La société d’investissement Northleaf Capital Partners opère sur les marchés privés dans trois classes d’actifs, le private equity, l’infrastructure et la dette privée, avec un total de 16 milliards de dollars sous gestion, dont 30 % en Europe. Matthieu Ducharme, managing director à Londres, présente la stratégie de la firme en matière de private equity, notamment sur le marché secondaire.

Décideurs. Quelle est la stratégie d’investissement de Northleaf en private equity ?

Matthieu Ducharme. Avec son pool de véhicules Global Solutions, Northleaf Capital Partners réalise des investissements primaires dans des fonds mid-market, équilibrés avec des transactions secondaires et des co-investissements. Nos activités primaires constituent une source pour le secondaire, dont un fonds dédié de 1,25 milliard de dollars est en cours de levée. Depuis plusieurs dizaines d’années, nous investissons en primaire sur le mid-market, dans des fonds bien établis, capables d’utiliser la création de valeur comme levier de croissance et avec une équipe stable. C’est primordial quand on fait un chèque en blanc sur dix ans.

Comment déterminer la création de valeur d’une équipe ?

La création de valeur, c’est avant tout la croissance de l’Ebitda, plutôt que l’arbitrage de multiples ou le levier financier. Nous analysons les valeurs d’entrée et de sortie anticipée par le gérant, son business plan et les risques et opportunités considérés dans la création de valeur. Que ce soit par des build-up ou de la création de valeur en interne, en déclinant de nouvelles stratégies, en optimisant opérationnellement la société ou  les différentes marges. Nous apprécions les équipes qui envisagent un angle opérationnel, et dont certains professionnels, parce qu’ils ont déjà travaillé dans des sociétés, sont capables de décortiquer l’activité afin d’activer les différents leviers de croissance.

"Co-investir est une très bonne façon d’apprécier la façon de travailler des gérants"

Vous réalisez également des co-investissements. Comment cela se passe-t-il ? Avec qui ?

Co-investir est une très bonne façon d’apprécier la façon de travailler des gérants puisque nous avons accès à tous leurs rapports et mémorandums d’investissement. C’est un outil très utile pour nous en termes de due diligences. De telles opérations accélèrent le déploiement de notre portefeuille et contribuent à optimiser nos rendements. C’est aussi un moyen de s’exposer davantage à un gérant, une géographie ou un secteur. Dans le cas d’une opération avec des gérants auprès desquels nous sommes déjà investis, nous pouvons en partie nous reposer sur le travail des équipes et utiliser notre réseau et notre portefeuille existant pour valider certaines thèses sur le marché et la société. Le laps de temps est assez court pour répliquer ces due diligences, alors qu’eux travaillent dessus depuis des mois. À l’inverse, si nous ne sommes pas investisseurs dans une équipe, nous menons des due diligences à la fois sur le marché, les actifs ainsi que sur le gérant. Nous analysons en détail la dynamique de la transaction avec les motivations des différents intervenants pour s’assurer de l’alignement avec le gérant et bien comprendre son approche.

Quels critères de sélection retenez-vous pour ce type d’opération ?

Un deal de co-investissement relève de l’opportunisme. Il se présente lorsqu’un gérant a besoin d’un excédent de capital pour réaliser la transaction et fait alors appel à des co-investisseurs. Le but du jeu consiste à garder une sélectivité importante – nous exécutons 4 % des projets présentés. Pour ce faire, la source de flux de transaction doit être très large, car cela reste un pari fort sur une société en particulier. Le profil de risque d’un portefeuille de co-investissements est vraiment différent de celui d’un portefeuille de fonds. Au moins quinze co-investissements sont nécessaires pour assurer la diversification du portefeuille. Par ailleurs, nous nous attachons à la qualité des gérants pour l’opération et portons une attention particulière au niveau de valorisation à l’entrée. Est-elle surestimée alors que nous sommes en haut de marché ? La marge de manœuvre en matière de création de valeur est-elle suffisante pour compenser un multiple potentiellement décoté à la sortie ?

"La création de valeur, c’est avant tout la croissance de l’Ebitda, plutôt que l’arbitrage de multiples ou le levier financier"

Comment s’assurer que la valorisation n’est pas surestimée ?

