Spécialiste de la sécurité des aliments, Kersia enchaîne les acquisitions depuis 2016 et son premier LBO avec Ardian, qui a depuis laissé sa place à IK Investment Partners. Sébastien Bossard, son CEO, revient sur cette opération et la politique de croissance externe du groupe.

Décideurs. Après le rachat de Holchem en mai, vous annoncez l’acquisition de Sopura en novembre, la septième depuis 2016. Pourquoi une politique de croissance externe aussi active ?

Sébastien Bossard. Bien avant l’entrée d’Ardian au capital, la croissance externe nous intéressait. Hypred était encore une filiale du groupe Roullier et nous n’avons pas pu racheter de société. Le premier LBO, pour lequel il a fallu réaliser un carve-out fin 2016, poursuivait ainsi deux objectifs : croissance organique et croissance externe. Les acquisitions ont rapidement démarré avec Anti-Germ, présent en Europe et en Chine. La même année, nous avons doublé de taille, repris LCB Food Safety dans la désinfection par voie sèche et G3 au Brésil. En 2018, le groupe nouvellement constitué se dote d’une nouvelle identité commune, Kersia, et nous étendons notre présence outre-Manche en prévision du Brexit avec l’intégration de Kilco. L’année suivante, l’acquisition des laboratoires Choisy, basés au Canada, nous permet de renforcer notre présence en Amérique du Nord et de bénéficier de nouvelles technologies.

Nous allons chercher par acquisitions ce que nous n’avons pas ou ce que nous souhaitons accélérer, qu’il s’agisse de technologies, d’un segment d’application ou d’une zone géographique. Ainsi, la reprise de Holchem en mai nous apporte la brique food & beverage au Royaume-Uni. Cette opportunité place Kersia en leader du secteur de l’hygiène au Royaume-Uni et au deuxième rang en Europe.

Qu’est-ce qui vous pousse à maintenir un rythme aussi soutenu ?

Dans notre métier, la réglementation augmente constamment et s’est harmonisée à l’échelle de la planète. L’investissement nécessaire pour vendre nos solutions au niveau mondial est tellement important qu’une taille critique est indispensable. Atteindre 300 millions d’euros de chiffre d’affaires était d’ailleurs l’un des objectifs du LBO aux côtés d’Ardian. Nous l’avons dépassé en 2020. Aujourd’hui, la réglementation concerne tout autant le produit fini en termes d’étiquetage et de conditionnement que les outils industriels de production. Le métier est donc exigeant en termes d’investissement d’un point de vue global contrairement à d’autres métiers qui le sont particulièrement sur le plan industriel.

Par ailleurs, dans l’agroalimentaire, nos clients ont, eux-aussi, grandi. Cette consolidation nous amène à couvrir de nombreux territoires. À l’échelle mondiale de la sécurité des aliments, Kersia reste une ETI. Le deuxième LBO permettra de poursuivre cette stratégie de croissance à deux jambes, organique et externe, avec l’objectif d’atteindre 600 à 700 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici quatre ans. Avant l’entrée en LBO, Hypred croissait de 5 à 6 % par an en stand alone. Ces quatre dernières années, nous avons réussi à conserver notre niveau de croissance organique malgré le rythme soutenu des rachats. Grâce à un processus de PMI [post merger integration, NdlR] structuré, nous avons réussi à éviter que les acquisitions perturbent la dynamique des ventes.

"Le deuxième LBO permettra de poursuivre cette stratégie de croissance à deux jambes, organique et externe"

Comment les sociétés acquises sont-elles intégrées ?

Nous avons construit nous-même le processus de PMI lors du rachat d’Anti-Germ. Une opération risquée puisqu’elle consistait à fusionner deux sociétés concurrentes depuis 25 ans et culturellement différentes. Dans le cadre du programme de conduite du changement, nécessaire, nous nous sommes adossés à deux cabinets pour évaluer les cultures d’entreprise de la cible mais aussi celle d’Hypred, juste avant le closing, afin d’en mesurer les risques. Nous avons mis en place des formations et un encadrement, essentiels pour expliquer comment gérer le changement, mais les affaires priment avant tout. Ainsi, lorsque des indicateurs révèlent que l’activité pâtit d’une décision, nous revenons dessus avant de reprendre le programme. Ceci nous permet une intégration qualitative des équipes tout en portant une attention particulière à nos clients et au business. Cette stratégie porte ses fruits puisque le taux de rotation des clients est plus que faible, à moins de 4 %.

Comment atteindre ce niveau de priorité aux affaires dans l‘ensemble du groupe ?

