La crise sanitaire modifie en profondeur les habitudes des consommateurs. Si l’exemple de la Chine permet de tirer quelques conclusions sur le déconfinement, tout n’est pas reproductible. Les distributeurs français doivent désormais s’adapter et créer un nouveau modèle. Retour sur les enjeux de la distribution avec Eric de Bettignies et Laurence-Anne Parent, co-fondateurs du conseil en stratégie Advancy, et Benjamin Maupetit, managing partner d'Advancy China.

Décideurs. Vu de Chine, déconfinement est-il synonyme de retour à la normale ?

Benjamin Maupetit. L’écroulement de l’économie chinoise en février a été particulièrement violent. Cependant, elle redémarre. Lentement certes, mais elle redémarre. Après une baisse de 21 % de l’activité retail en janvier-février, cette décrue n’est plus que de 16 % en mars confirmant une reprise en douceur. Comprendre la Chine, c’est aussi savoir s’éloigner d’une vision monolithique. Il existe plusieurs Chine et celles-ci avancent à des rythmes distincts. Par comparaison, si le redémarrage de Shanghai est rapide, celui de Pékin est compliqué par le maintien ou la mise en place de contraintes dans les déplacements ou les ouvertures des magasins.

Décideurs. Quelles leçons le secteur du retail peut-il tirer de l’exemple chinois ?

Eric de Bettignies. Les difficultés d’accès, voire la fermeture des magasins, laisseront indubitablement des traces dans nos habitudes de consommation. Il ne faut pas s’attendre à une ruée dans les rayons de nos grandes et moyennes surfaces. Au contraire. Si le marché chinois montre qu’il est revenu à des niveaux de ventes compris entre 50 et 70 % de ceux antérieurs à la crise sanitaire, le déconfinement pointe le maintien d’une forme de distanciation sociale et la forte accélération du « on-line ». C’est le cas même pour les courses alimentaires.

Laurence-Anne Parent. Nos retailers doivent se préparer à ce que les consommateurs passent moins de temps dans les magasins et qu’ils y aillent avec une liste d’achats prédéfinie, laissant moins de place à l’achat opportuniste. Répondre à leurs attentes, c’est aussi, dans ce cas, savoir réagencer les boutiques.

E. de B. Il faudra rapidement faire le deuil de certaines pratiques tout en sachant saisir les opportunités générées. Le category management a de belles heures devant lui car il est indispensable de redonner envie de retourner dans les magasins. Se pose dès lors la question de savoir quel sera, demain, le format de ces magasins. La crise sonne le glas du sacro-saint modèle des hypermarchés et, en toile de fond, la reconversion de ces immenses surfaces. Il en restera quelques-uns mais le modèle retenu sera sans doute une combinaison de flagships et de petites surfaces associant le drive et la satisfaction des besoins immédiats.

Décideurs. Quels seront donc à votre avis les premiers réflexes à avoir ?

B. M. Les Chinois ont réamorcé la consommation avec de très forts rabais sur les prix, allant régulièrement jusqu’à 50 %. La priorité a ainsi été d’écouler les stocks tout en faisant revenir les consommateurs dans les boutiques. Le gouvernement chinois a aussi mis en place un système de « coupons ». Pas de liquide donc mais un bon d’échange à utiliser rapidement. Rappelons qu’il n’y a pas eu de chômage partiel en Chine ; cette mesure était donc indispensable pour relancer la demande.

L.-A. P. Tout le monde est dans le concret actuellement. Pour certains, il s’agit de savoir quand il sera possible de rouvrir et dans quelles conditions. C’est-à-dire de distinguer entre ce qu’il sera intéressant de rouvrir et ce qu’il faudra laisser fermer pour ne pas consommer toute sa trésorerie, de revoir ses achats de manière forte, d’en comprendre les conséquences sur sa supply chain et ses fournisseurs. Des décisions tranchées, difficiles, mais indispensables.

"Il faut faire le deuil de certaines pratiques pour saisir les opportunités générées"

E. de B. Ensuite, vient le temps de la réflexion car nombreux sont ceux qui ont constaté qu’il était finalement possible d’être plus efficace avec moins de monde, que la flexibilité optimisait aussi la rentabilité. Les progrès en matière de logistique ont été très importants et il faut les intégrer et les pérenniser tout en dé-risquant ses chaînes d’approvisionnement. Les modes de ventes vont aussi changer avec l’accélération du digital et de l’accès à l’information. Le vendeur sera là pour vous aider à choisir et non plus pour vous permettre de comprendre l’intérêt du produit. La crise ne créé pas de tendances mais accélère celles émergentes.

Qui seront les gagnants du déconfinement ?

B. M. Sans grande surprise, le marché chinois semble plébisciter ceux qui auront été les plus proches de leurs clients. Le nombre de « comptes clients on-line » a explosé et l’un des grands enjeux sera de les conserver. Les médias sociaux et le live streaming se sont imposés comme des canaux sérieux et les retailers doivent en tenir compte. Les marques locales ont aussi le vent en poupe car elles ont soutenu les consommateurs et la Chine pendant la crise sanitaire.

E. de B. Le digital est le grand gagnant. Plus que cela, il est en passe de devenir rentable. Le drive aussi comme nous l’indiquions auparavant. Ensuite, d’un groupe à l’autre, aucun de nos distributeurs n’est avancé sur ces différents projets de manière identique. Casino est sans doute en avance sur le « sans contact » quand Leclerc a une idée forte de ce que sera le « drive ». Intermarché a une longueur d’avance sur la valorisation du « produit local ». Quant à Carrefour, Auchan, Marché U, ils ne sont pas pour autant très loin derrière et tout le monde avance très vite sur le sujet. Gare à celui qui ne voudra ou ne pourra pas s’adapter.

Propos recueillis par Alexis Valero

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