Spécialisé dans le développement de nouveaux produits d’assurance dédiés aux catastrophes naturelles, Descartes Underwriting, lauréat du Challenge Fintech for Tomorrow 2018, a fait une arrivée remarquée grâce à une première levée de fonds de deux millions d’euros. Tanguy Touffut, son fondateur, nous explique son positionnement, l’usage de la technologie et les principaux défis auxquels il est confronté.

Décideurs. Vous êtes nouveau sur le marché des assurtechs, pouvez-vous nous expliquer l’offre que propose Descartes Underwriting ?

Tanguy Touffut. Descartes Underwriting est un acteur « assurtech » qui développe des produits d’assurance innovants à partir de nouvelles sources de données et d’algorithmes développés en interne. Nous intervenons plus spécifiquement sur les risques liés aux catastrophes naturelles et au dérèglement climatique. À court terme, nous souhaitons nous concentrer sur le marché des grands risques regroupant les grandes entreprises et les gouvernements. Notre modèle est simple : nous ne travaillons qu’avec des courtiers et agissons en qualité de mandataires d’assurance. En d’autres termes, ce sont nos porteurs de risque qui nous rémunèrent en fonction des primes qu’ils souscrivent. Il s’agit de grands assureurs internationaux, de réassureurs ainsi que de fonds dits ILS (Insurance-Linked Securities).

Quelle idée se cache  derrière Descartes Underwriting ?

Nous avons une conviction forte : les solutions apportées par le secteur de l’assurance peuvent et doivent être améliorées. Le délai d’attente des clients pour être payés en cas de sinistre est souvent trop long, les polices sont parfois complexes et gagneraient à être plus transparentes. Grâce à de nouvelles techniques, notamment autour de l’intelligence artificielle, nous voulons rendre l’assurance plus accessible et lui faire jouer pleinement son rôle de protection des entreprises et des populations.

Vous êtes l’ancien directeur général d’AXA Global Parametrics. Qu’est-ce qui vous a poussé à changer de métier et à vous lancer dans l’aventure des assurtechs ?

Lancer une activité nouvelle dans une industrie établie et réglementée nécessite une énergie colossale et de nombreux sacrifices financiers et personnels, il s’agit donc d’un choix de vie. Si l’on regarde le verre à moitié plein, les start-up bénéficient de processus de décision courts et d’une capacité à attirer des profils ultra-performants mais atypiques et difficiles à recruter ou à intégrer quand on fait partie d’un grand groupe. Il n’y a en effet pas beaucoup de points communs entre le fonctionnement d’une « jeune pousse » et celui d’une grande multinationale. Ensuite, il ne faut pas opposer les deux mondes : les start-up ont besoin des grands groupes tout autant que les grands groupes ont besoin des start-up. En comprenant les positions et obligations respectives, il est possible de profiter du meilleur des deux mondes. Enfin, l’écosystème des start-up et des fonds d’investissement est très efficace. Nous bénéficions par exemple d’un accompagnement au Swave, un incubateur de start-up fintech de Paris&Co. Le fait d’être entouré d’une quarantaine de start-up dans les services financiers nous permet de prendre du recul, de trouver des solutions à moindre coût et d’être au courant des dernières innovations technologiques. Cela nous aide à lancer de nouveaux produits très rapidement.

Vous vous positionnez sur le risque climatique. Existe-il un changement dans l’appréciation du risque climatique ?

La compréhension des risques liés au dérèglement climatique est un immense chantier pour de nombreux chercheurs dans le monde entier. Le risque climatique, ou à court terme météorologique, est aujourd’hui difficile à modéliser, car les événements actuels ne sont plus forcément le reflet du passé. À notre humble niveau et en conservant le prisme de l’assurance, notre conviction est que nous devons passer progressivement d’une approche stochastique et statistique des événements à une approche physique des catastrophes naturelles beaucoup plus ambitieuse et complexe. En simplifiant à l’extrême, dans une conception purement statistique, vous regardez dans le passé afin de modéliser la probabilité de survenance future de certains événements. Cette démarche de modélisation des risques est indispensable mais ne suffit plus. Certains événements récents n’ont pas d’équivalents historiques, même à l’échelle du siècle dernier.

"L'objectif est de construire de nouvelles couvertures d’assurance en ligne là où les solutions existantes ne sont pas à la hauteur."

Vous développez une offre s’adressant à l’aquaculture pouvez-vous nous en dire davantage ?

