Associé dans l’équipe corporate du cabinet McDermott Will & Emery, Nicolas Lafont revient sur l’activité M&A 2020, les tendances rencontrées et l’impact de la crise sanitaire sur les opérations, notamment sous l’angle de la réglementation sur les investissements étrangers.

Décideurs. Pouvez-vous nous parler de l’activité M&A de McDermott à Paris en 2020 ? 
Nicolas Lafont. 
L’activité M&A a été soutenue en 2020 et a occupé les équipes à un niveau supérieur à celui de 2019. Après un léger trou d’air en mars et avril qui a vu moins de projets démarrer, nous avons noté une reprise dès le mois de juin. Les opérations de private equity se sont maintenues à un nombre élevé mais nous avons également travaillé sur des dossiers de M&A industriels pour des acteurs français et étrangers. Concernant les secteurs, les plus représentés pour nous ont été, et de loin, la santé puis la technologie et l’énergie. 

Quelles tendances et quels sujets les plus significatifs avez-vous relevés dans le cadre des opérations traitées ?
Tout d’abord, l’écart s’est creusé entre des secteurs industriels peu impactés, voire portés par la Covid-19 et les autres. Dans les premiers, comme la santé, certaines valorisations sont restées très élevées, avec des multiples d’Ebitda importants et une dynamique d’opérations favorables aux vendeurs. Après un marché pro vendeur des années durant, la question se posait de savoir s’il allait laisser la place à un marché pro acheteur. Or, nous n’avons pas vu de renversement, surtout dans les secteurs résilients qui se portent très bien. 

Sur le plan juridique, la problématique de l’allocation du risque entre l’acquéreur et le vendeur pendant la période intermédiaire entre la signature et le closing de la transaction a été exacerbée par l’incertitude économique et réglementaire dans laquelle nous vivons. Cette problématique générale rejaillit sur plusieurs clauses des contrats d’acquisitions. Par ailleurs, plusieurs dossiers que nous avons traités ont donné lieu à une demande d’autorisation préalable au titre de la réglementation sur les investissements étrangers, entraînant un certain nombre de conséquences sur la structure des opérations ainsi que sur la documentation contractuelle.  

Vous avez mentionné l’intervention publique dans les opérations de M&A, est-ce un sujet spécifique à la France ?
Cette tendance globale touche tous les pays les plus développés : une majorité des pays de l’Union européenne, les États-Unis, le Japon ou encore la Chine. Elle s’est amplifiée depuis plusieurs années et serait due à la montée du nationalisme économique mais aussi à un mouvement déclenché il y a plusieurs années par des acquisitions chinoises d’entreprises européennes et américaines. Celles-ci, du fait de leur grand nombre, ont poussé les États concernés à imposer ou à renforcer des mécanismes de contrôle des investissements étrangers, prenant généralement la forme d’une autorisation préalable des autorités à la réalisation d’une opération de M&A.

La pandémie de Coronavirus a-t-elle eu un impact sur le contrôle des investissements étrangers ?
Sans conteste. La pandémie et ses conséquences économiques ont affaibli bon nombre d’entreprises qui sont devenues des cibles pour des acquéreurs étrangers. De nombreux États ont donc réagi en renforçant encore la réglementation sur le contrôle des investissements étrangers. Ainsi, l’Espagne a adopté en mars 2020 une réglementation assez similaire à celle de la France et le Royaume-Uni a enclenché, fin 2020, un processus législatif pour permettre l’adoption d’un régime qui se rapproche du système américain. La Chine a aussi annoncé, en décembre 2020, un contrôle renforcé des prises de participation dans certains secteurs clés. Quant à la France, elle a pris diverses mesures, ajoutant les biotechnologies dans les secteurs sensibles et abaissant le seuil de déclenchement de l’autorisation préalable de 25 % à 10% des droits de vote pour les sociétés cotées.

Comment les acteurs du M&A abordent-ils cette contrainte réglementaire ? 
En France, la réglementation couvre un certain nombre de secteurs et son applicabilité est parfois sujette à interprétation. Toute acquisition directe d’une cible française par une entreprise étrangère nécessite désormais une analyse afin de savoir si une notification préalable de la direction du Trésor est nécessaire, au même titre que l’analyse sur les éventuelles notifications aux autorités de concurrence.

Le risque de blocage d’une acquisition par les autorités françaises est-il réel ?
En décembre 2020, le gouvernement français a pour la première fois officiellement fait usage de son pouvoir de blocage dans le cadre d’une tentative d’acquisition par un acquéreur américain d’une société française détenant une technologie militaire stratégique. En dehors de toute décision officielle, des acquéreurs choisissent également de se retirer lorsqu’ils comprennent que l’autorisation leur sera refusée. Le risque de voir une opération bloquée est donc réel mais reste relatif au regard du nombre de transactions qui font l’objet d’une autorisation.  Si ces blocages restent assez rares, la direction du Trésor conditionne très souvent son accord au respect par l‘acquéreur de certains engagements postérieurement à la réalisation de l’acquisition, tels que la conservation de la technologie et des capacités de recherche ou de production en France, l’enregistrement des futurs brevets en France, la protection de l’emploi ou la continuation des contrats avec les entités publiques – une liste plus ou moins longue selon la sensibilité de l’activité concernée.

Comment le contrôle des investissements étrangers affecte-t-il la structure des transactions dans le contexte de la pandémie ?
L’autorisation de la direction du Trésor fait presque systématiquement l’objet d’une condition suspensive à la réalisation de l’opération. Ainsi, un plus grand nombre d’opérations donnent lieu à une période intermédiaire entre la signature et le closing, qui peut être relativement longue. Or, en cette période de pandémie, les intérêts des parties pendant la période intermédiaire divergent d’autant plus. Ces sujets, exacerbés par la crise, peuvent donner lieu à des discussions intenses, notamment en ce qui concerne les clauses MAC ou MAE, d’éventuelles conditions suspensives liées au Covid-19, l’ajustement du prix ou les restrictions dans la gestion de la cible par le vendeur pendant la période intermédiaire.

Des pratiques de marché ou des clauses contractuelles standard se dégagent-elles ?
Les pratiques de marché nous semblent assez peu figées dans le cadre des autorisations en matière d’investissements étrangers, au contraire de celles de la concurrence. Or, des questions importantes se posent. L’acquéreur peut-il refuser de réaliser la transaction si la Direction du Trésor lui impose des conditions ? Doit-il au contraire accepter toutes celles demandées ? Ou encore, les parties trouvent-elles un compromis sur l’étendue des obligations ? De façon pragmatique, nous connaissons les engagements standards demandés par la direction du Trésor et il nous est donc possible de les lister dans le contrat de vente, mais sans pouvoir être exhaustif face à la créativité des autorités en la matière, notamment lorsqu’il existe une pression politique autour d’une opération. Nous sommes donc amenés à négocier l’étendue des obligations acceptables par l’acquéreur. Parmi les options possibles, un droit pour l’acquéreur de refuser les engagements non spécifiés dans le contrat si ceux-ci sont susceptibles d’avoir un effet significatif défavorable sur la cible, avec éventuellement un plafond monétaire à négocier. La question d’un break-up fee – et de son montant – imposé à l’acquéreur s’il n’obtenait par l’autorisation préalable de la direction du Trésor se pose également.

Propos recueillis par David Glaser

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