Anne-Sophie d’Andlau et Catherine Berjal sont à la tête du fonds activiste CIAM. Ces femmes aux mains libres défendent les droits des actionnaires, quitte à s’attaquer à des grandes entreprises. Rencontre.

Décideurs. De quoi CIAM est-il l’envie ?

Anne-Sophie d’Andlau. Nous nous sommes rencontrées en 2003. À l’époque, nous travaillions pour deux institutions financières différentes, moi chez Systeia Capital Management et Catherine chez BNP Arbitrage, mais nous faisions le même métier. Entre 2003 et 2009, on s’est retrouvées régulièrement dans des réunions d’analystes, où nous étions bien souvent les deux seules femmes. Nous partagions nos vues et, à force, avons eu l’idée de créer notre propre société de gestion. Nous avions toutes les deux un esprit entrepreneurial très développé et savions que nous ne pouvions pas faire tout ce que nous voulions dans nos structures respectives. CIAM a été lancé en 2009, au lendemain de la grande crise financière. L’exercice n’était pas évident. On s’est jetées dans l’eau froide tout en sachant que des périodes perturbées peuvent aussi naître des entreprises à succès.

Avez-vous toujours souhaité être dans une position de défense des investisseurs ?

A.-S. d’A. Au départ, nous étions davantage dans une gestion de niche, en tant que gestionnaires d’actifs en arbitrage de fusions-acquisitions. Mais, au bout de deux-trois ans, nous avons souhaité avoir une stratégie plus active. Déjà, à l’époque, les actionnaires minoritaires n’étaient pas très bien traités et il nous paraissait relever de notre devoir d’agir. Lorsque le dossier Club Med s’est présenté en 2013, nous avons décidé de nous engager et d’aller chercher le juste prix pour cet investissement.

Catherine Berjal. Pour détourner une expression de Simone de Beauvoir que nous aimons beaucoup : on ne naît pas activiste, on le devient. Nous défendons simplement les droits de nos investisseurs et, par extension, ceux des autres actionnaires.

Pouvez-vous nous parler de votre action ?

C. B. Depuis 2013, nous avons mené plus d’une quinzaine de campagnes. Certaines sont publiques, comme Club Med où nous avons obtenu un prix en hausse de 45 % par rapport à la première offre ou Euro Disney pour laquelle les actionnaires ont vu le prix par action bondir de 65 %. Altice a également augmenté le prix de son offre pour sortir SFR de la cote. Actuellement, on travaille sur les dossiers Scor et Suez. De manière plus globale, nous avons commencé sur les sujets de gouvernance mais nous nous nous intéressons de plus en plus aux problématiques E et S également.

"C’est à cause des problèmes de gouvernance, d’indépendance, de conflits d’intérêts, etc., qu’il y a des activistes, et non pas l’inverse"

N’avez-vous pas eu peur de vous attaquer à de grandes entreprises ?

C. B. Que la cible soit grosse ou petite, on regarde si les droits des actionnaires sont respectés. On fait juste notre travail vis-à-vis des investisseurs qui nous confient de l’argent. C’est à cause des problèmes de gouvernance, d’indépendance, de conflits d’intérêts, etc., qu’il y a des activistes, et non pas l’inverse. Est-ce que nous avons été courageuses au départ ? Sûrement. Est-ce que nous avons été inconscientes ? Peut-être un peu. Quelle que soit leur taille, les entreprises ont des devoirs qu’elles doivent respecter. Chez CIAM, nous n’abusons pas de nos droits. Nous demandons le respect des actionnaires. Quand une grande entreprise nous voit arriver, elle sait que nos demandes sont fondées.

Êtes-vous davantage dans le combat que dans le dialogue ?

