Par Guillemette Guilbaud et Jean-René Leduc, fondateurs. Sigée Finance
La réalisation de réseaux en France, réseaux de chaleur, réseaux d’assainissement et d’eau potable, réseaux très haut débit etc., connaît un fort développement principalement dans le cadre de procédures de DSP concessives. Parallèlement, une évolution se dessine dans le financement de ces projets qui se retrouve à la croisée des chemins entre financement corporate et financement à recours limité.

1-Le développement et la modernisation des réseaux de toute nature constituent un axe majeur de réalisation d’infrastructures en France actuellement. 
Différentes familles de réseaux sont concernées :
– les réseaux contribuant à la satisfaction de besoins essentiels des usagers en intégrant des objectifs de protection de l’environnement : réseaux d’assainissement, d’eau potable, d’énergie, réseau de chaleur et/ou de froid. Ces développements sont particulièrement nombreux depuis quelque temps pour la catégorie des réseaux de chaleur.
– les réseaux contribuant au désenclavement des territoires et de leurs habitants notamment les réseaux de très haut débit qui représentent un gros potentiel dans le cadre du plan numérique à horizon 2020.
Ces nouveaux investissements devraient, dans un avenir proche, mobiliser des masses financières importantes (par exemple environ 10 milliards d’euros pour le raccordement au très haut débit des particuliers en zones non denses).
2-Ces projets de développement et modernisation de réseaux ont été jusqu’à maintenant beaucoup réalisés dans le cadre de DSP sur la base d’un montage dit «?corporate?».
Lorsque ces projets sont menés sous la forme de DSP (délégation de service public) de type concessif (ce qui est souvent le cas), ils sont principalement réalisés jusqu’à maintenant dans le cadre d’un montage corporate. Dans ce type de montage, la DSP est conclue avec un industriel du secteur - directement ou plus fréquemment via une société dédiée bénéficiant d’une garantie de sa maison mère - qui fait son affaire de l’intégralité du financement. Le financement n’est donc pas mobilisé au niveau du projet mais à un niveau supérieur (celui de la société industrielle), ce qui implique d’emprunter sur un risque corporate aux conditions de financement obtenues par l’industriel et satisfait les concédants qui peuvent avoir le sentiment de bénéficier d’engagements plus forts de la part de leur délégataire. Toutefois, le concédant pourrait être exposé au risque de non-respect de ses engagements par le délégataire, soit pour des raisons propres à celui-ci, soit en raison d’un bouleversement du contexte économique et financier comme celui intervenu à compter de 2008. La continuité du service public peut dans ce cas rendre nécessaires une renégociation du contrat et la prise en charge par le concédant d’une partie des risques qui auraient dû être assumés par le délégataire. Pour les industriels délégataires, ce type de montage implique pour chaque projet une consommation de fonds propres et de capacité d’endettement qui peut être contraignante en période de développement rapide des projets.

3-Le développement rapide et important de réseaux de toute nature pose la question du recours pragmatique aux techniques de structuration juridico- financière permettant les financements à recours limité.
De manière alternative au montage corporate, les industriels peuvent proposer aux concédants une structuration juridico-financière permettant l’intégration dans le plan de financement d’un projet, d’une dette à recours limité. Ce recours aux techniques de financement de projet introduit un certain nombre de différences dans l’organisation et la structuration juridico- financière du projet par rapport à l’approche corporate. Ces différences porteront notamment sur la composition de l’actionnariat des sociétés délégataires, l’organisation des garanties, les modalités de gestion du risque de taux d’intérêt, la prise en compte et l’encadrement du risque de recours contre le contrat de DSP ou encore le contenu des clauses de résiliation… Si les deux formes de montage, corporate et financement de projet, reposent généralement sur la création d’un véhicule ad hoc, le financement de projet permettra l’ouverture du capital de ce véhicule. Grâce à la participation d’investisseurs financiers, ce montage a le mérite d’être, pour les industriels délégataires, moins consommateur en fonds propres ou engagements financiers qu’un montage corporate et permet d’envisager l’absence de consolidation de la dette.
Le recours à ce montage peut ainsi dans certains cas être une condition à la participation à un appel d’offres de tel ou tel intervenant et à l’effectivité de la mise en concurrence. Ce montage repose également sur l’utilisation prioritaire sinon quasi exclusive des cash-flows du projet pour sécuriser le financement dudit projet. La dette finançant un projet doit être remboursée par ses cash-flows, dont la sécurité et la pérennité sont contractuellement organisées. Ce montage permet d’avoir accès à des dettes long terme dont la durée est cohérente avec la durée des cash-flows des projets concernés. Ainsi, le financement de projet permet souvent d’allonger la dette destinée au projet par rapport à une dette corporate. Ce travail sur les différentes ressources d’un projet est évidemment réalisé au bénéfice du projet et de ses usagers. Les réflexions à son sujet sont largement ouvertes à l’aune des expériences et des difficultés ou contraintes rencontrées au fil du temps.
La réflexion concernant par exemple la meilleure manière ou le meilleur moment pour associer les prêteurs au financement d’un projet n’est pas anodine. Se pose ainsi la question de savoir comment faire pour sécuriser un financement sans une intervention trop prématurée ou trop tardive des prêteurs, leur intervention trop prématurée pouvant être contre-productive dans le cadre de la mise en concurrence et leur approche trop tardive considérée comme un facteur de risque par le concédant et/ou les investisseurs financiers. Dans le même sens, se pose la question de savoir s’il y a valeur à organiser le financement des projets un à un ou s’il faut privilégier la constitution de portefeuilles de projets plus ou moins homogènes Afin de réaliser un montage juridico- financier sécurisant pour la personne publique et efficace économiquement pour les usagers et le concessionnaire, ce montage repose sur une architecture contractuelle intégrant le principe de transparence qui permet de maintenir la responsabilité des industriels en matière opérationnelle. Il implique également que les ressources utilisées pour le financement du projet privilégient les moins coûteuses à travers la mise en place du meilleur levier de dette, etc. La part de risque restant difficile à apprécier dans un projet de réseau, notamment les risques commerciaux, pourra justifier la mise en place de modes de financement évolutifs pendant la vie du projet. Le levier de dette pourra ainsi s’accroître avec le temps et l’augmentation de la visibilité sur les courbes de commercialisation, pour refinancer en partie les fonds propres injectés en proportion importante au lancement du projet. Les risques assumés par le titulaire de la DSP seront précisément définis tout autant que les sûretés proposées pour les contre-garantir. Ainsi, le projet gagnera en lisibilité financière mais en contrepartie, les donneurs d’ordre public concédants devront perdre leur habitude parfois en forme d’illusion, de tout attendre du projet «?aux risques et périls?» du concessionnaire.

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