Par Roland de Moustier, avocat associé. Frêche & Associés
La suppression des tarifs réglementés de vente du gaz naturel pour les consommateurs non résidentiels au 1er?janvier 2016 s’accompagne d’un dispositif transitoire permettant la conclusion d’un contrat tacite de six mois entre l’opérateur historique et le consommateur n’ayant pas opté pour une offre de marché. Retour sur ce dispositif appliqué aux pouvoirs adjudicateurs.

L’entrée en vigueur de la loi n°?2014-344 du 17?mars 2014 relative à la consommation devrait mettre un terme à un contentieux engagé contre la France par la Commission européenne en 2006 concernant les tarifs réglementés de vente du gaz naturel. Cette loi supprime en effet les tarifs réglementés pour les consommateurs finals non résidentiels – à savoir les professionnels, les copropriétés et immeubles collectifs (1), selon un dispositif progressif de sortie jusqu’au 1er?janvier 2016, établi d’un commun accord entre la France et la Commission. Les clients concernés devront alors impérativement se tourner vers des «offres de marché» (2) proposées par l’ensemble des fournisseurs. Afin de sécuriser la fourniture en gaz des consommateurs qui n’auraient pas opté pour une offre de marché avant la fin du tarif réglementé les concernant, l’article L. 445-6 du code de l’énergie introduit par la loi précitée met en place une «offre transitoire» (3), fournie par l’opérateur historique dans un contrat qualifié «d’exceptionnel» dans les travaux parlementaires, pour une durée limitée à six mois non renouvelable et pouvant être dénoncé à tout moment sans frais.

Brèves observations sur les conditions dans lesquelles cette offre transitoire peut s’articuler avec les obligations de publicité et de mise en concurrence pesant sur certaines personnes notamment publiques.

Offre transitoire et droit interne de la commande publique
Il semble tout d’abord que ce dispositif transitoire soit applicable aux personnes notamment publiques, alors même qu’elles sont en principe soumises à des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable à la conclusion d’un contrat de fourniture de gaz. En effet, si l’article L. 445-6 du code de l’énergie ne définit pas les «consommateurs finals non domestiques», il reste que les «collectivités publiques» sont néanmoins expressément visées parmi les «?clients concernés?» par l’exposé des motifs de l’amendement C180 ayant introduit le dispositif transitoire.

En outre, dès lors que le texte n’exclut pas expressément les pouvoirs adjudicateurs du dispositif transitoire qu’il organise, il semble bien que le législateur ait entendu les en faire bénéficier. Cela étant, il est vrai qu’on peut s’interroger sur la légalité, au regard du droit de la commande publique (européen ou interne), d’un dispositif d’offre transitoire bénéficiant aux collectivités publiques en dehors de toute procédure de publicité et de mise en concurrence : ce dispositif permet en effet de déroger provisoirement aux obligations légales (ordonnance du 6?juin 2005) ou réglementaire (code des marchés publics) en vertu desquelles les pouvoirs adjudicateurs doivent normalement mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable à la conclusion d’un contrat de fourniture de gaz naturel.

Mais il reste qu’une loi peut en principe modifier, même implicitement, une disposition législative ou réglementaire antérieure, a fortiori, lorsqu’il s’agit d’une loi spéciale qui dérogerait à une loi générale. Or, tel semble bien être le cas de la loi du 17?mars 2014 qui déroge, par une disposition spéciale relative à une offre transitoire provisoire, à une obligation plus générale de publicité et de mise en concurrence. Seule la constitutionnalité du dispositif pourrait éventuellement être remise en cause au regard du principe d’égal accès à la commande publique, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Mais, a priori, une mesure transitoire de six mois visant à assurer la continuité de la fourniture de gaz notamment en période hivernale ne devrait pas être considérée comme portant atteinte à la substance même de l’exigence constitutionnelle.

Offre transitoire et droit de la commande publique de l’Union européenne
La conventionalité du dispositif transitoire pourrait également être remise en cause devant le juge national, au regard du droit de la commande publique de l’Union européenne. Si l’ouverture du marché de l’énergie à tous les consommateurs finals au 1er?juillet 2007 ne s’oppose pas à ce que la réglementation nationale d’un État membre impose aux entreprises nationales opérant dans le secteur du gaz un niveau de prix «raisonnable» de fourniture du gaz naturel au consommateur final et ce, dans un «intérêt économique général», le dispositif doit néanmoins être «limité dans le temps» et «garantir un égal accès aux consommateurs» pour les entreprises du secteur (CJUE, 20?avril 2010, Federutility et autres, aff. C-265/08). La France s’étant engagée auprès de la Commission européenne à supprimer les tarifs réglementés pour les consommateurs non résidentiels au 1er?janvier 2016, le dispositif transitoire permettant leur poursuite automatique pendant une période de six mois au-delà de cette date butoir, pourrait être considéré comme «inconventionnel». Plus encore, la dérogation aux règles de publicité et de mise en concurrence méconnaîtrait les directives «marchés».

Pour autant, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne admet-elle qu’une considération impérieuse de sécurité juridique puisse exceptionnellement justifier le maintien provisoire d’une règle contraire au droit de l’Union européenne (voir pour un exemple a contrario : CJUE, 8 septembre 2010, Winner Wetten GmbH, aff. C-409/06). De sorte qu’il paraît possible de considérer en l’espèce que le dispositif transitoire et la dérogation aux règles de passation des marchés des pouvoirs adjudicateurs qu’il implique, sont justifiés par des impératifs de sécurité juridique et d’intérêt général.

En définitive, si le dispositif transitoire permettant la reconduite pour six mois des tarifs réglementés contrevient, par son objet même, à l’obligation de publicité et de mise en concurrence prévue par les dispositions du droit européen pesant sur les pouvoirs adjudicateurs, le risque de voir sa légalité remise en cause, tant sur le plan interne que communautaire, paraît a priori relativement limité. D’une part, en effet, il paraît juridiquement justifiable par des motifs d’intérêt général (assurer la continuité de la fourniture en période hivernale) et par son caractère limité dans le temps à six mois. D’autre part, et de façon plus pragmatique, il serait sans doute peu opportun de sanctionner un dispositif qui a le mérite de mettre fin à un contentieux entre la France et la Commission et qui, finalement, se borne à accompagner provisoirement la suppression – quant à elle définitive – des tarifs réglementés.

(1)  Exposé des motifs de l’amendement n°CE180 du 15 novembre 2013
(2)  Idem
(3)  Idem

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