C'est l'un des investisseurs activistes les plus en vue des dernières années. Carson Block, CEO et fondateur de Muddy Waters, nous livre sa vision de l'activisme, avec quelques perspectives sur le Vieux continent.

Décideurs. Plus de 650 campagnes activistes ont été identifiées en 2016. Comment percevez-vous l’essor des fonds activistes au cours des dernières années ?

C.B. L’apparition en Europe des activistes de ventes à découvert (comme Muddy Waters) et des activistes acheteurs (long terme) présente des racines communes. D’après moi, la gouvernance des entreprises est plus faible en Europe qu’aux États-Unis, ce qui s’explique par une culture européenne marquée par une déférence plus importante envers les directoires et conseils d’administration. En d’autres termes, les investisseurs européens sont beaucoup plus réticents à l’idée de défier les entreprises – il s’agit presque d’un tabou. C’est pourquoi il y a beaucoup de cibles évidentes en Europe pour les activistes qui cherchent à rendre les entreprises plus compétitives et plus efficaces en questionnant leurs stratégies et la composition de leur conseil d’administration ou de leur direction.

Aux États-Unis, vous constaterez facilement que l’ingénierie financière, avec les leviers de dettes, les rachats d’actions et les dividendes, est devenue la thématique favorite des activistes. C’est ce qui se passe lorsque les entreprises mènent déjà leurs affaires de la façon la plus compétitive qui soit. C’est pourquoi, dans les marchés plus matures, les activistes s’intéressent plus souvent à l’ingénierie financière. À mon sens, ce n’est pas une approche saine dans la mesure où elle est souvent, et à juste titre, considérée comme une approche de court terme, en contraste avec le développement long de la compétitivité d’une entreprise. Je rejoins donc la critique faite aux manipulations financières et autres étranglements par la dette. Parce que l’Europe en est au début du cycle de l’activisme, je pense qu’il y a de nombreux bénéfices pour les entreprises européennes, les marchés ou les économies à accueillir les campagnes activistes qui portent sur la compétitivité des entreprises.

Votre point de vue semble relativement positif pour l’Europe.

Les fruits faciles à cueillir (low-hanging fruits) avec des opérations pouvant être de plus en plus efficaces sont relativement plus rares à trouver aux États-Unis. Ce n’est pas le cas de l’Europe, où le marché est dynamique avec de nombreux sujets sur la gouvernance et de nombreux modèles aisément critiquables. La prochaine phase verra probablement l’activisme devenir de plus en plus orienté sur l’ingénierie financière, comme cela s’est fait aux Etats-Unis, bien que cela dépende aussi de la situation de l’Europe dans le cycle du recours à la dette lorsque l’activisme sera plus mûr. 

Je pense que, malgré la nature souvent court-termiste de l’activisme américain actuel, l’économie américaine a, dans l’ensemble, bénéficié de l’activisme. L’Europe n’en est pas encore au moment où ses entreprises ont atteint leur niveau de compétitivité maximal.

Si je devais m’adresser à la classe politique européenne, je l’encouragerais à être plus accommodante avec les investisseurs activistes à cette étape de l’Histoire.

Considérez-vous que les fonds activistes anglo-saxons sont plus offensifs que leurs homologues européens ?

(Rires). Je crois qu’il faut subdiviser la réponse. Je pense que nous, américains, sommes plus frontaux que ne le sont les britanniques qui sont eux-mêmes plus portés vers la confrontation que ne le sont les investisseurs européens continentaux. À titre personnel, j’estime que la confrontation fait partie intégrante des mondes politique et corporate. Je crois fermement que l’approche américaine, aussi bruyante et parfois aussi désagréable qu’elle puisse paraître, produit de meilleurs effets sur le long terme en comparaison au fait de demeurer politiquement correct.

Les gérants activistes sont parfois perçus comme des “vautours”, bien que leur but puisse être d’augmenter la valeur d’une entreprise dans l’intérêt des actionnaires comme des salariés. Vous voyez davantage comme un entrepreneur que comme un investisseur ?

