Par Valérie Ravit, avocat associé, et Delphine Hauguel, avocat. BOPS
Une réforme du Code civil, destinée à établir un régime spécial d’indemnisation pour les dommages causés à l’environnement, est envisagée par le ministre de la Justice. Les solutions proposées, si elles étaient adoptées en l’état, pourraient être source de nombreuses difficultés, notamment au sujet de l’articulation avec les dispositions du code de l’environnement.

Est-il nécessaire de reconnaître le préjudice écologique «?pur?» dans le Code civil ? C’est l’une des questions dont était saisi le groupe de travail présidé par le professeur Jegouzo par le ministre de la Justice. Le rapport répond par l’affirmative.

Le préjudice écologique «?pur?» consiste dans l'atteinte portée à l'environnement lui-même. Son caractère indemnisable ne va pas de soi. En effet, ce dommage affecte la collectivité dans sa globalité, de sorte que le caractère personnel du dommage, condition nécessaire pour caractériser un préjudice réparable, est très discutable. Par ailleurs, l'environnement n'ayant pas de valeur marchande, une indemnisation par équivalent pose des difficultés tant sur le plan de l’évaluation que de l'effectivité de la réparation. En l'absence d'obligation de remploi des indemnités, rien ne permet en effet de garantir que le dommage qu’il s’agit de réparer le sera effectivement.

Origines de la réflexion
Malgré ces obstacles, la cour d'appel de Paris (1) a consacré le droit à réparation du préjudice écologique pur dans l'affaire de l'Erika et la Cour de cassation (2) a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt. Pourtant, la solution conduit à allouer des indemnités à plusieurs personnes pour un même dommage, ce qui interroge au regard du principe de réparation intégrale. Par ailleurs, l'évaluation du préjudice a été faite en fonction d'éléments déconnectés de la réalité du dommage (réputation et nombre d’adhérents à l’association). Il en résulte un risque de dérive de l'indemnité-réparation vers l'indemnité-sanction (3).

À l’inverse de cette solution jurisprudentielle, la loi sur la responsabilité environnementale (dite LRE, articles L.160-1 et s. du code de l’environnement) prévoit des mécanismes qui évitent de tels écueils. Tout d’abord, il n’y a qu’un seul interlocuteur (le préfet). Les collectivités territoriales et les associations de protection de l’environnement ne sont pas pour autant exclues puisque leur participation à des mécanismes de concertation est prévue. Ensuite, la réparation du dommage se fait «?exclusivement en nature?», assurant ainsi une réparation effective. Cette réparation est au surplus complète, puisqu'elle prévoit, outre un retour à l'état initial, la réparation du dommage subi pendant le temps nécessaire au retour à l’état initial. La LRE évite donc une dispersion des demandes et une réparation effective du dommage environnemental.

Il est vrai que la LRE n’intervient, s’agissant de la biodiversité, que pour les espèces et habitats protégés par les directives dites Natura 2 000. Doit-on pour autant créer un régime civil de réparation dommage environnemental ? La LRE ayant été spécifiquement pensée pour traiter le dommage environnemental, il aurait certainement été utile et fructueux de réfléchir à l’extension de son champ d’application et à une amélioration de ce dispositif. Ce n’est cependant pas l’orientation prise par le groupe de travail mis en place par le ministre de la Justice en mai?2013.

Contenu des principales propositions
Le droit d’action serait ouvert à plusieurs personnes, y compris aux associations non agréées. Il est également proposé que l’autorité de la chose jugée ne soit reconnue qu’à partir du moment où il y aura une décision ordonnant la réparation du dommage. L’échec d’une première action ne ferait donc pas obstacle à une nouvelle action engagée par un autre demandeur pour un même dommage.

Pour traiter la question de l’articulation avec la LRE, le groupe de travail propose de donner au demandeur une option entre les deux régimes. Cependant, le droit d’action étant ouvert à plusieurs personnes, chaque personne pourrait prendre une option différente de sorte que l’exploitant pourrait être confronté, pour un même dommage, à des actions fondées sur les deux régimes. L’articulation avec la LRE serait d’autant plus difficile que les définitions proposées s’éloignent assez substantiellement de celles de la LRE. Ainsi, le dommage réparable serait «?une atteinte anormale aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement?». La LRE retient, quant à elle, un critère de gravité et se positionne en fonction des composantes de l’environnement concernées (eaux, sols, habitats et espèces protégés, services écologiques). Cette différence de terminologie et de définition compromet la sécurité juridique.

S’agissant de la réparation du dommage, le groupe de travail propose une réparation «?prioritairement en nature?» et renvoie aux concepts de la LRE : réparation primaire, complémentaire et compensatoire. Cependant, alors que la LRE exclut tout autre mode de réparation, le groupe de travail envisage une réparation monétaire en cas «?d’impossibilité, d’insuffisance ou de coûts économiquement inacceptables de la réparation en nature?». Or, les hypothèses de l’impossibilité ou d’insuffisance sont déjà couvertes par la notion de mesures complémentaires qui sont précisément imposées si le retour à l’état initial n’est pas possible en tout ou partie. Quant au cas du «?coût économiquement inacceptable?», il semble faire écho au principe de proportionnalité de la LRE qui conduit à ne pas imposer de réparation au-delà d’un certain seuil si les coûts supplémentaires sont disproportionnés par rapport au bénéfice additionnel escompté. Il ne semble pas légitime, dans cette hypothèse, d’ajouter aux coûts déjà engagés des dommages et intérêts.

Ces quelques développements démontrent que si la voie d’une modification du Code civil devait continuer à être envisagée, une concertation nationale s’imposerait tant les propositions actuelles méritent de sérieux aménagements.

(1) CA Paris, 30 mars 2010, D. 2010, p. 2238, note L. Neyret
(2) Cass. Crim., 25 septembre 2012, n°10-82.938, D. 2012.2711, note P. Delebecque
(3) Réflexions sur le destin du préjudice écologique «?pur?», V. Ravit et O. Sutterlin, D. 2012, p.2675

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2024