Spécialiste du secteur pharmaceutique, Alex Denner est un investisseur activiste atypique. Il occupe aujourd’hui une place importante parmi les acteurs du monde de la santé. Le président-fondateur de Sarissa Capital revient sans détour sur sa définition de l’activisme.

Décideurs. On comptait plus de soixante-dix campagnes activistes au premier trimestre 2018, contre soixante-sept pour l’ensemble de l’année 2017. Comment percevez-vous la montée de l'activisme ces dernières années ?

Alex Denner. Je pense que l'activisme est une force positive pour la société. À mon sens, beaucoup de sociétés souffrent d’un défaut de gestion. C'est néanmoins un phénomène que l’on rencontre de manière plus commune au sein des grandes entreprises américaines, en comparaison avec l’Europe. Nous sommes spécialisés sur le secteur de la santé, c'est un domaine où il y a un besoin particulier d'activisme parce que les entreprises tendent à avoir plus de marges et de barrières à l'entrée. À cause de cela, ils peuvent parfois ressentir un manque d’allocation du capital. En d'autres termes, ils ne sont pas aussi joyeux qu'ils le seraient autrement. C'est comme si vous et moi avions créé une entreprise de vente de chaises. Nous avons de bonnes chaises et un bon prix pour vendre nos meubles de bureau. Mais lorsque vous vendez un produit pharmaceutique protégé, la vente est importante, mais il n'y a pas de concurrence, au moins dans la période de lancement, lorsque vous bénéficiez d'une protection de la propriété intellectuelle. C'est évidemment pour une très bonne raison : personne ne développerait de médicaments en l’absence de ce dispositif. D'autre part, à cause de cela, les entreprises ne ressentent pas la même pression quotidienne que dans d’autres secteurs, où il convient de s’assurer d'avoir la position optimale. Ainsi, nous pensons qu'il y aura plus d'activisme au fil du temps, ce qui est une bonne chose. Ce n'est pas que tout l'activisme soit bon. Je ferais une distinction entre le nombre de fonds qui exercent et le besoin réel. En effet, il y a d'excellents fonds sur le marché qui portent de sérieux projets en vue d’améliorer la société au sens large.

Percevez-vous les fonds anglo-saxons comme plus offensifs que leurs homologues européens ?

Je pense que les fonds anglo-saxons ont historiquement eu une approche plus directe de ce sujet. Je ne pense pas que cela soit un problème. Quand quelqu'un perçoit une difficulté qui gangrène le cœur d’une entreprise, pourquoi devrait-il être poli ? Bien sûr, il n'est pas nécessaire d'être brutal, mais ceux qui ont des responsabilités devraient être capables d'accepter la critique. Quand une entreprise fait un mauvais travail en matière d'allocation de capital ou d'opérations, elle devrait être prête à en parler. Je pense que certains fonds américains sont enclins à le faire. Ce n'est pas toujours vrai, mais dans les grandes entreprises européennes, les conseils d’administration ont tendance à être généralement meilleurs. Sur la base de certaines preuves empiriques, les conseils européens ne peuvent pas se contenter de penser à eux-mêmes plutôt que de représenter les propriétaires, ces derniers siégeant souvent à ces conseils. Par exemple, dans de nombreuses entreprises pharmaceutiques, les représentants de l’actionnaire majoritaire ou des familles qui possèdent une participation significative sont toujours présentes. En effet, ils pensent à très long terme, en bon père de famille. Alors que dans les entreprises américaines, on observe une tendance marquée à avoir des conseils indépendants dont les décisions peuvent parfois s’écarter de l’intérêt des actionnaires.

Les managers activistes sont parfois décriés quant à leurs motivations profondes, mais leur objectif reste d'améliorer la valeur d'une entreprise dans l'intérêt des salariés et des actionnaires. Vous voyez-vous plus comme un entrepreneur ou un investisseur ?

Un peu des deux. Nous essayons d'être impliqués dans des entreprises du marché de la santé. Par exemple, nous nous sommes impliqués dans Area Pharmaceuticals. Lorsque nous avons acheté l’action, l'entreprise était mal dirigée et présentaient de nombreux problèmes. Ensuite, nous avons nommé un conseil d’administration de qualité. Au début, le prix de l'action était de 3, nous l'avons vendu à 24 ... L'entreprise a ainsi pu concentrer ses ressources sur un certain nombre de tests cliniques intéressants sur le cancer. Nous avons concentré la répartition du capital sur ces produits et les avons mis sur le marché plus rapidement, pour que les patients puissent en profiter au mieux. C'était également un bon investissement pour les employés : d'une part, l'entreprise devenait un lieu de travail plus agréable et, d'autre part, ils ont vu leurs revenus augmenter.

Quel conseil adresseriez-vous à un activiste débutant ?

Il y a beaucoup d'opportunités, mais il faut éviter de devenir trop agressif dans l’unique but de parvenir à ses fins. Je lui conseillerai de croire en ses investissements et de ne pas le faire seulement parce que c'est une « victoire facile ».

Propos recueillis par Yacine Kadri

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