La réussite vient de la RSE [responsabilité sociétale des entreprises, NdlR]. À l’occasion du premier LBO, nous avons décidé de proposer l’accès au capital du groupe à un large éventail, au-delà du cercle dirigeant. Si bien qu’aujourd’hui, 10 % des effectifs sont actionnaires et l’objectif consiste à élargir encore plus. Ce seuil constitue un levier et responsabilise les équipes, davantage tournées vers le client dans leurs décisions, et l’ancienneté moyenne des salariés est de neuf ans. Les entreprises familiales acquises apprécient l’ADN entrepreneurial de Kersia, qui propose aux managers d’investir et de participer à la création de valeur. C’est une vraie marque de fabrique du groupe.

"Nous avons réussi à conserver notre niveau de croissance organique malgré le rythme soutenu des rachats"

La consolidation du secteur est-elle au même stade partout ? Qui sont vos concurrents ?

L’Europe et l’Amérique du Nord constituent les deux zones les plus consolidées, mais il reste encore des pays avec beaucoup d’entreprises familiales. Ce que nous avons fait ces quatre dernières années contribue à la consolidation européenne du secteur. Plus loin, les marchés sud-américains et asiatiques s’avèrent encore très fragmentés, contrairement à l’Océanie. Dans cet environnement, Kersia se positionne dans une catégorie globale avec une part de marché de 5 %. De ce fait, nos principaux concurrents sont les américains Ecolab et Diversey. Alors que ce sont des généralistes de l’hygiène industrielle et professionnelle, Kersia a fait le choix d’une expertise sectorielle en sécurité des aliments, qui représente 95 % de notre chiffre d’affaires, plutôt que de se diversifier. Les autres concurrents sont continentaux, mais rayonnent difficilement au-delà de leurs géographies, ou des PME locales.

Dans quelle mesure la pandémie a-t-elle affecté vos opérations ?

Lors de la première vague au printemps, la demande a explosé, au point d’atteindre 75 % d’augmentation dans certains pays. La supply chain était sous tension et le M&A pas une priorité. Le processus de changement d’actionnaire, qui s’est allongé de six à douze mois, nous a amenés à produire des analyses plus fines. Dans le cas de Holchem, le processus a commencé fin 2019. Une présentation au management en Angleterre a pu se tenir juste avant le premier confinement, puis tout le processus s’est déroulé en digital, y compris le closing. L’intégration post-acquisition, que nous réalisions toujours en interne, a été adaptée puisque nous ne pouvions pas nous rendre chez Holchem. Pour cela, nous avons sollicité l’aide d’un cabinet externe international présent au Royaume-Uni. Pour Sopura, il est probable que nous répéterons ce processus.

"Avec Sopura, la part du « beverage » dans le chiffre d’affaires passera de 3 % à près de 20 %"

Quels sont les sous-jacents dans le cas de l’acquisition de Sopura ?

Avec Sopura, nous nous octroyons un des tops 3 mondiaux dans l’industrie brassicole. Le chiffre d’affaires de Kersia verra ainsi la part du « beverage » passer de 3 % à près de 20 %. Mais le rapprochement dotera surtout le groupe de technologies en brasserie et dans le métier des boissons rafraîchissantes sans alcool. En plus de ces briques sectorielle et technologique, les implantations géographiques nous intéressent. Sopura dispose d’usines en Australie, au Vietnam et en Afrique du Sud, où la demande afflue, comme c’était le cas au Canada à l’époque, mais sans capacité de production locale. Nous pourrons alors regarder les opportunités dans des régions comme l’Asie du Sud-Est, en complément de la Chine où nous sommes déjà présents, l’Océanie et l’Afrique. À l’issue de l’opération, le groupe pèse 375 millions d’euros de chiffre d’affaires et compte 1 800 collaborateurs dans environ 120 pays.

Quelles sont vos ambitions pour 2021 ?

Cette année sera consacrée au renforcement du segment de la sécurité des aliments. Nous cherchons des entreprises disposant d’activités dans la chaîne alimentaire, qu’il s’agisse d’agriculture, d’agroalimentaire, de restauration ou du traitement de l’eau. Plusieurs cibles sont déjà à l’étude avec toujours la même stratégie, à savoir le renforcement géographique, l’acquisition de segments et de technologies disruptives, en biotechnologie comme en digital. En mai, nous avons ainsi pris une participation plus importante dans une start-up néerlandaise, Connecterra, leader mondial de l’intelligence artificielle en matière d’élevage laitier.

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret

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