A.-S. d’A. Non. Beaucoup de dossiers ne sont pas devenus publics car ils ont pu être réglés grâce au dialogue, qui est toujours la première étape. Nous commençons par échanger avec le conseil d’administration, ce qui fonctionne dans la plupart des cas. Quand une société n’est pas réceptive, on lui envoie une lettre circonstanciée et nous engageons le dialogue avec d’autres actionnaires. Ensuite, nous pouvons faire entendre notre voix en assemblée générale, soit en votant contre des résolutions, soit en en soumettant. Ce qui est un droit basique des actionnaires. En cas d’impasse, l’étape ultime est le recours en justice. Nous ne l’avons pas utilisé souvent.

C. B. Il arrive que nous rendions publics nos courriers dès le début en réponse à une action déjà actée et invraisemblable de la part d’une société. C’est ce qui s’est passé avec Suez, lorsque le groupe a mis en place l’an passé une fondation de droit néerlandais, qui est une pilule empoisonnée, pour contrer le projet de rachat de Veolia.

On a tendance à rapprocher votre action de celle de Colette Neuville, patronne de l’Adam (Association de défense des actionnaires minoritaires). Que pensez-vous de cette comparaison ?

A.-S. d’A. On apprécie beaucoup Colette, qui est une femme très courageuse et qui fait des choses très bien pour les actionnaires petits porteurs. Nous n’avons néanmoins pas le même business modèle : l’Adam est une association, nous sommes une société de gestion. De notre côté, nous défendons nos investisseurs et prenons un risque économique. Mais, dans les deux cas, nous rappelons aux dirigeants qui l’oublient que les entreprises appartiennent à leurs actionnaires. 

Vous reversez 25 % de vos commissions de performance à des associations caritatives. Pourquoi avoir lié cet engagement à votre société ?

A.-S. d’A. Nous soutenons des associations caritatives pour l’enfance, avec comme focus l’éducation et la santé, comme le programme pour le cancer pédiatrique de Gustave Roussy. Nous aidons des organismes proches de nous mais aussi en Inde, au Vietnam ou encore à Madagascar et ailleurs dans le monde. On fait cela depuis le lancement de CIAM. C’est un vrai engagement que d’avoir associé ces dons à notre société. Nous estimons avoir  fait partie des privilégiés donc c’est une sorte de pay back vis-à-vis de la société.

C. B. Les gens qui s’en sortent dans la vie doivent aider les plus en difficultés. Nous sommes des capitalistes. Le profit est l’un des objectifs du capitalisme pour les investisseurs. Le libéralisme vise à garantir la liberté, à susciter l’initiative, et à garantir l’égalité des chances et le respect des règles, notamment de gouvernance d’ailleurs. Et pour que tout fonctionne bien, nous avons la conviction qu’il doit y avoir une forme de partage pour mieux vivre-ensemble. Chacun peut et doit aider avec ses moyens. C’est le sens de notre action en matière de charity.

"Le milieu de la finance est très masculin"

Est-ce un challenge d’être une femme en finance ?

A.-S. d’A. Oui, car le milieu de la finance est très masculin. C’est une réalité de dire qu’il est plus difficile pour les femmes de lever du capital dans l’univers de la gestion d’actifs. Et ce, quels que soient votre compétence ou votre track record. Heureusement, les choses progressent et des femmes de référence sont prêtes à aider leurs homologues. On repère notamment des soutiens dans les grandes banques.

Chez CIAM, il y a une totale parité. Si vous regardez les sites de gestionnaires d’actifs, ce n’est souvent pas le cas. Mais de plus en plus de femmes souhaitent travailler dans le monde de la finance et il est de notre devoir de leur faire une place pour qu’elles puissent s’y épanouir.

C. B.  Il est tout de même frappant de voir que nous avons reçu en une occasion un dessin totalement inapproprié. Dans le contexte, nous avons une idée de son auteur. Nous nous sommes dit que la personne était décidément immature et nous avons préféré en rire. Mais cela dit combien d’hommes sont encore en décalage avec les avancées en matière de parité ! Nous recevons aussi des attaques sur ce plan à travers les médias ou les réseaux sociaux pour essayer de nous museler et nous affaiblir, mais nous savons nous défendre. Au contraire, nous les considérons comme un poil à gratter qui nous bouscule et nous donne envie de continuer nos actions.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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