'ai du mal à comprendre en quoi le Brexit se révèlera positif pour le Royaume-Uni. 

 

Votre promotion est-elle synonyme de transition stratégique ou allez-vous continuer à renforcer l'existant ?

Notre rythme de croissance est toujours soutenu. La priorité est de continuer à développer nos activités existantes. Je serais mal placé pour changer la stratégie du groupe alors que je suis membre de son comité exécutif depuis plusieurs années ! Nous restons ambitieux et proactifs. À l'ordre du jour, nous avons le démarrage d'une levée de fonds dédiée aux industries énergétiques en Asie-Pacifique, autour de l'Australie précisément. L'équipe est en place et étudie déjà des dossiers d'investissement. Les deux premières opérations devraient être réalisées sur notre bilan afin de montrer que l'on maîtrise les risques de ce marché. En fait, en plus du savoir-faire de nos équipes, nous n'hésitons pas à solliciter nos clients habituels sur la pertinence des opérations envisagées. Si le LP a une bonne connaissance du secteur, autant travailler avec lui plutôt que de prétendre que nous savons tout sur tout ! In fine, c'est aussi plus simple de lui faire prendre un ticket dans le prochain véhicule. 

 

« Le marché réclame haut et fort un acteur de taille significative, à la dimension globale mais aux racines européennes »

 

Sur le plan géographique, notre siège est à Londres et nous restons très européens. Mais nos clients investisseurs sont eux très internationaux et ils nous poussent à sortir des sentiers battus. Par conséquent, le besoin d'internationalisation existe encore aujourd'hui. Sur nos marchés, les sociétés de gestion américaines sont réputées avoir des offres plus globales, même si cela consiste bien souvent dans « beaucoup d'américain et une pincée de sel de non-américain »... Tout cela pour dire que le marché réclame haut et fort un acteur de taille significative, à la dimension globale mais aux racines européennes. En tant qu'européen, on sait que la France n'a rien à voir avec l'Angleterre. Je peux vous raconter une vieille histoire : par le passé, nous avons été actionnaires de Picard Surgelés. Lorsque ce dossier fut présenté aux équipes d'ICG, la première réaction des Anglais fut d'écarter cette opération car pour eux, le frozen food constituait une activité aux marges faibles et perçue comme le vilain petit canard de la grande distribution.  

Dans tous les cas, il est hors de question d'aller dans une région sans la présence d'une équipe locale. La priorité est de prendre son temps avec une équipe en place. En Amérique latine ou au Japon, cela fait longtemps que l'on pense à s'implanter, mais nous n'avons jamais vraiment trouvé la bonne configuration.

 

Votre profil d'investisseur coté à Londres, actif en Europe, fait penser à 3i. Êtes-vous si proches que cela ?

Sur le papier oui, même s'ils ont dernièrement cédé leur activité de dette à InvestCorp. Dans les faits, 3i a rencontré beaucoup plus de difficultés que nous à se remettre de la crise de 2008. Ils sont passés par une phase de restructuration massive et n'ont levé aucun fonds pour compte de tiers depuis cette date fatidique. Aujourd'hui, c'est uniquement leur bilan qui leur permet d'investir. En revanche, ICG conserve la double casquette de l'investissement pour compte propre (opérations les plus lucratives) et pour compte de tiers.

 

Deux stratégies d'investissement qui prennent formes dans quels métiers ?

D'un côté, nous avons les métiers liés aux corporates (45 % des AUM) : la dette, le private equity, et la mezzanine. Sur ces aspects, nous sommes présents en Europe, aux États-Unis et en Asie-Pacifique.

D'un autre côté, nous retrouvons les métiers liés aux marchés de capitaux (25 % des AUM) : CLO, high yield... Tous les produits de marché dont les volumes d'échange sont plus importants et donc, avec une liquidité plus grande. Ici, nous avons choisi de ne pas nous développer en Asie car le marché est plus compliqué, volatil...

Aussi, nous disposons d'une activité immobilière (20 % des AUM), exclusivement au Royaume-Uni, mais qui comprend tout de même 3,5 milliards de livres d'actifs.

Enfin, nous avons une activité de fonds de fonds basée à New York – où nous venons en aide aux LPs dans le cas de vintages de fonds sous-performant – et de co-investissement (10 % des AUM).

 

Quelques mots sur le marché du private equity en France... Beaucoup de liquidités mais des sociétés rapidement prises d'assaut. Quel est l'angle d'ICG (NDLR : ICG a conclu le rachat de DomusVi quelques jours après la réalisation de cette interview) ?

Ce marché n'est pas simple car de nombreux acheteurs potentiels se ruent souvent sur une petite quantité de cibles. Néanmoins, je pense que le dealflow est significatif et de bonne qualité par rapport à ce qu'il était il y a quinze ans. Si les valorisations des entreprises sont très élevées, je ne pense pas qu'elles soient déconnectées des références boursières. Pré-crise, les acteurs du non coté payaient plus cher que le prix de marché, ce qui n'est plus le cas. Aujourd'hui, vous avez d'ailleurs de nombreux deals qui se font entre industriels, preuve de la tempérance du marché. En ce qui concerne le climat des affaires, tant sur le plan politico-réglementaire que sur le plan économique, les nouvelles sont plutôt rassurantes et je ne vois pas de nuages noirs à l'horizon. Finalement, on a maintenant des investisseurs institutionnels qui ne cessent d'augmenter leur allocation de fonds au profit du private equity ! C'est quand même une classe d'actifs qui génère 10 % nets de rendement sur le long terme. Quelle autre classe peut revendiquer de telles performances ?

 

Quant à notre angle d'attaque, nous n'avons pas de recette miracle anti-concurrence mais nous privilégions les sociétés dont l'actionnariat, familial ou managérial, reste fort. Les transactions avec les family offices sont aussi dans notre viseur. Pour les investissements en France, c'est un fonds mezz/equity « Europe » de 3 milliards que nous engageons (investi à 45 %, reste quatre ans). Nous sommes notamment au capital de La Toulousaine ou Charlois.

 

Quelle est la dernière innovation, de toute nature, à mettre au crédit d'ICG ?  

Nous avons créé un programme à Londres pour recruter chez nous, comme stagiaires, des jeunes à fort potentiel appartenant à des milieux plutôt défavorisés. Cela fonctionne car 90 % de ces étudiants trouvent un job après leur expérience chez ICG, lorsqu'ils ne sont pas embauchés chez nous. 

 

@firminsylla Journaliste Finance/Stratégie

 

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