Trente-deux ans après la chute du régime, les moyens de survie ainsi que les bakchichs ou les pots-de-vin en usage durant la dictature communiste restent monnaie courante. En témoigne l’Indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International 2020 au sein duquel la Roumanie occupe la 69e position sur 180 pays et territoires du monde, à la même place que la Hongrie et la Bulgarie.

Pour intégrer l’Union européenne, la Roumanie a dû adopter toute une série de réformes ambitieuses, dont le suivi est encore assuré par la Commission européenne dans le cadre du Mécanisme de coopération et de vérification (MCV). Garantir la transparence et l’efficacité du système judiciaire, ou encore renforcer son arsenal juridique et institutionnel en matière de lutte contre la corruption ont été les conditions sine qua non à son intégration en 2007 afin de garantir l’application efficace des dispositions, des politiques et des programmes de l’Union européenne. Ce faisant, la Direction nationale anticorruption (DNA), un parquet spécialisé et indépendant du ministère de la Justice créé en 2002, n’a cessé de faire tomber ministres, députés et hauts fonctionnaires comme des dominos. Selon le rapport semestriel de la Commission européenne dans le cadre du MCV publié en janvier 2013, "les résultats dans la lutte contre la corruption à haut niveau sont l’une des manifestations les plus flagrantes des progrès enregistrés par la Roumanie". Pourtant, au fil des années, le pays prend un tournant inattendu en démantelant progressivement toute cette politique.

Une descente progressive aux enfers

En 2017, la Roumanie a fait preuve d’un activisme législatif en entamant une série de réformes d’envergure en matière de justice et de lutte contre la corruption. Parmi ces dispositions était proposée la suppression des poursuites pour certains cas de corruption. Mais à cause de la grogne de la population, le gouvernement a fait machine arrière sur cet amendement, sans abandonner totalement son projet. La réforme de la justice visant à limiter certains pouvoirs des procureurs concernant les actes de corruption a, quant à elle, bien été lancée, s’attirant en parallèle les foudres de Bruxelles. Dans son dernier rapport d’évaluation du 22 octobre 2019, la Commission européenne pointe "une régression par rapport aux progrès réalisés au cours des années précédentes, cette évolution étant source de vives préoccupations". De son côté, le Groupe d’États contre la corruption (Greco) du Conseil de l’Europe souligne que le degré de mise en oeuvre des recommandations au regard de la lutte contre la corruption au sein des élus, des juges et des procureurs n’est toujours pas satisfaisant. Le groupe d’États recommande, entre autres, que le ministère de la Justice devrait être moins impliqué dans la désignation et la révocation des procureurs agissant dans la lutte contre la corruption, pourtant objet de la réforme controversée.

la Direction nationale anticorruption (DNA) n’a cessé de faire tomber ministres, députés et hauts fonctionnaires comme des dominos.

La tempête s’est également abattue sur les institutions. Devenue la hantise du gouvernement, Laura Codruta Kövesi, procureure en chef de la DNA, a été destituée de ses fonctions en juillet 2018 en raison de ses critiques formulées à l’encontre des réformes législatives. Pourtant, sous sa houlette, l’institution détient un tableau de chasse bien rempli : selon un rapport d’activité pour l’année 2017, 3 800 dossiers ont été instruits, un record jamais enregistré depuis sa création. Mais la figure de proue de la lutte contre la corruption ne se laisse pas abattre par ce coup de tonnerre. Devenue cheffe du Parquet européen en octobre 2019, elle obtient la condamnation de la Roumanie pour violation de sa liberté d’expression dans un arrêt du 5 mai 2020 rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme ; sa révocation s’opposait "au but même du maintien de l’indépendance judiciaire".

