Considéré par beaucoup comme un investissement sûr et un secteur qui ne connait pas la crise, l’immobilier traverse depuis 2022 une période morose amorcée avec la décision des banques centrales de relever leurs taux directeurs. Plus d’un an après, l’ensemble du secteur tire la langue à travers le monde.
Immobilier : too big to fail ?
Les chiffres sont difficiles à croire et donnent des maux de tête. Selon le rapport Altares qui recense les défaillances des entreprises en 2023, le secteur de la construction concentre à lui seul, 24 % des faillites en France pour plus de 14 000 défauts de paiement. Plus précisément, 14 112 entrepreneurs ont enduré l’ouverture d’une procédure collective, soit une hausse de 40,7 % par rapport à 2022. Si le gros œuvre compte le plus de défaillances avec 4 140 cas, en hausse de 44,1 %, ce sont les agences immobilières qui enregistrent la pire tendance avec une explosion des défaillances de 116,7 % pour 910 sociétés en difficulté.
Une situation critique qui concerne le monde entier. En Chine, la liquidation judiciaire en janvier 2024 du géant surendetté de la promotion immobilière Evergrande est symptomatique d’un secteur à l’agonie. Les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore l’Allemagne ne sont pas en reste.
La communion de deux facteurs macroéconomiques est à l’origine de cette dégringolade. L’inflation a fait flamber les coûts de construction tout en faisant chuter le pouvoir d’achat des acheteurs et la hausse des taux d’intérêts directeurs a considérablement durci les conditions d’accès aux crédits. Ce dernier indicateur est passé de 25,9 milliards en 2022 à 15 milliards en 2023 selon la Banque de France. Un cocktail parfait pour que la mécanique d’un secteur entier se grippe.
De Charybde en Scylla
Un cercle vicieux s’est formé dans la nébuleuse des achats et des locations. Sur le marché du neuf, les réservations d’appartements, qui avaient déjà fléchi de 25 % en 2022, se sont cette année encore dégradées de 34 %. Selon, la Fédération des promoteurs immobiliers, ces chiffres illustrent le plus bas niveau enregistré par le secteur depuis dix ans. Les investissements dans les logements destinés aux particuliers ont, eux, diminué de 83 % au premier trimestre 2023 par rapport à la même période, un an auparavant. Les ventes de maisons ont de leur côté dégringolé de 31,3 %. Du jamais vu.
Le secteur de la construction concentre à lui seul, 24 % des faillites en France pour plus de 14 000 défauts de paiement
Par effet domino, lorsque le marché de l’immobilier neuf ne brille pas, les agents économiques se reportent sur le marché locatif. Ce calcul, a priori rationnel, n’est pas si simple. La hausse de la demande de biens locatifs crée un goulot d’étranglement, car le nombre de biens sur le marché n’augmente pas dans les mêmes proportions. Selon les statistiques de la plateforme Bien’ici, la tension locative qui se définit par le rapport entre l’offre et la demande sur le marché a augmenté de 65 % entre le 2e trimestre 2021 et 2022, est restée relativement stable en 2023 à la même période. En ajoutant à l’équation, les normes progressives de diagnostic de performance énergétique (DPE) que doivent respecter chaque logement et qui font diminuer le nombre de biens disponibles. Faute de moyens pour réaliser les travaux, c’est tout un marché qui finit sur les rotules et les entreprises de la construction et de l’immobilier qui trébuchent.
En 2022, l’ancien ministre du Logement Olivier Klein, tirait la sonnette d’alarme : "On doit tous se mobiliser pour que le logement ne devienne pas la bombe sociale de demain." Si ces craintes subsistent aujourd’hui, des motifs d’espoir pointent tout de même à l’horizon. Les taux directeurs ne devraient pas continuer à augmenter. Ils pourraient même baisser cette année, ce qui détendrait l’accès aux crédits immobiliers. Enfin, les effets du plan logement annoncé en novembre par Elizabeth Borne sont attendus. Celui-ci prévoit des aides de l’État pour doubler la construction sur deux ans de logements locatifs, relancer les chantiers à l’arrêt des promoteurs immobiliers ou augmenter le nombre de logements sociaux et étudiants. Le gouvernement Attal s’attelle aussi à la question après que ce dernier ait déclaré vouloir "chercher tous les logements possibles avec les dents […] pour créer un choc de l’offre." À l’aune du cru 2024 l’immobilier est donc à un tournant, entre rebond ou chute dans les abysses.
Tom Laufenburger