La Banque centrale européenne se réunit jeudi. Plusieurs scénarios s’offrent à elle : du maintien du statu quo à l’utilisation de l’artillerie lourde pour contrer les effets du Covid-19 sur l’économie. Les marchés attendent une réaction de sa part sans pour autant être certains des leviers dont elle usera.

Jeudi, tous les regards seront tournés vers Christine Lagarde. La directrice générale de la Banque centrale européenne tiendra une réunion de politique monétaire sous haute tension, alors que les marchés dévissent depuis quelques jours face au Coronavirus. La FED, son homologue américaine, a réagi dès le 3 mars en baissant ses taux de 50 points de base. Bien que cela n’ait pas réussi à apaiser les craintes, il paraît difficile pour l’institution européenne de ne pas passer à l’action. Problème : la BCE dispose de marges de manœuvre réduites puisqu’elle mène depuis quelques années une politique monétaire de crise, mobilisant déjà largement les outils à sa disposition.

Trois scénarios

Plusieurs scénarios s’offrent à elle. Wolfgang Bauer, gérant obligataire chez M&G Investments, en dénombre trois : le maintien du statu quo, la réponse mesurée et le gros bazooka. Dans la première hypothèse, le principal taux de dépôt reste à -0,5 % et les volumes d’achats nets du programme d’achats d’actifs (APP) continuent de fonctionner à un taux mensuel de 20 milliards d’euros. La BCE dans ce cas éviterait de se précipiter, de se montrer alarmiste et laisserait les gouvernements jouer leur rôle durant cette crise.

Une attitude attentiste paraît toutefois peu probable aux yeux des experts. « Éviter la baisse de taux tant attendue pourrait alimenter une nouvelle crise sur les marchés », estime Wolfgang Bauer. En outre, l’institution européenne irait à contre-courant des banques centrales australienne, canadienne et américaine qui ont déjà réduit leurs taux en réponse au Covid-19. Ce qui exercerait une pression supplémentaire sur l’euro. « La monnaie s'est déjà appréciée de près de 6 % par rapport au dollar américain depuis la mi-février. La poursuite du renforcement de l'euro constituerait un nouveau frein pour les entreprises européennes axées sur l'exportation - et, par extension, pour l'économie de la zone euro dans son ensemble - qui souffrent déjà de l'affaiblissement de la demande et de la rupture de la chaîne d'approvisionnement provoqués » par le virus, précise le gérant obligataire.

Option numéro 2 : la réponse mesurée. Les taux d’intérêt pourraient être réduits mais de manière limitée (-10 points de base). Pour mémoire, cette action permet aux entreprises d’investir davantage et aux ménages d’emprunter à moindre coût. Les achats nets d’actifs seraient, eux, portés à environ 60 voire 80 milliards d’euros par mois, contre 20 milliards actuellement. « C'est peut-être le scénario le plus probable, mais sans doute le moins souhaitable, qui réunirait le pire des deux mondes », commente Wolfgang Bauer. La BCE épuiserait alors une partie de ses munitions -ce qui limiterait toute action d’urgence supplémentaire- mais ne dégainerait pas suffisamment pour redonner confiance aux marchés.

Reste l’utilisation de l’artillerie lourde (taux réduits d’au moins 25 points de base, volumes d’achats d’APP supérieurs à 80 milliards d’euros par mois). « Cette stratégie est très risquée », selon le gérant de M&G. Si ces mesures évitent une nouvelle crise tant sur les marchés que dans l’économie réelle, Christine Lagarde « deviendrait immédiatement une icône parmi les banquiers centraux ». Si elle échouait et que les marchés continuaient de s’effondrer, la BCE n’aurait quasiment plus de marges de manœuvre. « Il n'y a pas de voie évidente à suivre pour la BCE - ni pour aucune autre banque centrale d'ailleurs - il est risqué de miser sur un résultat particulier de la politique monétaire », conclut Wolfgang Bauer.

Prédictions impossibles

M&G résume bien tous les niveaux d’intervention possibles. Les analystes misent globalement sur une action de la BCE mais sans être certains des leviers dont elle usera. « Les marchés sont en attente d’une baisse du taux de dépôt, écrit pour sa part Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires d’Allianz Global Investors. Nous privilégions plutôt un augmentation du QE (quantitative easing dont le nom officiel est APP, NDLR), dans un contexte où, au vu de l’évolution des discussions en zone euro sur de possibles mesures de soutien budgétaire, un taux encore plus négatif paraît moins urgent. »

L’expert table également sur un assouplissement des paramètres d’injections de liquidités à long terme (Tltro 3, targeted longer-term refinancing operations). Ces opérations ciblées de refinancement de long terme des banques, mises en place par la BCE en septembre dernier, afin de faciliter la transmission de crédit au secteur privé. « L’objectif est d’éviter que les problèmes de trésorerie ne deviennent des problèmes de solvabilité, qui se traduiraient par des faillites en cascade et une explosion du chômage. »

S’il est si difficile de prédire ce qui ressortira de la réunion de jeudi, c’est parce que Christine Lagarde n’a pas encore géré de crise depuis sa nomination à la tête de la BCE en novembre dernier. La Française, ex-patronne du FMI, ne manque toutefois pas d’expérience, elle qui s’impliqua durant la crise grecque. Reste à savoir si elle marchera dans les pas de son prédécesseur, Mario Draghi, prêt à faire « tout ce qui était nécessaire » - on se souvient de son fameux « whatever it takes » - pour sauver la zone euro.

Olivia Vignaud

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2024