Une corruption létale

Aux Oscars 2021, la Roumanie est sous le feu des projecteurs. Nommé dans les catégories du Meilleur film en langue étrangère et du Meilleur documentaire, le long métrage Colectiv d’Alexander Nanau revient sur un scandale sanitaire qui a fait trembler de colère la population roumaine contre l’élite politique. Au soir du 30 octobre 2015, un incendie ravage une discothèque située dans la capitale roumaine où des centaines de spectateurs assistent au show pyrotechnique organisé lors d’un concert de hard rock. Aménagé dans une ancienne usine de chaussures désaffectée, le club recevait du public alors qu’il ne présentait aucune issue de secours : 400 spectateurs sont piégés dans les locaux, l’évacuation est chaotique. Certains blessés sont conduits à l’hôpital, mais ne pourront pas être soignés, faute de moyens mis à disposition du personnel médical. D’autres y laisseront la vie. Il y aura au total 64 décès et trois jours de deuil national seront décrétés. Une vague de manifestation déferle à l’échelle nationale pour dénoncer le lien entre une vaste affaire de corruption des autorités locales et le tragique événement. Dans les rues de Bucarest, plus de 20 000 manifestants scandent le même slogan : "La corruption tue."

Le 9 décembre 2019, la justice roumaine se prononce dans un jugement en première instance : plusieurs responsables politiques et entrepreneurs sont poursuivis pour des actes de corruption et de négligence. Et parmi eux, Cristian Popescu Piedone, le maire du IVe arrondissement de Bucarest, condamné à huit ans et demi d’emprisonnement pour avoir autorisé le fonctionnement du club en dépit des défaillances de sécurité constatées lors de son ouverture. Déjà mis en examen pour actes de corruption par la DNA le 5 juin 2015, le Premier ministre Victor Ponta démissionne cinq mois plus tard à cause de la colère des manifestants, et entraîne le gouvernement dans sa chute. La population roumaine tance également le président roumain Klaus Iohannis pour sa gestion de l’événement, et lui demande des comptes sur son inaction face à la recrudescence de la corruption au sein de son administration. Hôpitaux en ruine, équipements vétustes... L’incendie du club Colectiv a mis en lumière un scandale sanitaire qui fait écho cinq ans plus tard en pleine crise sanitaire.

Relents de corruption en temps de pandémie

Dans son dernier rapport 2020 sur l’Indice de perception de la corruption (IPC), Transparency international explique que "la corruption détourne des fonds d’investissement indispensables dans les soins de santé, laissant la communauté sans médecins, ni équipements et médicaments et dans certains cas sans cliniques ni hôpitaux". Dans le cas de la Roumanie, le rapport souligne que "les dépenses de santé du pays sont également inférieures à la moyenne de l’Union européenne". En conséquence, les soignants doivent utiliser du gel hydroalcoolique dilué à l’eau, des patients sous oxygène sont assis sur des chaises ou allongés à même le sol au sein du principal du centre médical spécialisé en maladies infectieuses, et les hôpitaux sont saturés. Mais au-delà du sous-financement, la Roumanie souffre d’un brain drain médical : victimes collatérales des effets délétères de la corruption, médecins et personnels de santé fraîchement diplômés partent en Europe de l’Ouest pour bénéficier de meilleures conditions d’exercice de la profession.

Au-delà du sous-financement, la Roumanie souffre d’un brain drain médical.

De son côté, la DNA n’a cessé d’agir durant la crise sanitaire. En juin 2020, Adrian Ionel, directeur général d’Unifarm, a été placé sous contrôle judiciaire. L’entreprise publique est chargée de ravitailler les hôpitaux et de fournir les équipements nécessaires aux personnels soignants. Selon le communiqué de presse publié par la DNA, le directeur général aurait demandé un pot-de-vin d’un montant de 760 000 euros à une société commerciale turque pour lui attribuer le marché public visant à la fourniture de trois millions de masques chirurgicaux et 250 000 combinaisons de protection à destination du personnel hospitalier. Or, le manque de transparence des dépenses publiques accroît le risque de corruption et mine l’efficacité de la gestion de la crise sanitaire.

Jessie Razafindrabe

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