Un peu plus d’un an après le début de son mandat à la tête de l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE), Florence Saliba détaille les premiers chantiers entrepris. Elle revient sur les implications d’un environnement de taux bas – voire négatifs – pour la profession en pointant les prochains défis que l’association s’apprête à relever à moyen terme.

Décideurs. Vous annonciez vouloir faire de l’association une manne de propositions à destination des pouvoirs publics. Comment cela se manifeste-t-il ? Quels sont les premiers résultats ?

Florence Saliba. La première manifestation de notre implication dans les débats auprès des pouvoirs publics et des professionnels du secteur tient à notre présence dans différents groupes de travail. Nous siégeons par exemple au comité national des paiements scripturaux piloté par la Banque de France et intervenons au sein du comité financier du Medef, en particulier dans le groupe de travail consacré à la finance durable et extra-financière. Au-delà des instances nationales, nous participons aux réflexions européennes notamment par le biais du groupe animé par la Banque centrale européenne sur l’euro risk-free rates. Dans tous les cas, il s’agit de discussions au long cours qui nous permettent d’affiner notre maillage, de renforcer nos réseaux et de proposer des recommandations concrètes. En complément de ces actions, l’AFTE propose des consultations ad hoc lorsque de nouveaux sujets émergent. Ce fut par exemple le cas lors de la présentation du nouveau prospectus de l’AMF à destination des émetteurs de dette ou de capital dont l’application est prévue au 21 juillet et qui prévoit une nouvelle description des facteurs de risques, difficile à décorréler des documents de références bien souvent produits au premier semestre et cette année encore sur l’ancienne méthode.

Comment l’annonce de la remontée des taux, annoncée pour cette année, peut-elle faire évoluer la façon de gérer sa trésorerie ? Est-ce la fin du « placement » de trésorerie sur simple compte courant ?

Gérer la dette et placer les fonds de trésorerie, voilà le cœur du métier de trésorier. Ce sont ses principales missions et il faut les remplir quel que soit le niveau des taux. De fait, les trésoriers ont récemment découvert les taux négatifs, notamment pour la gestion en euros, mais cela fait partie de la pratique. Ce n’est pas, en soi, un sujet effrayant pour ces professionnels, d’autant que la majorité d’entre eux sont emprunteurs nets. Un taux n’est rien de plus qu’un facteur dans une équation globale pour financer un business en un lieu et un temps donnés. Concernant les comptes courants, il faut bien garder à l’esprit qu’ils ne sont pas tous « floorés » à zéro. En revanche lorsqu’ils le sont, certains trésoriers peuvent faire le choix de « placer » leurs fonds sur ces comptes pour éviter un rendement négatif. Cependant, une relation bancaire est nécessairement réciproque : un banquier ne permettra pas de conserver ces fonds sur un compte à taux zéro s’il ne trouve pas une rentabilité par ailleurs. Il y a forcément un facteur de rééquilibrage. La vraie question qui se pose, et elle n’est pas nouvelle, est de savoir sur quels fonds placer sa trésorerie globalement. Pour y répondre, il faut prendre en compte à la fois l’horizon de gestion considéré et interroger sa volonté d’intégrer des fonds durables dans sa politique de placement.  

" Le risque le plus important reste incontestablement celui de liquidité "

Quels sont les principaux risques auxquels sont exposés les trésoriers ? De quels outils disposent-ils pour s’en prémunir ?

Le risque le plus important reste incontestablement celui de liquidité puisqu’il a une forte influence sur les capacités d’une entreprise à trouver des moyens de se financer. Viennent ensuite, par ordre décroissant d’importance, les risques de change, de taux, d’erreur et de fraude. Ce dernier risque, incluant la cybercriminalité ou la protection des accès aux systèmes, est d’ailleurs en pleine expansion. Chacun de ces risques peuvent et doivent être prévenus au mieux. Il existe, pour ce faire, à la fois des bonnes pratiques – comme la renégociation des lignes de crédit lorsque l’entreprise se porte bien – et des mesures spécifiques. La véritable nouveauté réside dans le développement de start-up à même de pouvoir aider dans la gestion et le traitement des risques. Pour ce qui est de celui de liquidité ou de ligne de crédit, nous avons accompagné une jeune pousse dans le cadre de nos POC en faisant tester sa solution par un groupe de trésoriers. Autre exemple, la plateforme de financement Loansquare, récemment rachetée par Linedata, met en relation les emprunteurs et les organismes prêteurs. Le seul domaine dans lequel les start-up ne se sont pas encore imposées est celui de la fraude ou de la cybercriminalité. Dans ce secteur, les banques demeurent spontanément les interlocutrices des professionnels. Et c’est tout naturel car, pour elles, gérer ce risque implique un partage d’informations sensibles, au premier rang desquelles les coordonnées bancaires. Or, les banques ont massivement investi, et ce depuis longtemps, sur leur niveau de sécurité. Les start-up ont forcément du mal à s’aligner.

Quelles sont les principales nouveautés en matière de prix de transfert induites par la publication des recommandations de l’OCDE à la fin de l’année dernière ?

Le projet de rapport de l’OCDE publié en juillet 2018 n’a pas révolutionné les pratiques. Son idée maîtresse consiste à rappeler de veiller à l’alignement des prix de transfert sur la création de valeur. Les trésoriers sont bien sûr concernés. La question de la facturation de frais financiers entre une holding et une de ses filiales ou même entre deux filiales d’un groupe est toujours centrale. C’est surtout la méthode d’évaluation de la prestation de services qui doit être interrogée même si nous nous dirigeons de plus en plus vers une généralisation de la méthode cost plus. Chaque trésorier doit mener une analyse critique et proactive de la politique de prix de transfert menée par son entreprise, il doit veiller à établir la méthode la plus adéquate pour être toujours en mesure de la justifier à l’avenir.

" Pour placer sa trésorerie, il faut prendre en compte l’horizon de gestion et sa volonté d’intégrer des fonds durables dans sa politique de placement "

Quels sont les travaux prioritaires de l’association pour la suite de votre mandat ?

Nos quinze commissions sont très actives. La trentaine de sujets qui y sont actuellement traités présentent des niveaux de granularité différents mais tous sont importants pour l’association. Parmi ces sujets, cinq vont toucher l’ensemble de la profession. C’est bien entendu le cas de la préparation du Brexit, avec l’épineuse question – non tranchée – du maintien à Londres des chambres de compensation sur les dérivés. L’entrée en vigueur de la réglementation Emir Refit, la révolution du remplacement de l’EONIA par l’€ster, et la transition des taux « Ibors », la généralisation de la finance durable et l’évolution des moyens de paiement vont également beaucoup nous occuper. Les enjeux sont nombreux : la profession se trouve à un moment charnière. Face à l’émergence des fintechs, à la multiplication de la réglementation et aux évolutions économiques, elle doit revoir ses fondamentaux Le rôle de trésorier est plus que jamais transformé par des innovations, géopolitiques, réglementaires, techniques/technologiques et même environnementales ou sociétales, c’est pourquoi cette fonction a plus que jamais besoin d’être ouverte sur l’extérieur.

Propos recueillis par Sybille Vié

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