Début février, Exotrail, la start-up française spécialisée dans la logistique spatiale, annonçait une levée de fonds de 54 millions d’euros. De quoi étendre son offre à destination des opérateurs de satelittes et s’internationaliser.

Décideurs. Quelles sont les ambitions d’Exotrail ? À quels besoins répondez-vous ? 

Jean-Luc Maria. Exotrail se positionne sur un sujet global, celui de la logistique dans l’espace. Pour des besoins de compréhension de notre environnement terrestre et de connectivité, il va y avoir de plus en plus d’objets dans l’espace. Auparavant, des centaines de satellites étaient lancés tous les ans, dorénavant ce sont des milliers et, plus tard, ils seront des dizaines de milliers. On peut dresser le parallèle avec ce qu’il s’est passé sur Terre : quand le nombre d’objets à distribuer s’est multiplié, des sociétés se sont spécialisées dans la logistique. Il n’y a aucune raison qu’à terme on ne puisse pas répliquer ce modèle à l’espace.

Sur quoi travaillez-vous ? 

Comme sur Terre, où il y a l’avion, le camion ou le bateau, les solutions de mobilité vont être de natures différentes. C’est pourquoi nous développons progressivement une offre multiproduit. Dès 2017, nous avons commencé à travailler sur un logiciel de conception de missions spatiales (spacestudio™). Car, pour assurer toutes les mobilités, il faut comprendre dès le départ quels vont être les besoins. Deuxième produit déployé en même temps : les moteurs, afin de faire bouger les objets dans l’espace (spaceware™). Aujourd’hui, nous introduisons également deux nouveaux produits : spacetower™, un logiciel d’opération de constellations, qui permet de gérer automatiquement la mobilité de chaque satellite. C’est un sujet car on est passé d’une ère où les opérateurs exploitaient de gros satellites à une ère où l’on utilise de plus petits satellites qui fonctionnent en constellations et pour lesquels il convient d’automatiser un maximum leur contrôle ainsi que leurs mouvements ; et spacedrop™, un service de logistique spatiale basé sur le véhicule spacevan™, satellite convoyeur qui va assurer le déploiement séquentiel après lancement des petits satellites qu’il contiendra.

Vous venez de lever des fonds. Cela a-t-il été simple ? 

Non. Dans le paysage du capital-risque, il s’avère toujours plus aisé de faire financer des projets avec des horizons de rentabilité plus courts, scalable et pouvant toucher des millions de consommateurs plus rapidement. Ensuite, dans la deeptech, les investissements sont souvent importants et, pour ne rien arranger, le spatial reste un domaine encore complexe qui peut faire peur. Il faut donc des investisseurs avec une appétence au risque plus grande que pour d’autres secteurs de la tech. Ajoutons à cela qu’Exotrail porte une vision globale de son sujet et souhaite proposer une offre de produits très variée. Nous pensons que c’est la bonne clé de réussite : éviter de s’enfermer dans un marché trop de niche et indexer notre croissance directement à celle du domaine spatial. Or, les fonds tendent à penser qu’il faut se focaliser sur un produit et un sujet. Par ailleurs, le niveau de maturité de notre entreprise ne facilitait pas les choses puisqu’il y a structurellement moins d’acteurs en Europe pour financer la croissance des entreprises. Le capital-risque est davantage présent sur les phases d’amorçage. Cette levée de fonds n’était donc pas gagnée d’avance. Malgré ce contexte, auquel s’est ajouté la situation financière mondiale peu favorable en 2022, Exotrail a quand même réussi à boucler ce tour de table ambitieux, démonstration de la pertinence de son projet et de son exécution depuis ses débuts. Cette levée démontre que les spacetech peuvent être financées sur des phases de croissance, ce qui va renvoyer un excellent signal dans la communauté.

"Nous développons progressivement une offre multiproduits"

À quoi vont-vous servir les 54 millions d’euros levés ? 

Il s’agit de notre troisième levée de fonds et elle répond à trois objectifs : accélérer sur nos produits historiques (moteurs et logiciel de conception mission), en introduire de nouveaux (logiciel d’opération et service de livraison en orbite) et internationaliser la société. Nous opérons en France mais le marché est global. Dans des pays comme les États-Unis, pour décrocher des contrats gouvernementaux et commerciaux, il faut une force commerciale sur place mais aussi produire localement car les règles américaines prévoient qu’une partie de la valeur de ce que vous vendez doit être réalisée sur le territoire. En Asie, dans un premier temps, une présence commerciale devrait suffire.

Envisagez-vous de croître par acquisitions ? 

Nous arrivons à un niveau de maturité où cela pourrait nous intéresser. Nous n’avons pas vocation à tout internaliser. Sur la partie propulsion, il n’existe pas beaucoup d’équivalents à ce que l’on propose, mais sur le transport en orbite, le marché est plus ouvert. Nous pourrions nous appuyer sur des partenaires extérieurs mais aussi sur des innovations technologiques à travers des acquisitions afin d’accélérer notre développement ou notre industrialisation. L’environnement financier étant moins bon aujourd’hui, des opportunités se présenteront peut-être.

Vous revendiquez votre capacité à rendre les constellations de satellites plus durables. Est-ce vraiment possible ? 

Je le pense, oui, et c’est même ce qui nous motive. Le modèle de l’espace aujourd’hui n’est pas efficace. Imaginez que lorsque vous achetez une voiture, vous ne puissiez faire qu’une seule fois le plein. Ensuite, impossible, il vous faut la mettre à la poubelle. C’est ce qui arrive avec les satellites. À terme, nous devons rendre les objets de l’espace plus réutilisables, que ce soit en refaisant le plein ou en les réparant. On peut imaginer un ravitailleur pour allonger la durée de vie des satellites, un véhicule qui permette de faire redescendre les objets pour qu’ils se consument dans l’atmosphère, etc. Pour le moment, il n’y a pas de réglementation internationale sur ces sujets mais il commence à y avoir des balbutiements et, dans la décennie qui arrive, les choses vont bouger. Les entreprises qui présenteront un modèle pertinent pourront se démarquer.

Propos recueillis par Olivia Vignaud 

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