Pour créer de la valeur à long terme, il faut croître à plus de 7,5 % par an. La croissance est un choix qui nécessite de concentrer ses ressources sur les enjeux prioritaires. Les entreprises sont aujourd’hui confrontées à des opportunités d’investissement en Opex et en Capex. Il est nécessaire de choisir ses combats à gagner, ses "Must-Win battles".

La valeur de la croissance

La création de valeur n’est pas liée à la rentabilité. Elle est liée à la croissance rentable. Les analyses sur toutes les bourses, quelles que soient les périodes, montrent la forte corrélation entre croissance (à rentabilité donnée) et le rendement pour l’actionnaire (TSR)1 : un point de croissance sur longue durée génère plus de 1 point de TSR.

Pour un actionnaire, ceci signifie que, sur dix ans, son investissement aura rapporté 2,5 fois sa mise pour un TSR à 10 % alors qu’il aura rapporté 4,0 fois sa mise pour un TSR à 15 %. Les 5 points de croissance de différence lui auront permis de doubler son gain (déduit de l’investissement). Les enjeux sont donc significatifs. La vision la plus discriminante sur le plan de la création de valeur n’est donc pas l’ampleur de la croissance, c’est sa durée.

C’est ce qu’arrivent à réaliser des groupes comme Inditex (Zara), H&M, Home Depot, Decathlon, Assa Abloy, Nike, ­Hermès, Ecolab depuis plus de vingt ans.

Les moteurs de la croissance longue

Pour continuer à croître sur une longue période, il est nécessaire d’anticiper et de prévoir les mouvements à réaliser. Il est rare qu’un même modèle d’activité puisse permettre des croissances longues et ­durables.

Il faut donc activer successivement différents leviers adaptés aux positions de l’entreprise, à la maturité de ses marchés… : positionnement sur des marchés en croissance longue, innovation et nouveaux modèles d’activité, extension à de nouveaux clients, internationalisation dans les pays mûrs, globalisation des volumes et descente des effets d’échelle et d’expérience, développement dans les pays émergents, concentration "industrielle" de l’industrie, élargissement du périmètre d’activité vers des activités adjacentes (en amont ou en aval), macrofusions, changement du portefeuille d’activités, diversifications…

Les entreprises qui utilisent les mêmes ­leviers de croissance ne peuvent pas croître à long terme. Elles peuvent profiter d’une phase de croissance pendant lesquels les leviers qu’elles utilisent sont pertinents mais si elles ne font pas évoluer leur modèle, elles ralentiront comme leur marché sous-jacent.

Ceci est d’autant plus vrai que le groupe est de grande taille et a connu historiquement une croissance forte et un succès dans son modèle d’activité. L’enjeu du Top management est donc d’identifier les bons leviers et de se positionner de manière agressive et à forte ampleur.

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Les conditions pour croître

La remise sur les rails d’une croissance ­significative et longue (et bien sûr ­rentable) n’est pas une stratégie simple, dans la continuité des actions passées.

Elle nécessite souvent des ruptures et des remises en cause fortes concernant :

- La grille de segmentation pertinente pour déceler les sources de croissance au sein du groupe (métiers, géographies, canaux de distribution, groupes de clients…) et donc souvent l’organisation du groupe ;

- La concentration sur un petit nombre d’objectifs ambitieux par opposition à la dilution des actions ;

- La réallocation drastique des ressources entre métiers, géographies…, et donc entre les entités managériales, par opposition au recyclage des cash-flows générés entité par entité ;

- La redéfinition fondamentale de leviers d’investissement et de différenciation nécessaires pour croître (prix, marque, valeur du produit, canal de distribution, positionnement…) et donc du modèle d’activité.

Elle entraîne des redéfinitions fortes des priorités par opposition au "business as usual".

Elle nécessite par conséquent un pouvoir de pilotage, d’arbitrage et de contrôle fort de la part de la tête du groupe par rapport à la simple gestion décentralisée des ­opérations, entité par entité.

"Pas de choix, pas de croissance. Pas de croissance, pas de création de valeur. Il faut définir ses "Must-Win Battles""

Focaliser et définir des "Must-Win Battles"

Dans ce contexte, il est nécessaire de définir les priorités et les combats au plus haut niveau de l’entreprise : les "Must-Win Battles". Il faut limiter leur nombre à moins de 10 pour garantir leur impact et le temps passé par le management sur ces combats. Il faut assurer une gouvernance qui permette de concilier les décisions stratégiques, les moyens financiers et la mise en œuvre opérationnelle.

Ce choix est difficile mais il est critique. Il suppose un processus strict et partagé entre le Top Management de l’entreprise :

- Définition des combats ("Must-Win battles") en limitant leur nombre sur la base de leur ampleur et leur levier ­différentiation ;

- Caractérisation de ces combats : investissements, ampleur de l’inflexion, ­levier de différentiation par rapport aux concurrents, faisabilité… ;

- Priorisation des combats sur la base du potentiel de création de valeur, des enjeux de faisabilité et de la cohérence entre les différents combats ;

- Articulation d’ensemble des priorités et liens entre les différents combats ;

- Macro-plan d’actions avec niveau de ­responsabilités clairement définis à deux niveaux : ceux qui décident et ceux qui font ;

- Processus de suivi des combats et de réajustements nécessaires pour arriver au bon niveau et à la bonne ampleur.

Cette approche, qui implique des choix et des renoncements, n’est possible qu’avec un management et un président ambitieux et innovant ayant une forte vision de création de valeur et de transformation de l’industrie.

Qu’en conclure ?

Le temps s’accélère. Les nouvelles technologies permettent de développer de nouveaux modèles et de nouvelles approches. Ces nouveaux modèles nécessitent des moyens importants dans des

horizons de temps courts. Ils ne tolèrent pas de dilution des ressources. Les choix doivent être davantage ­marqués et affirmés pour avoir de l’impact en termes financiers et pour embarquer les équipes autour d’un nombre limité de priorités.

C’est à la fois une nécessité financière et une nécessité managériale. C’est le choix des actionnaires et du Top management. Si le président ne fait pas ce choix et n’est pas acteur, elle n’aura pas lieu. L’organisation génère du profit et est payée pour le maintenir et le faire croître mais dans des ampleurs moyennes. Le président doit créer des ruptures, faire les arbitrages d’investissements et mettre en place les conditions pour la croissance. C’est lui in fine qui fait la différence entre les leaders et les suiveurs.

Notes de bas de page :
1 Total Shareholder Return : rendement total pour l’actionnaire (par an, incluant l’évolution du cours de Bourse, les dividendes, les actions gratuites...)

Par Jean Berg, président, Strategia Partners

Jean Berg est président de Strategia Partners, cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Zurich, New York et Shanghai. Strategia Partners assiste les directions générales et les investisseurs dans leur stratégie de croissance et d’allocations de ressources en intégrant trois perspectives : stratégique & financière, environnementale et humaine.

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