Longtemps dictée par un seul but, la performance, la stratégie des asset managers tend de plus en plus vers une logique responsable. Leur déclic ? L’exigence de leurs clients, pour qui un bon rendement ne suffit plus.

Les critères extra-financiers n’ont jamais pesé aussi lourd dans les choix d’investissement des gestionnaires d’actifs. Le réchauffement climatique, la pollution, l’exploitation des salariés, la rémunération exorbitante de certains dirigeants sont autant de préoccupations pour les investisseurs finaux, qui sont de plus en plus attentifs au respect de standards ESG – environnementaux, sociaux et de gouvernance – sains. « La responsabilité sociale repose avant tout sur une vision durable de l’entreprise », explique le Prix Nobel d'économie Jean Tirole. « Est-ce un sacrifice du profit ? Un économiste dirait qu’au contraire, il s’agit de maximiser le vrai profit, celui de long terme. » Le Français à la tête de l'école d’économie de Toulouse touche ici le cœur des préoccupations de nombreux professionnels de la gestion d’actifs : le rendement.

La performance n’est pas en option

Il existe un consensus de plus en plus fort : les critères ESG ont un impact sur la performance financière. Dans une étude publiée en 2017, l’OCDE met en avant des résultats de recherche suggérant que les marchés financiers récompensent les entreprises responsables. En outre, l’intégration de ces critères extra-financiers protégerait les investisseurs de chocs macroéconomiques, en particulier ceux liés au changement climatique. Une vision partagée par Jean Tirole : « Un fonds décarboné aura un beta (coefficient de volatilité, ndlr) faible voire négatif le jour où les États prendront des mesures fortes, comme la hausse du prix du carbone. » Toutefois, la performance des fonds ISR – investissement socialement responsable – reste corrélée à un autre principe économique : l’information parfaite. Un enjeu que les entreprises elles-mêmes ont bien compris et intégré dans leur stratégie de séduction des investisseurs. « Ce n’est pas ou on sauve la planète, ou on est performant. C’est et », assène Christophe Cuvillier, président du directoire d’Unibail-Rodamco. Le gestionnaire de centre commerciaux coté en Bourse a mis en place un plan ambitieux visant à réduire de 50 % l’empreinte carbone de la société d’ici à 2030. Et au-delà des outils opérationnels et de la communication interne, tenir informés les actionnaires des avancements du plan est crucial : « Nous faisons des roadshows dédiés à l’ISR, afin d’expliquer aux investisseurs ce que nous faisons mais aussi de comprendre leurs attentes. »

« Nous avons besoin d’une plus grande harmonisation des éléments extra-financiers publiés à travers l’Europe »

Les régulateurs s’emparent du sujet

Le principal frein au développement de l’ISR reste aujourd’hui la difficulté à quantifier l’impact de ces facteurs. Pour cette raison, beaucoup d’asset managers et d’investisseurs institutionnels privilégient encore l’analyse purement financière. La pression d’autres facteurs de risque – environnement de taux bas, instabilité politique – rend également moins urgente l’intégration d’une stratégie responsable. Pour contrebalancer cette attitude, les régulateurs ont mis en place une série de mesures visant à encourager l’ISR. En France, la loi Grenelle II oblige depuis 2012 les sociétés de gestion à présenter leur démarche générale de prise en compte des critères ESG dans leur politique d’investissement. Obligation renforcée par la loi sur la transition énergétique de 2015, qui étend cette obligation aux investisseurs institutionnels. En 2016, un label ISR promu par l'AFG et le FIR permet aux fonds d’être accrédités « responsables ». Ils sont aujourd’hui 147 à être labelisés. Au niveau européen, d’autres initiatives ont vu le jour. « La directive sur le reporting extra-financier oblige les entreprises européennes à lister les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance auxquels elles s’exposent ainsi que les mesures prises pour y remédier », explique Verena Ross, directeur exécutif de l’Esma. Pour son homologue français Robert Ophèle, à la tête de l’AMF, il reste toutefois du chemin à parcourir : « Nous avons besoin d’une plus grande harmonisation des éléments extra-financiers publiés à travers l’Europe, ainsi que d’étendre ces obligations aux entreprises de taille moyenne. » Pour être certain de l’effet de ces mesures, le président défend le principe du « name and shame », mais aussi du « name and praise » des gestionnaires d’actifs qui appliqueraient des standards élevés de transparence. Un cocktail régulatoire qui, couplé à la prise de conscience environnementale des clients finaux, déroule le tapis vert aux investisseurs responsables.  

Propos recueillis par Camille Prigent lors des Assises européennes de la gestion

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