Le conflit armé russo-ukrainien démontre une fois encore que les sanctions économiques sont aujourd’hui un véritable moyen de pression. Si beaucoup est écrit concernant leurs conséquences sur les citoyens et les États, n’oublions pas les sociétés internationales.

Véritables mesures coercitives non militaires, les sanctions économiques ont pour objectif de créer à l’égard de l’individu ou de l’entité qu’elles visent son asphyxie financière ainsi que la détérioration de sa situation économique. En pratique, il peut s’agir de sanctions financières, telles que le gel des avoirs ou l’interdiction des capitaux à destination de l’entité visée, ou encore de sanctions commerciales, telles que des embargos, des boycotts ou des blocus commerciaux. À titre d’exemple, le boycott du pétrole iranien en 1995, ainsi que les sanctions globales contre l’Irak suite à l’invasion du Koweït en 1990, lesquelles ont été prolongées jusqu’en  2003 et ont été suivies d’embargos sectoriels et de gels des avoirs à l’égard de certains individus listés.

Une pression également subie par les sociétés internationales 

Les sanctions économiques ont indéniablement des répercussions directes sur les sociétés internationales, puisque ces dernières jouent un rôle central dans la mise en application de ces restrictions en cessant ou restreignant leurs activités avec les personnes et entités visées. Ces sociétés sont dans l’obligation de se conformer à la fois à la réglementation des pays dans lesquels elles sont juridiquement attachées, mais également à la réglementation des pays dans lesquels elles mènent leurs activités. Le risque étant de se voir condamné à de lourdes amendes, à des interdictions d’exercer, à des dissolutions, voire à des peines d’emprisonnement.

Un défi permanent pour les sociétés implantées à l’international 

Les sociétés internationales sont dans l’obligation d’assurer un contrôle constant de leurs activités au regard des lois, réglementations sur le contrôle des exportations et sanctions économiques. Concrètement, cela implique le déploiement constant de moyens à la fois humains et juridiques afin d’assurer la mise en place ainsi que la pérennité d’un programme solide de conformité.

Tout d’abord, cela se traduit par un contrôle préalable à la conclusion de nouveaux contrats, permettant entre autres la vérification des listes sur lesquelles sont publiés les noms des individus et entités visés par les sanctions. Ces vérifications englobent également des recherches avancées sur l’identité de la contrepartie envisagée afin d’identifier les actionnaires ainsi que les individus ou entités pouvant détenir ou contrôler la potentielle contrepartie. De plus, ce contrôle a vocation à se poursuivre tout au long de la vie des contrats, ce qui implique de surcroît d’assurer une formation continue du personnel, une veille permanente de l’actualité géopolitique et économique ainsi qu’un renouvellement dans le temps de ces vérifications s’agissant des relations commerciales amenées à s’étendre sur le long terme.

Une protection contractuelle limitée 

La prise de sanctions économiques ainsi que la promulgation de réglementations portant sur le contrôle des exportations sont des événements qui, par nature, échappent au contrôle des parties tout en ayant une conséquence directe sur l’exécution du contrat. C’est pour cette raison que la force majeure est souvent envisagée comme technique de défense au soutien d’une exonération de responsabilité dans le cas où une partie cesserait d’exécuter ses obligations contractuelles vis-à-vis d’une contrepartie faisant l’objet de sanctions économiques.

Toutefois, cette technique de défense connaît certaines failles, notamment car la partie visée par les sanctions peut difficilement s’en prévaloir faute d’extériorité ou encore, dans le cas où des restrictions sectorielles ne s’opposeraient pas à la pleine exécution du contrat. C’est pour cette raison que la pratique contractuelle a évolué vers l’élaboration de clauses propres aux sanctions économiques. Ces clauses ont pour seul objectif d’organiser la relation contractuelle au regard du respect des lois et sanctions économiques en élaborant un régime d’exonération de responsabilité contractuelle, tout en mettant à la charge des parties un certain nombre d’obligations d’information et de diligence raisonnable, afin de minimiser au mieux les risques résultant de la violation d’éventuelles sanctions économiques.

Une protection contractuelle résolument insuffisante quant aux risques économiques 

Bien qu’efficaces s’agissant de limiter la responsabilité du cocontractant vis-à-vis de la contrepartie ciblée par les sanctions, les protections contractuelles précédemment évoquées restent toutefois sans effets quant aux risques économiques auxquels se trouvent confrontées les sociétés internationales. 

En effet, même dans l’hypothèse où ces sociétés se conformeraient à d’éventuelles sanctions économiques en cessant toute activité avec les cibles des sanctions, évitant de surcroît toute condamnation, il n’en demeure pas moins qu’elles s’exposeraient à de considérables pertes économiques liées entre autres à la perte de marchés, à la perte de capitaux investis, ainsi qu’à la perte d’éventuelles positions stratégiques et d’avantages concurrentiels. De plus, ces techniques de protection contractuelle restent sans effets quant aux sociétés internationales qui sans être les cibles directes de sanctions économiques subiraient des restrictions du fait de sanctions visant l’État auquel elles seraient rattachées juridiquement. Tel a été le cas notamment de la société Qatar Airways, laquelle s’est vu refuser l'accès à l'espace aérien des Émirats arabes unis, du Bahreïn, de l'Arabie saoudite et de l'Égypte à la suite du blocus contre le Qatar en 2017.

En définitif, et même si cela est aujourd’hui trop peu considéré, les sociétés internationales représentent incontestablement aujourd’hui un acteur central dans la mise en application des politiques publiques à l’échelle internationale, et ce, par le biais de la mise en application des sanctions économiques, ce qui a pour conséquence de mettre à leur charge une prise de risques quasi permanente. Serait-ce là la conséquence légitime d’une mondialisation assumée, ou bien au contraire, la délégation déséquilibrée d’un pouvoir coercitif imposé ? Entre évolution naturelle d’une responsabilité privée et transfert inéquitable d’une responsabilité étatique, la question reste en suspens !

Katia Bennadji

Juriste Négociateur Moyen Orient Nord Afrique - Oil & Gas TotalEnergies 

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