J’ai une approche assez différente des activistes investisseurs acheteurs (activistes long terme) dans la mesure où je suis issu de l’activisme court-terme (vendeur). Je considère mon approche comme entrepreneuriale. Par le passé, j’ai été un entrepreneur, dans le monde non financier, même si cela n’a pas été forcément concluant… Cependant, cette expérience m’a appris à respecter ce je considère comme les règles du business, les lois de la création de valeur. Voir des gens prendre des raccourcis sans respecter les principes de l’entreprenariat a attisé mon souhait de faire ce que je fais. Je critique donc les entreprises dont je perçois que le management viole ces principes. J’ai pu être choqué par des pratiques d’affaires dont j’ai pu être témoin.

Comment appliquez-vous la phrase « les eaux troubles rendent la pêche plus facile » ?

C’est un proverbe chinois que j’ai appris avant de commencer ce business. J’étais avec des officiels locaux à Shanghai et je me plaignais de ce que j’appelle les couches de soustraction de valeur qui sont ostensiblement présentes dans chaque transaction en Chine. Dans beaucoup de transactions en Chine, il y a des gens qui interfèrent sans créer aucune valeur additionnelle, ce que j’appelle des parasites et ce que les économistes qualifient de « chasseurs de rente ». Lorsque j’évoquais ces parasites, je me disais que le gouvernement pouvait mettre en place des barrières pour endiguer ce phénomène, sans trouver la raison pour laquelle il ne le faisait pas. Mon accompagnateur m’a répondu qu’il existait un vieux proverbe qui disait que les eaux troubles rendent la pêche plus facile. Au début, je n’avais pas vraiment compris ce qu’il voulait dire, mais il me raconta le fait qu’enfant, il avait grandi à Shanghai pendant la révolution culturelle et qu’il avait été envoyé à la campagne. Une fois là-bas, il avait eu faim et s’était rendu à un étang pour pêcher. Il avait tenté d’attraper les poissons à la main, mais ceux-ci lui échappaient. Se rappelant le proverbe, il avait soulevé la boue du fond de l’étang pour rendre l’eau trouble, alors les poissons étaient venus et il était parvenu à les attraper.

Ce que je retiens de cette histoire c’est qu’en Chine, il y a cette croyance que l’opacité créé l’opportunité. Cela explique beaucoup de choses en Chine. Beaucoup de gens pensent, en effet, que garder les choses cachées ou les rendre complexes fournit différents moyens pour gagner de l’argent. Cette croyance vaut pour beaucoup d’entreprises que nous suivons en dehors de Chine ! Que ce soit des entreprises qui fraudent en mentant simplement ou en biaisant la réalité au moyen de l’ingénierie financière. C’est une fraude juridique commune qui repose sur de l’ingénierie financière. Il y a des gens qui souhaitent faire de même dans le but de contrôler les actionnaires de l’entreprise pour leur propre profit. Le but est de mettre ce proverbe en pratique, et ainsi démontrer qu’on peut gagner de l’argent grâce au marché en créant des situations empreintes d’opacité.

Que pensez-vous de la règlementation Mifid 2, qui chamboule actuellement l’Europe ?

Je pense que l’intention est bonne parce que c’est la reconnaissance que la recherche de broker est simplement un service cher de rencontres entre gérants et investisseurs institutionnels, et n’apporte pour autant aucune valeur à la recherche. Cependant, cela pourrait avoir des conséquences inattendues. Je ne sais pas lesquelles, mais je pense qu’il y a un problème inhérent à la régulation qui est que beaucoup s’accordent sur les problèmes en mettant néanmoins trop de règles en place pour y remédier. Au final, cela pourrait bien engendrer des problèmes bien pires. Je suis cela de près.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune entrepreneur qui souhaiterait se lancer dans l’activisme ?

Être entrepreneur est une très bonne expérience pour devenir investisseur. La réalité, c’est que la majorité des gens qui prennent des décisions et qui allouent du capital n’a aucune expérience dans des entreprises qui ne sont pas liées à la finance. C’est insensé. Je dis souvent aux étudiants à qui je parle que s’ils veulent devenir investisseurs, lancer son activité dans le monde réel est une excellente formation.

Propos recueillis par Yacine Kadri

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