Il n’y a pas de standard. Nous analysons tous les comparables possibles, cotés comme privés. Notre portefeuille nous confère une base de données riche, grâce à laquelle nous pouvons estimer si la valorisation à l’entrée est confortable en comparaison des multiples constatés dans le marché. En cas de perte d’un ou deux tours de multiples à la sortie, l’opération doit présenter des rendements acceptables. L’année 2020 a affiché de fortes disparités sur les marchés. La connaissance des gérants s’avère, là encore, essentielle pour bien comprendre leurs techniques de valorisation et leur conservatisme ou leur agressivité, en la matière.

Évaluer une entreprise est-il désormais plus facile ?

Si les aides gouvernementales ont aidé à éviter une crise de liquidités, la majorité des entreprises ne sont pas encore en mesure de présenter six mois d’Ebitda normalisé. Toutefois, en termes de valorisation, le pire est vraiment derrière nous. En 2020, nous avons observé une grande disparité dans l’approche des valorisations. Certains gérants ont appliqué des décotes systématiques de 15 à 20 % sur l’ensemble du portefeuille, d’autres ont décidé d’ignorer l’effet Covid et les plus conservateurs ont vu les valorisations plonger. Aujourd’hui, les méthodes sont homogénéisées. Dans nos portefeuilles, les valorisations de décembre 2020 sont en ligne ou au-dessus de celles de l’année précédente. Actuellement, lorsque les GPs peuvent démontrer que l’impact de la Covid-19 sur les sociétés en portefeuille a été temporaire, ils utilisent souvent des Ebitda « forward », prévisionnels sur l’année 2021, plutôt qu’historiques, sur les douze derniers mois.

"Les opérations GP-led représentent une véritable solution de liquidité pour les gérants"

Qu’en est-il de votre activité secondaire ?

Le marché secondaire est segmenté entre les transactions traditionnelles de rachat de parts de fonds et les opérations « GP-led » [rachat de portefeuille à l’initiative des gérants, NdlR], qui se sont beaucoup développées ces dernières années. Celles-ci regroupent les continuation funds, les tender offers, les secondaires directs et tous les deals de preferred equity. Multispécialistes, nous opérons sur tous les spectres de transactions, car certains sous-segments peuvent temporairement être plus attractifs que d’autres et nous pouvons équilibrer notre portefeuille pour bénéficier des meilleurs couples rendement-risque au bon moment. L’absence de vente de parts de fonds dans la deuxième partie de l’année 2020 a conforté notre modèle économique et nous avons augmenté notre activité sur les transactions GP-led. Nous avons investi à la fois sur des single-asset continuation funds, car il est plus évident d’analyser en profondeur les effets de la crise de Covid-19 sur une société, sa valorisation et son business plan que sur un portefeuille d’une centaine de lignes, et dans des deals de preferred equity, qui offrent une protection à la baisse du fait de la position plus senior dans la structure de capital. Pouvoir pivoter entre ces différents segments s’est donc avéré crucial ces derniers mois. 

Quelles sont les perspectives sur ce marché secondaire ?

Les transactions de parts de fonds reviennent sur le marché car les valorisations ont retrouvé, voire dépassé, leurs niveaux d’avant la crise et la vaccination apporte un confort aux acheteurs sur la visibilité des sociétés sous-jacentes. Quant aux opérations GP-led, elles représentent une véritable solution de liquidité pour les gérants et ont donc vocation à perdurer. C’est d’autant plus d’actualité que ceux-ci resteront investis un à deux ans de plus, le temps de récupérer des Ebitda normalisés avant de pouvoir céder leurs participations. Ils organisent donc une restructuration de leurs fonds pour redonner de la liquidité à leurs investisseurs et s’accorder du temps pour délivrer leurs performances dans les sociétés sous-jacentes.

Sur le marché secondaire en général, beaucoup d’acteurs craignent une pression sur les prix et les rendements du fait de l’importance des montants levés. Néanmoins, la plupart de cet argent est destiné au large-cap. La profondeur du mid-market et la volumétrie des opérations permettent de rester sélectif sans subir de pression sur les prix. Et ce, d’autant plus qu’il existe une asymétrie d’information sur ce segment de marché et que l’univers d’acheteurs potentiels sur les fonds mid-market est plus restreint.

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret

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