Arrivé il y a deux ans aux commandes de Système U, Dominique Schelcher a su mettre à profit la crise sanitaire pour donner une longueur d’avance au groupement et s’imposer, à la suite de Serge Papin, à la tête de ses 1 600 magasins. Portrait d’un coureur de fond, aussi discret qu’efficace, devenu, en quelques mois, l’homme fort du quatrième distributeur français.

ll est de ceux que la crise aura révélés. De ceux à qui elle aura donné une stature, un ton, une réputation… Non pas que, jusqu’à l’irruption du virus, Dominique Schelcher ait souffert d’un quelconque déficit de légitimité, mais succéder, après douze ans de règne, au très charismatique et ultra-médiatique Serge Papin à la tête de Système U, n’en représentait pas moins un défi. Même pour celui qui, fort d’une expérience de vingt ans au sein du groupement, cochait toutes les cases du profil idéal pour en prendre les rênes ; hormis, peut-être, celle de l’ancrage à l’Ouest jusqu’alors caractéristique des dirigeants de cette enseigne aux origines vendéennes. Dominique Schelcher, lui, est un homme de l’Est. Alsacien et fier de l’être. Et depuis le 18 mai 2018, il est aussi le PDG du groupe pour qui, visiblement, son parcours et sa personnalité justifiaient bien une entrave aux traditions maison.

Montée en puissance

Ancien du journal L’Alsace où il commence sa carrière côté marketing, il semble d’abord plus porté sur le commerce des mots que sur celui des biens de consommation, l’aperçu que lui en a offert la supérette familiale où, enfant, raconte son père, il "vide les bouteilles consignées et soulève les cagettes" ne l’ayant apparemment pas convaincu d’embrasser la profession. Il y revient pourtant lorsque, à la fin des années 1990, il décide de rejoindre son père alors à la tête du magasin de Fessenheim. Un Super U. Cette fois, il n’y aura plus de changement de cap. Dominique Schelcher a trouvé sa voie, reste à y apposer son empreinte, ce à quoi il va s’employer dans ce style qui, dit-on, le caractérise : avec discrétion et efficacité.

Déterminé à apprendre le métier sur le terrain et à en maîtriser tous les aspects, il se fait les dents quelques années dans le magasin familial dont, dès 2004, il prend la direction. Peu après, le voilà administrateur de la centrale régionale Système U Est, puis responsable de son développement. Désormais, la machine est lancée. L’ascension, toute tracée. Patron de Système U Est, administrateur national du groupement puis PDG d’Iris, sa branche informatique… La montée en puissance, orchestrée avec rigueur mais sans fanfare, est implacable. Lorsqu’en avril 2017, alors qu’il siège depuis trois ans déjà au comité stratégique, est annoncée sa nomination au poste de vice-président du groupe, celle-ci vient confirmer l’efficacité d’une stratégie qui, un an plus tard, lui vaut de prendre les commandes de l’enseigne.

Longueur d’avance

Pour s’y imposer l’homme à la réputation de discrétion et d’humilité qui, il y a deux ans, déclarait dans une interview "Personnellement, je me considère comme un éclaireur ou un passeur. Je ne possède rien (…)", n’est pourtant pas sans atouts. Certes, il y a le parcours sans faille, la parfaite connaissance du terrain et du métier ajoutés, dit-on, à une force de travail peu commune et à un réel sens du consensus, mais il y a aussi un don – assumé… – pour la gestion de crise. Un plus qui, dès la mi-février, va s’avérer une carte maîtresse dans le jeu de Dominique Schelcher.

Semaine après semaine, il va déployer un dispositif de crise pensé à la fois pour maintenir l’entreprise à flot et pour préserver la confiance

Avant même que la France n’enregistre son premier cas de Covid, celui-ci sent se profiler la zone de turbulences qui, quelques semaines plus tard, va déferler sur le pays et mettre à genoux son économie. Sans attendre, il organise la riposte, permettant à son groupe de prendre une longueur d’avance sur la lutte contre le virus en passant une commande massive de masques à la Chine pour en équiper ses 70 000 collaborateurs avant que celle-ci ne se déclare en rupture de stock, mais aussi instaurant, au sein des magasins comme auprès de leur clientèle, les mesures sanitaires qui, bientôt, deviendront obligatoires. Une fois paré au plus pressé, Dominique Schelcher peut se consacrer au plus long terme. Semaine après semaine, alors que le pays s’enfonce dans le confinement, il va déployer un dispositif de crise pensé à la fois pour maintenir l’entreprise à flot et pour préserver cette confiance à laquelle, reconnaît-il, il accorde tant de prix. Celle des salariés du groupe mais aussi de l’ensemble de son écosystème.

La carte du collectif

Pour cela, son PDG met en place une lettre d’information quotidienne adressée à l’ensemble des directeurs de sites non seulement dans le but de "maintenir le lien avec le réseau" mais aussi afin que "chaque patron indépendant ait en main toutes les données pour gérer son entreprise", accorde une prime de 1 000 euros aux salariés de la logistique et crée des cellules opérationnelles destinées à centraliser les interrogations et à définir les orientations. À ces mesures internes s’en ajoutent d’autres, à destination cette fois des fournisseurs et des clients auprès de qui Dominique Schelcher va jouer la carte de la solidarité. Dès le 19 mars, le paiement comptant à toutes les PME et TPE contribuant à fournir les magasins de l’enseigne est instauré. Pour le groupement, l’effort de trésorerie est non négligeable,"150 millions d’euros tout de même", mais, en termes d’image, le retour sur investissement l’est également. Tout comme le fait de s’emparer de la thématique du pouvoir d’achat en bloquant les prix de 5 000 produits de marque U jusqu’à la fin de l’été et en décidant de vendre "à prix coûtant" six catégories de fruits et légumes par semaine mais aussi, dès le 4 mai, une "quinzaine de millions" de masques chirurgicaux. Autre initiative à consonance "d’intérêt collectif" : la décision d’augmenter la présence des produits locaux dans les rayons de l’enseigne pour compenser le manque à gagner des petits producteurs désormais privés de la clientèle des marchés et des restaurants.

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50% des magasins du groupe sont implantés dans des communes de moins de 5 000 habitants.

Ancrage local

Une mesure d’autant plus stratégique que, bien au-delà d’une réponse à la crise, elle s’inscrit dans une tendance de fond faisant du local un secteur particulièrement porteur. Tendance qui, bien entendu, n’a pas échappé au patron de Système  U. "On a tous redécouvert la chance d’avoir un approvisionnement français d’extrême qualité, déclarait-il récemment. Il faut le pérenniser et le renforcer." Un domaine d’avenir donc, sur lequel, une fois encore, l’enseigne a su cultiver une longueur d’avance, elle qu’un ancrage "dans les territoires" – avec 50 % de ses magasins implantés dans des communes de moins de 5000 habitants – a toujours amenée à accorder une place particulière aux producteurs locaux, laquelle expliquerait en grande partie la progression constante de sa part de marché qui, de 9% en 2001, frôlait les 11 % à la fin de l’année dernière. "On a toujours été une coopérative de campagnards, proche des terroirs et des PME, confiait il y a peu Thierry Desouches, porte-parole de Système U, à Capital. Ça a longtemps été has been, maintenant c’est à la mode." Tout comme, peut-être, le style anti-show off de son patron, à la fois collectionneur de dictionnaires, adepte de course à pied et, désormais, nouvel homme fort du quatrième distributeur français.

Caroline Castets

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