Prisés par les investisseurs, les secteurs qui ont résisté à la crise sanitaire entraînent les valorisations à la hausse. La technologie et la santé tirent leur épingle du jeu, quand d’autres domaines ont été délaissés. Décryptage des différents segments du capital-investissement en France.

La première vague de Covid-19 ayant entraîné l’arrêt ou le report de nombreuses transactions en 2020, l’activité n’a véritablement repris qu’au second semestre. Concentrés sur un nombre restreint d’actifs résilients, les fonds ont ainsi contribué à la hausse des valorisations.

Les méga deals ont la cote

L’année 2020 avait démarré avec de belles opérations, notamment dans l’éducation et la santé. Le bal s’ouvrait alors avec Ceva Santé Animale, valorisée 4,8 milliards d’euros pour son cinquième LBO, puis Galileo Global Education, estimée à 2,3 milliards d’euros, soit près de 20 fois l’Ebitda. Au second semestre suivaient Colisée, à 15 fois l’Ebitda pour le même montant, Elsan, sur une base de valorisation de 3,4 milliards d’euros pour un multiple d’Ebitda de 12, ou encore Euro Ethnic Foods et Kersia, à un milliard d’euros. Puis, les transactions supérieures au milliard d’euros se sont multipliées au premier semestre 2021, parmi lesquelles Cerba Healthcare avec 4,5 milliards d’euros), Ermewa à 3,2 milliards d’euros ou encore Solina pour 1,7 Md€. L’agro-alimentaire, les services financiers et la technologie s’avèrent eux aussi des secteurs résilients, terrain de chasse des investisseurs.

Le venture capital ne connaît pas la crise

À l’autre bout du non-coté, le capital-innovation semble n’avoir pas été affecté par la pandémie. Bien au contraire, l’accélération de la digitalisation s’est avérée porteuse pour le secteur technologique. Dans son étude annuelle dédiée au Venture Capital européen, Pitchbook rapporte une augmentation de la valorisation médiane des opérations de venture capital dans la zone France et Benelux, qui atteint 4,3 millions d’euros pour l’early stage, en croissance de 19 %, et 12,3 millions d’euros pour le late stage.

L’Hexagone compte désormais sept licornes de plus qu’en décembre 2019, soit quinze start-up valorisées plus d’un milliard d’euros. En 2020, Mirakl est entrée dans ce club de moins en moins fermé, suivi de Contentsquare, qui a bouclé une nouvelle levée de fonds un an plus tard, portant sa valorisation à 2,5 milliards d’euros. Depuis le premier janvier, elles ont été rejointes par Vestiaire Collective, les assurtech Alan et Shift Technology, Back Market ainsi que la pépite de la cybersécurité Ledger. Tout laisse à penser que la tendance se poursuivra, au regard du 1,5 milliard d’euros tiré pour le seul mois de mai.

Une concentration sectorielle

Technologie, santé et services financiers constituent également le moteur de l’activité du mid-market et représentent 60 % du marché transactionnel, emmenant les prix à la hausse. « Aujourd’hui, certains multiples s’approchent des 30 fois l’Ebitda sur les logiciels, avec des croissances de 10 % », souffle un GP, « on a pris près de dix tours en un an ». L’abondance de liquidités, le faible coût du financement et la concurrence sur les secteurs en vogue et traditionnellement chers établissent ainsi un nouveau record de l’indice Argos, qui enregistre les transactions mid-cap européennes, à 11,3 fois l’Ebitda au premier trimestre 2021. Fait rare, les fonds d’investissement paient plus cher que les corporates malgré l’absence de synergies. Néanmoins, 70,8 % des buyouts répondent à des stratégies de buy-and-build, centrales dans les thèses d’investissement des sponsors.

Un phénomène qui s’observe également sur le small-cap, malgré un léger décrochage, car les niveaux de concurrence, de liquidités et de financement sont les mêmes. « Tout le monde cherche des actifs dans la santé, l’éducation et la tech », explique un banquier d’affaires, « ce sont les beaux actifs qui font le marché et on observe beaucoup de préemptions », poursuit-il. La comparaison s’arrête à la frontière du multiple de 20 fois l’Ebitda franchie sur le mid-cap, ce qui n’est pas le cas sur les plus petits deals. « La plateforme de consolidation prend de la valeur », précise-t-il, « et augmente le prix de 3 à 4 tours d’Ebitda ».

Un effet de bulle ?

Les statistiques de l’Argos Index montrent une progression régulière du levier depuis plusieurs années, dépassant 6 fois l’Ebitda pour plus de la moitié des transactions. Un seuil que la BCE recommande de ne pas franchir, car il requiert jusqu’à quinze ans de cashflows nets pour rembourser la dette. « Le risque de l’effet de levier vient des covenants qui y sont liés », se préoccupe Louis Godron, associé chez Argos Wityu, « mais ce n’est pas le grand dérapage ».

Les cashflows générés par l’entreprise ne suffiront pas, dans la situation actuelle, à rembourser l’effet de levier ; il faudra compter sur la hausse des valorisations. Tant que les taux d’intérêts resteront aussi bas, les rendements qu’offre le private equity font que cette classe d’actifs continuera à attirer d’énormes masses d’argent. Ce qui, de fait, affectera les rendements mais pas les multiples. Par ailleurs, la reprise des investissements dans les autres secteurs devrait générer de nouvelles transactions à des valorisations moins vertigineuses.

Anne-Gabrielle Mangeret

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