Pour Anke Bridge Haux, les établissements financiers suisses peuvent exister aux côtés des grandes banques étrangères, des FinTech et des géants technologiques. La responsable de la numérisation au Credit Suisse parle de la collaboration accrue, des moments-clés et de sa nature analogique.

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Que représentent  les banques suisses dans un monde globalisé numérique ?

Anke Bridge Haux. La meilleure réponse vient de nos clients. La confiance reste l’aspect le plus cité. Une grande stabilité et une collaboration durable sont aussi très importantes. Ces besoins des clients, déjà centraux hier, le restent aujourd’hui et le seront encore plus demain. Dans un monde toujours plus complexe, il faut des partenaires sûrs et stratégiques dans le domaine financier – ces partenaires se trouvent en Suisse. 

Les établissements financiers suisses sont sensiblement plus petits que leurs concurrents américains ou anglais et ont donc des budgets de développement  plus serrés. Comment le Credit Suisse gère-t-il ce désavantage en matière d’innovation ?

Bien que je sois responsable du numérique, chercher à avoir le plus gros budget numérique possible me semble dépassé. La numérisation est un « enabler », comme on dit si bien aujourd’hui. Elle rend les choses possibles sans être un but en soi. On peut la comparer à l’invention de la machine à vapeur : seule une bonne application permet d’en exploiter correctement les avantages. Il faut donc d’abord savoir dans quoi investir son budget. De plus, le besoin d’investissement diminue avec le temps. Dès qu’une bonne plateforme est en place, il est ensuite possible d’y ajouter assez facilement des modules plus petits et plus légers. 

Les entreprises ont de plus en plus conscience que les initiatives conjointes stimulent la place économique suisse

Cela suffit-il contre une concurrence  puissante, qui peut désormais être  extérieure à la branche ?

Les entreprises suisses sont bien plus soudées qu’auparavant. La coopération est un élément important de l’économie locale. Ces dernières années, il a été établi que, malgré la concurrence qui règne parfois entre certaines entreprises, développer des solutions communes sur des thèmes ciblés comporte bien des avantages. Les entreprises ont de plus en plus conscience que les initiatives conjointes stimulent la place économique suisse.

Au siècle dernier, il a fallu près de cinquante ans aux banques suisses pour s’accorder sur une chambre de compensation commune et soudainement, la collaboration se passe bien. Comment cette « culture coopérative » est-elle née ?

Les partenariats ont commencé dans le trafic des paiements, au sein duquel la numérisation a rapidement entraîné  des bouleversements dépassant la  place financière locale. La plate-forme de paiement TWINT a ainsi vu le jour récemment, par exemple. On peut citer également l’identité électronique (eID), une innovation importante globalement sous-estimée qui sera exploitable dans différents secteurs et branches. L’idée d’un emplacement commun pour les processus        « Know your client » ou celle d’une  Bourse suisse numérique suscitent par ailleurs de nombreux débats. Ce sont autant d’occasions potentielles de créer des synergies, tout en respectant les directives de confidentialité des clients. 

Dans le monde financier, on a longtemps craint qu’un des nouveaux géants technologiques puisse percer et bouleverser complètement la branche. Pourquoi cela ne s’est-il pas produit,  du moins pour l’instant ?

Les grandes sociétés technologiques évoluent habituellement dans un environnement non régulé avec une tout autre culture. La réglementation comparativement stricte du secteur financier représente une barrière à l’entrée pour elles. Le savoir-faire nécessaire est important, tout comme les coûts associés. Plutôt que de fonder ou d’acheter une banque, elles veulent donc se rapprocher de nous.

Les partenariats ont gagné du terrain et je trouve cela positif

Et alors ?

Il s’agit toujours de savoir comment relier les maillons de différentes chaînes de valeur – en prenant le meilleur des banques et le meilleur de ces sociétés. Les partenariats ont gagné du terrain et je trouve cela positif, car ils sont rarement noués avec de grandes entreprises, mais plutôt avec de petites FinTech.

Il y a quelques années encore, le scepticisme envers les jeunes start-up financières régnait. On pensait qu’elles aussi pouvaient menacer les affaires  des établissements traditionnels. Craignez-vous cette concurrence ?

Non, les FinTech sont un plus. Ici aussi, la coopération est la meilleure option. Les deux parties peuvent ainsi déployer  au mieux leurs compétences clés : les FinTech développent des solutions pour un problème très spécifique, et le font remarquablement bien. Nous, les banques, nous chargeons de l’intégration dans les cadres réglementaires et dans nos canaux – c’est ainsi que s’opère le changement d’échelle. Au Credit Suisse, l’Online et  le Mobile Banking comptent un demi- million de clients. Il est presque impossible pour une FinTech de constituer seule un tel marché : quel utilisateur voudrait dix applications bancaires différentes, proposant chacune un seul service ?

Comment ces partenariats  fonctionnent-ils ?

Nous avons une équipe bien implantée qui s’occupe uniquement des FinTech. Il arrive aussi de plus en plus souvent que nos propres clients soient impliqués dans ces start-up et nous disent : « La société a développé une solution géniale, regardez ! » Si nous sommes convaincus et que la plate-forme de base est bien conçue, c’est assez rapide d’intégrer ces innovations. 

La coopération est la meilleure option

Comment les clients en profitent-ils ?

Prenons un exemple actuel : une FinTech a développé une plate-forme pour entreprises qui regroupe émetteurs et destinataires de factures pour les inciter à payer à temps. Si on obtient un escompte en retour, c’est une option intéressante dans le contexte de taux faibles. Nous avons récemment intégré cette plate-forme, elle est très utilisée.

Parlons analogique : pourquoi  l’entretien de conseil sera-t-il encore  important dans cent ans ?

Dans les relations clientèle, il y a ces moments clés, les « magic moments » comme nous les appelons en interne, qui marquent les gens, façonnent leurs expériences et les décisions futures qui  en résulteront. Ils ne seront jamais possibles par voie numérique.

Lors de l’achat d’une maison ?

Par exemple, pour la plupart des gens, l’achat d’un bien immobilier est la  plus grosse transaction de leur vie. Les entretiens de conseil ne se limitent  alors pas du tout aux aspects techniques des hypothèques, aux taux d’intérêt,  au niveau des tranches et au débat taux fixe/taux variable. Les questions sont plutôt : et s’il m’arrive quelque chose ? Et si les enfants partent et que la maison reste vide ? Et si je pars à la retraite, comment payer les intérêts hypothécaires ? Les décisions sur la prévoyance vieillesse font aussi partie de ces moments magiques.

Que feriez-vous si vous passiez votre  vie hors-ligne ?

(Rire) Je travaille toute la journée sur des thèmes numériques, mais je suis en fait  très analogique. Mon environnement est central, le contact humain est absolument impossible à numériser. Je suis aussi une jardinière passionnée, je cours et je fais du VTT – j’aime la nature. Et de fait, mon travail ne tourne qu’autour des gens. La technologie doit aider à améliorer l’interaction humaine : c’est là son seul but. 

Simon Brunner

 

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