L’humanité fait face à de nombreux défis, notamment celui de nourrir une population croissante avec une alimentation de plus en plus riche tout en limitant son empreinte écologique. Dans ce contexte, nous pensons que l’assurance a un rôle à jouer. La sécurité alimentaire est l’un des sujets sur lesquels nous souhaitons apporter notre expertise. Il y a aujourd’hui beaucoup de questions sur les conséquences du changement climatique sur le rendement de certaines cultures et le risque de famine afférent. En ce qui concernant l’aquaculture, elle est devenue aujourd’hui une source de protéine de premier ordre pour l’alimentation humaine, notamment en Asie où se concentre plus de la moitié de la production mondiale. Les fermes aquacoles sont très sensibles aux conditions météorologiques, comme les typhons, les fortes précipitations ou les vagues de chaleur. Il est indispensable de trouver de nouvelles solutions de couverture. Nous travaillons par exemple sur des produits qui s’appuient sur de l’imagerie satellitaire pour comprendre l’émergence de certaines algues, le déplacement de bancs de sable, la hauteur des vagues en cas de typhons ou encore sur des stations météorologiques pour estimer le taux d’oxygène contenu dans les bassins.  

Quels sont vos prochains défis et objectifs ?

Ce ne sont ni les défis ni les objectifs qui manquent ! Notre premier défi, c’est de construire de nouvelles couvertures d’assurance en ligne avec les besoins émergents de nos partenaires : sur les aléas climatiques bien sûr mais plus globalement là où les solutions existantes ne sont pas à la hauteur des attentes. Ensuite, nous devons continuer à améliorer les produits d’assurance, notamment en utilisant une approche dite paramétrique. Dans un monde digitalisé où l’immédiateté devient une évidence pour les consommateurs, les assureurs ne peuvent plus tergiverser ou imposer des processus longs ou complexes. Quand vous avez un sinistre, c’est le « moment de vérité » et la réponse doit être extrêmement rapide et pertinente. En utilisant des paramètres extérieurs qui sont corrélés aux sinistres, il est possible de construire des couvertures qui se déclenchent automatiquement au moment même où le client subit une perte ou un dommage. Le principe est simple mais cela demande beaucoup de travail pour y arriver. Un autre de nos défis est d’apporter de nouvelles idées en matière de couvertures d’assurance pour les énergies renouvelables. Quand on manipule quotidiennement des données sur le climat, vouloir contribuer à la baisse des émissions de CO2 est une évidence. Nous sommes en train de développer une nouvelle gamme de produits pour les acteurs éoliens, solaires et pour les barrages hydroélectriques.

Modéliser des risques climatiques demande l’intervention de beaucoup de technologie. Développez-vous votre propre technologie ?

Nous développons et nous continuerons à développer notre propre technologie. C’est notre raison d’être. Nous avons la chance en France d’avoir un vivier de mathématiciens, d’ingénieurs et d’actuaires de très haut niveau et des enseignements de pointe dans la science des données. Paris a également beaucoup d’atouts pour attirer des ingénieurs et des docteurs du monde entier. Nous avons déjà recruté des talents étrangers et nous prévoyons d’ouvrir rapidement des bureaux sur d’autres continents. La modélisation et les données, c’est notre cœur de métier et l’essence même de Descartes Underwriting, nous ne la sous-traiterons pas. En revanche, nous nous appuyons pleinement sur des partenaires pour la distribution et le portage du risque.

Quelle technologie avez-vous développée ?                         

Nous cherchons à concentrer nos efforts de recherche là où nous pensons que les nouvelles technologies n’ont pas encore été suffisamment exploitées. Pour vous donner un exemple, nous travaillons sur une meilleure compréhension des orages de grêle. C’est une problématique qui existe depuis très longtemps dans l’univers de l’assurance et qui représente une part importante des sinistres payés par les assureurs, mais dont la compréhension est encore imparfaite. Nous investissons aujourd’hui dans de nouveaux modèles qui combinent à la fois des informations obtenues grâce à des satellites et à des radars, nécessaires pour identifier et analyser les nuages à l’origine de la grêle, et des observations au sol s’appuyant sur des capteurs capables d’estimer la taille et la force cinétique des grêlons. Ainsi, nous reconstruisons sur plusieurs dizaines d’années un historique des orages de grêle avec leurs caractéristiques. Cela nous permet ensuite de proposer des couvertures de grêle innovantes fondées sur ces données. Cela répond à un réel besoin aussi bien dans l’assurance automobile que dans l’arboriculture ou l’assurance des habitations.

 Alexandre Lauret

 

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