Par Laurent Grinfogel, avocat fondateur. Laurent Grinfogel Avocats
Mise sur le marché de produits, fabrications, projets soumis à étude d'impact, sols pollués, le droit des substances chimiques s'invite sous de multiples formes dans les entreprises de tous secteurs, impactant parfois le cœur de leurs activités. Les enjeux financiers peuvent exiger d'intégrer dans la stratégie de l'entreprise un volet relatif à l'utilisation de certaines substances chimiques.

Après l'effervescence initiale suscitée par l'entrée en vigueur du règlement communautaire REACH (1), l'intérêt pour le droit des substances chimiques est retombé, aidé en cela par une application peu uniforme de ce règlement (2). C'est ignorer que le droit des substances chimiques ne se limite pas à REACH et s'est imposé comme une matière transversale au droit de l'environnement, au point d'en renouveler radicalement la portée.

Quatre évolutions majeures
Traditionnellement, l'usage des substances chimiques a été réglementé au travers de limites d'émissions dans l'environnement ou de restrictions d'usage, selon une démarche empirique (limites technico-économiques d'installations industrielles, possibilités de substitution), quitte à obscurcir la finalité, protection de la santé humaine ou de l'environnement, de la réglementation.

La première évolution, liée aux progrès de la toxicologie et de l'éco-toxicologie, est la possibilité d'objectiver les concentrations parfois infinitésimales, les doses ou les flux au-delà desquelles une substance est présumée avoir des effets nocifs sur l'homme, sur un milieu ou l'un de ses compartiments (3). Le droit de l'environnement a ainsi évolué d'une logique d'interdiction d'émissions «excessives» vers une logique de suppression des risques sanitaires et de restauration de la qualité écologique des milieux et de leur biodiversité.

L'exemple le plus topique de cette évolution est l'instauration de «normes de qualité environnementales» par la directive n°2008/105 du 16?décembre 2008, qui a résulté en la redoutable Action nationale de recherche et de réduction des rejets de substances dangereuses dans l’eau.

Ce faisant, et c'est la seconde évolution, le droit des substances chimiques a introduit à grande échelle dans le droit de l'environnement le principe de précaution. Ces normes de qualité environnementales, dénommées au gré des législations et des milieux «valeurs toxicologiques de référence» ou «valeurs guides», ne sont que des extrapolations de tests de laboratoire, corrigées par des facteurs d'incertitude allant jusqu'à 1 000?ou 3 000 pour tenir compte de la valeur statistique relative de ces tests.

Les deux dernières évolutions consistent d'une part en une large mise à disposition du public des valeurs de toxicité ou d'écotoxicité des substances chimiques, par exemple via les bases de données de l'Agence européenne des substances chimiques, et d'autre part leur globalisation.

Des valeurs de référence sont publiées par la plupart des agences sanitaires ou de protection de l'environnement des pays industriels et institutions internationales, mais parfois avec des divergences d'appréciation, et dans des contextes juridiques propres à chaque pays.

Enjeux
Quelques exemples illustreront les enjeux du droit des substances chimiques, les exigences croissantes liées au renforcement de la législation, et les textes juridiques à travers lesquels le droit des substances chimiques s'exprime.

En matière d'autorisation de projets d'infrastructures et d'installations, la directive 2014/52 du 16?avril 2014 exige désormais explicitement, dans les études d'impact environnemental, une description des incidences notables des substances utilisées.

Pour les activités industrielles, les SDAGE (4) 2016-2021 en cours d'élaboration vont accentuer les contraintes sur les rejets aqueux des entreprises, avec la pleine prise en compte des normes de qualité environnementales de la directive 2008/105 et l'achèvement de la transposition de cette même directive (5), sa révision avec l'introduction de normes de qualité environnementale pour le biote étant en discussion à la Commission européenne (6).

L'allongement progressif de la liste des substances candidates à autorisation au titre du règlement REACH ou les cahiers des charges des grands donneurs d'ordre peuvent accélérer l'obsolescence de certaines substances chimiques, alors même que les industries utilisatrices de ces substances, comme l'aéronautique ou la pharmacie, ne peuvent pas rapidement modifier leurs procédés compte tenu de leurs homologations ou autorisations de mise sur le marché.

Quant à la remise en état des sols pollués, la méthodologie issue de la circulaire du 8?février 2007 prévoit d'interpréter l'état des milieux au regard de valeurs toxicologiques de référence internationales. Le choix de ces valeurs peut avoir une incidence notable sur la remise en état d'un site, et doit être mûrement réfléchi, en cohérence avec le droit communautaire des substances chimiques, l'ensemble des informations disponibles sur ces substances et leur comportement dans les sols.

Nécessité d'une stratégie d'entreprise
Les substances chimiques sont ubiquistes dans de nombreux secteurs activités. L'entreprise doit, parmi toutes les substances chimiques qu'elle et ses fournisseurs utilisent, ou mieux encore envisagent d'utiliser, identifier le petit nombre d'entre elles susceptibles d'emporter des risques substantiels, immédiatement et à terme, directs et indirects (image de marque).

Du fait de l'application d'une réglementation rigoureuse fondée sur le principe de précaution, le risque est bien moins celui résultant d'une atteinte effective à la santé publique ou à l'environnement que le risque commercial de perte d'un marché (voir Tableau). Selon la position de l'entreprise au sein de la supply chain, la mise en place d'une telle stratégie doit être adaptée. Une démarche prospective s'impose.

(1) Règlement n°1907/2006 du 18 déc. 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions des substances chimiques
(2) Cf. Agence européenne des produits chimiques, «?Progress Report 2013?», fév. 2014
(3) Par exemple, pour le milieu aquatique, ces concentrations sont désignées par PNEC «?Predicted No Effect Concentration?», et établies pour l'eau, les sédiments, et le biote.
(4) Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux
(5) Cf. arrêté ministériel du 11?avril 2014
(6) COM (2011) 876 final



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