Le marché des fusions-acquisitions n’a jamais été aussi florissant que depuis le deuxième semestre 2020. Même si ce dynamisme peut paraître incongru dans un contexte de crise, le phénomène semble durable et les professionnels du secteur misent sur une année 2022 tout aussi prospère.

Année record, florilège d’opérations, mégadeals, tous les qualificatifs auront été utilisés pour décrire le dynamisme de l’année 2021 en matière de M&A. Alors que la crise sanitaire est encore bien présente, le secteur semble ne s’être jamais aussi bien porté et les légers affaiblissements des derniers mois ne suffisent pas à atténuer l’enthousiasme de l’écosystème. Valorisations souvent stratosphériques, âpre concurrence sur les belles opérations, exécution des deals pied au plancher, conseils sur-sollicités… pré-bilan d’une folle année.

Boulimie transactionnelle

Le millésime M&A 2021 s’est inscrit sous le signe de la reprise économique. La fin de l’année 2020 avait d’ailleurs déjà bien amorcé la pompe. Après un premier semestre au ralenti à la suite du choc de la crise sanitaire et des différents confinements, la deuxième moitié de l’année avait dépassé toutes les espérances grâce notamment à un phénomène de rattrapage induit par le redémarrage des opérations gelées lors de la première vague de Covid-19. Ajouté à cela des liquidités abondantes sur les marchés et un appétit aiguisé des investisseurs, il n’en fallait pas plus pour atteindre des sommets. Bilan : 2,2 billions de dollars de fusions et acquisitions au deuxième semestre 2020 au niveau mondial, soit le chiffre semestriel le plus élevé jamais enregistré par Mergermarket

Cette effervescence s’est poursuivie au premier semestre 2021 avec, au niveau européen, un volume d’opérations en augmentation de 59 % par rapport à l'année précédente et une valeur des transactions en augmentation de 111 % – 496,1 milliards d'euros –, toujours selon les chiffres de Mergermarket. "L’activité en M&A cette année a été frénétique, surtout à partir du deuxième trimestre. Cela s’explique en partie par un phénomène de rattrapage post-Covid mais aussi par une certaine euphorie des acteurs, avec des valorisations très élevées qui font se demander s’il n’y a pas en partie un phénomène de bulle", remarque Antoine Bonnasse, avocat associé au sein du cabinet BDGS Associés.

Au niveau européen, au premier semestre 2021, le volume d'opérations est en hausse de 59% par rapport à l'année précédente

Selon Refinitiv, le nombre de transactions réalisées dans le monde a dépassé les 4,4 billions de dollars pour plus de 40 000 transactions au cours des neuf premiers mois de l’année, soit les plus forts jamais enregistrés. "Le marché des fusions-acquisitions a atteint cette année un niveau historiquement haut tant en volume qu’en valeur. En vingt-cinq ans de carrière, je n’ai jamais été confronté à un nombre aussi élevé d’opérations, sans parler des montants de valorisation qui battent des records", explique Stéphane Vanbergue, associé au sein de l’équipe Transaction Services du cabinet de conseil Eight Advisory.

Des acteurs sur-sollicités

Autre signe de cette période inédite, le nombre de dossiers sur les bureaux des différents acteurs du secteur est particulièrement nombreux. "Outre les chiffres qui ne mentent pas, cette année record se traduit aussi à travers l’incroyable charge de travail des différents intervenants. Beaucoup ont été dans l’obligation de refuser des dossiers pour y faire face", explique François de Breteuil, associé gérant de Rothschild & Co Global Advisory. Même son de cloche concernant le rythme des opérations, relève Antoine Bonnasse : "Le rythme d’exécution de certaines transactions est véritablement effréné." Avec des conséquences éloquentes sur le deal flow général mais qui forcent, malgré les recrutements, les acheteurs et plus particulièrement les fonds d’investissement, à concentrer leurs forces sur les deals les plus prometteurs. Une manière aussi de maintenir l’appétit sur la durée et de faire flamber les valorisations pour le bonheur des vendeurs.

En outre, ce qui est vrai pour les opérations de fusions-acquisitions l’est aussi pour d’autres écosystèmes, soulève François de Breteuil : "Le M&A a tous les voyants au vert mais le phénomène est le même pour les autres métiers que sont le financement, les IPO ou encore le restructuring. Ce qui est remarquable car, souvent, certains secteurs sont contracycliques."

La bonne santé du secteur ? "Il s'agit probablement d'un phénomène durable"

Jusqu’à quand ?

La fin de l’année est donc assurée mais se pose tout de même la question de la pérennité de ce dynamisme discordant avec la situation économique générale. Là encore, peu d’inquiétude de la part des acteurs du secteur. "Il s’agit probablement d’un phénomène durable. Les liquidités à déployer, notamment par les fonds d’investissement, sont importantes, les taux restent bas et les niveaux de valorisation élevés sur les secteurs porteurs comme la tech, l’éducation, l’agroalimentaire ou la santé ; tous les voyants sont au vert pour 2022", se réjouit Stéphane Vanbergue.

Une étude réalisée conjointement par Mergermarket et SS&C Intralinks sur la base des réponses de 300 dealmakers fait état de cet optimisme ambiant. Près des deux tiers (64 %) des personnes interrogées s'attendent à une augmentation du niveau d'activité de M&A au cours des douze prochains mois. Au-delà, une majorité écrasante (83 %) des entreprises prévoit de réaliser des opérations de fusion et d'acquisition sur le marché intermédiaire au cours de la même période.

Pour maintenir le rythme, il faudra cependant éviter certains écueils que sont notamment la présidentielle, toujours synonyme de flottement, même passager, mais aussi le retrait progressif des aides d’État qui entraînera inévitablement une augmentation des restructurations. Selon François de Breteuil, "si la pression inflationniste est passagère, que les taux d’intérêt restent bas et que le retrait des perfusions mises en place par l’État ne provoque pas trop de secousses, la vigueur du marché ne devrait pas faiblir. Notre 'pipe' est d’ailleurs très prometteur pour 2022." Pour Stéphane Vanbergue, l’augmentation des entreprises en difficulté peut aussi être une belle opportunité pour certains acteurs : "Les sociétés qui ont souffert de la crise sanitaire vont progressivement redevenir des cibles potentielles. Par ailleurs, les sociétés en portefeuille des fonds ainsi que nos clients corporate sont également très actifs dans leur stratégie de buy and build pour concentrer le marché. En parallèle, les détourages d’actifs se multiplient pour permettre aux entreprises de se concentrer sur leur cœur d’activité". Impossible de lutter contre l’enthousiasme communicatif de l’ensemble de l’écosystème.

Béatrice Constans

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